Cet album des Anglais de Woodentops fait partie de mes tous premiers souvenirs musicaux ou en tout cas de mes tous premiers souvenirs discographiques puisque ma sœur Cécile l’avait acheté en CD quand je devais avoir 8 ou 9 ans, alors qu’elle était lycéenne. La pochette mystérieuse et le mot “Hypno” dans le titre m’avaient fasciné, tout comme le groupe lui-même et leurs morceaux, joués en live en 1986 dans une salle de Los Angeles. Je ne sais plus très bien comment Cécile avait eu vent de ces mecs qui encore aujourd’hui restent un groupe de connaisseurs alors qu’elle écoutait par ailleurs des artistes nettement plus célèbres comme les Beatles, Police, les Doors, Prince ou Cure, mais bref, tant mieux : sur le coup je crois me rappeler avoir pensé que cette formation londonienne n’existait plus ou moins que pour nous, qu’elle avait été montée exprès pour nous plaire. Je n’avais pas encore de goût assez construit pour bien comprendre ce qui m’y plaisait, mais j’adorais les rythmiques survoltées et le flow du chanteur, le côté précipité et capricieux, qui peut faire penser à la façon de danser de certains gamins – ils donnent tout, c’est vraiment un sprint pour eux de réagir à la musique. J’imagine que j’avais déjà une vague idée de ce qu’était le rock mais je crois que je ne voyais pourtant pas ça comme du rock – peut-être parce que les guitares ne se trouvent pas au premier plan. C’est de la musique qui me faisait bouger et que j’avais envie d’entonner ; nous avions rincé le disque et lorsque je l’ai réécouté il y a quelques jours après environ trente ans de séparation, je me suis aperçu que je le connaissais encore presque par cœur, et surtout que c’était une vraie tuerie, dans un genre à la fois assez simple et assez oublié par l’histoire.
Pour brièvement raconter la carrière des Woodentops, on dira que ces musiciens réunis autour du chanteur et principal songwriter Rolo McGinty ont commencé par faire du rock multi-rétro – selon les humeurs un peu rockab, un peu garage et un peu psyché –, de la très bonne new-wave parfois américanophile, parfois C-86, qui devait bien marcher dans les charts indie britanniques et sur les college radios des States. Signés sur Rough Trade, ils ont très vite fait évoluer leur son vers un truc à la fois électronisant, compact, et infernalement percussif. D’ailleurs dans mes souvenirs, je retiens surtout les envolées vocales de Rolo et les roulements incessants des batteries et des boîtes à rythmes. Sur ce disque live, leur troisième album en deux ans, les Woodentops donnent donc une version complètement différente de leurs enregistrements studio : le résultat est dévastateur, on dirait que les mecs ont trouvé l’élixir d’une musique capable de posséder n’importe quel auditeur en deux secondes et que s’ils jouent si vite c’est pour ne pas perdre ce don électrique, magique, hypnotique comme le dit le titre. Avec mon oreille d’adulte éduqué (haha), j’y reconnais aujourd’hui du motorik, du Moroder, du Suicide, les Doors aussi, et même un peu de cowpunk à la Violent Femmes ; mais en vérité c’est surtout de la musique on ne peut plus directe et instinctive, qui surfe sans réfléchir sur un canal énergétique quintessentiel du cosmos.
Ce qui est remarquable, outre l’effet surpuissant provoqué par leur espèce de « future garage » accélérationniste et très physique, c’est que les Woodentops ont ouvert avec ce disque une voie qui s’est très vite refermée ou qui s’est du moins fait ensevelir par le summer of love et la « mouvance » Madchester qui déferlerait deux ou trois ans plus tard. Je présume que leur rock du futur se nourrissait moins de MDMA et d’acides que de speed ou de coke ; leur imaginaire presque western, individualiste, plutôt masculin quoique romantique, partait sur Hypnobeat dans le sens inverse des vastes chemins tapissés de fleurs et de champis des Happy Mondays ou des Stones Roses. Mais le groupe se rattraperait un peu plus tard en sortant notamment un titre avec Bang The Party – qui selon Wiki serait joué par Tony Humphries –, et aussi parce que le remix d’un de leurs tubes, « Why Why Why », deviendrait visiblement un classique des débuts d’Ibiza, toujours d’après la célèbre encyclopédie en ligne. Leur dernier album studio en 88 ne suivrait en revanche pas les traces d’Hypnobeat, de façon peu compréhensible, mais peut-être que Rough Trade voulait jouer la sécurité.
Toutes ces décennies ont passé et il me semble que les Woodentops n’ont toujours pas connu de vrai retour en grâce même si comme tout le monde ils se sont reformés et ont même sorti un disque en 2013. Il est encore temps de les célébrer, ne serait-ce que pour cette cavalcade mécanique qu’est Hypnobeat – d’ailleurs le vert de la pochette est le même vert que celui de la RATP et je pense que c’est pas DU TOUT un hasard.
2 commentaires
Cet « hypnobeat » est en effet assez violentfemmeux.
I am pleased to hear you say this. I was one of a small group of people with them in London the first time they came. They busked in different locations and about ten of us walked worh and carried things. An incredible day. I was worh drummer benny from woodentops. We felt like musical brothers with them but we were already playing live a year and more. In Washington DC poi dog pondering felt the same with the woodentops. There were a few very acoustic punky bands that could play in the street . We did many times. It was a do it youself era , before electronic gear, you had to hit cheap things you played with your hands, Violent Femmes were superb