Vrai blues pour vrais trottoirs

France80 Trottoirs mouillés
Mixcloud, 2019
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Musique Journal -   Vrai blues pour vrais trottoirs
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Il y a environ six mois de ça, je m’émerveillais à l’écoute de l’extraordinaire anthologie Pop Sympathie, conçue par Vidal Benjamin chez Versatile. À cet assemblage de variété-wave frénétique et juvénile, le nouveau podcast – ou est-ce une mixtape ? – du binôme France80 propose aujourd’hui un contrepoint plus rock et plus spleenétique : ça s’appelle Trottoirs Mouillés et ça épouse comme un gant mal séché les jours et soirs humides que nous connaissons en ce moment. La période historique est à peu près la même, ça va de 1981 à 1987, sauf que cette fois-ci les interprètes ne sont pas du tout des starlettes en puissance. On peut même avancer qu’ils sont carrément au bout du rouleau, et que dans leurs chansons le blues jaillit toujours d’une crevasse dans le macadam – ça fait longtemps que l’enrobé bitumineux n’a pas été refait, on dirait. Rod Glacial (contributeur émérite de Musique Journal) et Sylla Saint-Guily, les deux “cerveaux” de France80, étant tous deux nés à la fin des années 80, c’est d’autant plus fort de leur part d’avoir saisi le mélange de plombe, de lyrisme et de tendresse propre à cette époque. En ce qui me concerne, moi qui suis né en 1979, j’ai l’impression de me retrouver un dimanche aprèm d’hiver dans la R18 break de mes parents, au moment de la première cohabitation, avec les lumières de Noël pas encore enlevées, et la fumée de leurs cigarettes qui se mêle à l’odeur de la mousse synthétique des sièges vert descente. On rentre de chez des amis à eux avec lesquels ils ont évidemment pesté contre la montée du FN et constaté une fois de plus que Mitterrand n’était pas si à gauche que prévu. Mais alors que nous remontons les voies sur berges, je contemple l’hôtel Nikko comme un monument sacré et en gros je m’en fous un peu de ce qu’ils disent, de toute façon ça a l’air mort leur affaire, ce qui m’intéresse plus c’est que mes sœurs sont en train de se demander si elles ne vont pas aller mater le film américain de 18 heures chez les voisins, car “ils ont le décodeur”. 

Ce feeling de détachement qui négocie mal avec l’angoisse et la désillusion, c’est ce qu’on entend à chaque note de Trottoir Mouillés. La sélection est belle du début à la fin, mais j’ai eu quelques vrais coups de foudre. Il y a “Paris Cide” le morceau d’ouverture de Michel Kricorian, qui parle de Chirac à l’époque où il était maire de la capitale, et qui me rappelle par son espèce de timidité dépitée l’album Littératures de Pierre Éliane. J’adore aussi “Le cœur qui déborde” de Janic Prévost, formidable chanteuse réaliste très anachronique que j’avais découverte en 2018 en préparant l’épisode “Blues de station-service” de ma série sur la pop française parallèle que pour France Culture – un épisode qui m’avait été en grande partie inspiré par les trouvailles de France80. La voix écorchée de cette Bretonne perdue à Paris me fait toujours autant d’effet lorsqu’elle est associée à ces prods au luxe glauque, avec une team Balavoine/Yared/Badarou en plein bad sur le périph. Ce n’est d’ailleurs pas la seule provinciale de la mixtape à cafarder sur Paname, puisqu’on entend ensuite le Toulousain Alain Brice nous chanter son « Pigalle Blues », et l’Avignonnais Thierry Aymes signer le groove le plus mémorable de toute l’histoire du Vaucluse – l’alliage du jazz-funk bleu nuit et de l’accent du Midi, qui aurait parié dessus ? Mais mon morceau préféré est sans doute “Marché couvert”, de Pascal Bacoux, chanteur sensible (devenu ensuite rédacteur en chef du magazine La pêche et les poissons) qui nous raconte ici l’histoire d’une déconvenue amoureuse dont on ne saura jamais les détails, si ce n’est que « c’est au marché couvert », qu’il a « tout découvert, un jour d’hiver ». Le titre concentre ce sentiment d’une vie regardée à travers la fenêtre d’une résidence de l’époque, neuve mais mal finie, c’est la protection dérisoire des cocons urbains jouée par un DX7, une basse slappée et une guitare sèche qui devient électrique au moment du refrain – et ça suffit pour m’émouvoir, je pense que je vais passer ma journée à regarder par la baie vitrée de mon bureau.

Rod et Sylla ont intégré quelques instrus, dont l’une extraite de la célèbre B.O. de Subway composée par Eric Serra, et une autre écrite par l’arrangeur Christian Gaubert, là encore prise dans une musique de film – celle de La puce et le privé avec, dans le rôle du privé, l’un de mes soi-disants sosies, le regretté Bruno Cremer (je prends plus ou moins bien la comparaison, disons que ça dépend de l’époque et de ses choix vestimentaires). On a aussi une plage très Sade, avec saxo et synthés, mais avec la touche trottoir en plus, créditée à une certaine Nathalie David. Je tiens d’ailleurs à préciser, pour terminer, que je n’ai rien contre Blues Trottoir et son “Un soir de pluie”, mais ce duo et son tube sont arrivés un peu après les tracks sélectionnés ici, et avec une autre démarche aussi, puisque le groupe était en major dès le départ. Leur son est plus propre, leurs mélodies plus poseuses, on sent que tout ça a passé moins de temps dehors, ce n’est pas du tout la même ambiance : c’est devenu un apéro tarama dans un nouveau resto du 15e (voire dans un établissement de l’enseigne « O’Poivrier ! »), pour l’anniversaire d’un pubard qui s’appellerait Romuald ou Patrice. Et la chanteuse a cette politesse mignonne mais froide, qui n’a rien à voir avec l’humanité presque gênante qui suinte de cette collection de blues citadins, nés d’un réel éprouvé et éprouvant.       

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