L’air est peut-être un peu trop moite pour pouvoir pleinement apprécier les morceaux les plus raides de Pop Sympathie, mais je vous rassure il y en a d’autres, comme le premier du tracklisting, la bossa bilingue “Si Me Olvidas” de Cécilia, qui conviennent parfaitement au climat actuel. Cette fantastique anthologie du DJ et archéologue de disques Vidal Benjamin succède à une précédente fantastique anthologie réalisée par ses soins, intitulée Disco Sympathie, qui s’intéressait comme son nom l’indique à quelques obscurités de la disco française, ainsi qu’à des choses un peu plus lentes mais toujours très pop et funky. Pop Sympathie se concentre sur une période légèrement plus tardive et sur un son qui reste dansant mais résonne avec plus de dureté : une variété spéciale de new-wave qui garde l’esprit léger et je-m’en-foutiste très français qui déjà habitait Disco Sympathie.
C’est le genre de disques qui pour le coup justifie à 100% l’usage de l’expression “c’est plus que de la musique”. C’est toute une époque qui chante, avec ses façons de prononcer les mots et de poser la voix, ses tics verbaux, ses thèmes récurrents et ses détails zeitgeist – la crise, les guerres, les coups d’un soir, les scooters, le prix du crème au comptoir, la question du look, le McDo. C’est de la super musique pour rire et danser, et en même temps, en filigrane, c’est un documentaire. C’est fou d’ailleurs de voir à quel point les textes sont dominés par l’actualité ou plutôt par l’angoisse de l’actualité, le stress du nouveau – il faut croire que les choses devaient vraimentdonner l’impression aux gens de s’accélérer à cette époque – sans que ce soit jamais de la chanson sociale sérieuse. Il y a un truc opportuniste (mais sain ?) dans cette façon de reprendre ces sujets punk et ce répertoire synthétique – souvent plus synth-punk que new-wave, d’ailleurs –, qui rappelle en partie la superbe compilation Bingo – French Punk Exploitation de Born Bad sortie en 2017, avec plus de groove. Le spectre des yéyés et du rock fin 50s début 60s s’entend parfois très fort (écoutez par exemple “Je vais danser” de Milpattes, “Poupée” de Fabienne Stoko ou “Amour Fonctionnel” de Laurent Stopnicki) et au passage je me dis qu’il faudrait un jour écrire quelque chose sur le revival 80 de ces années-là en France, c’était un vrai truc – d’ailleurs pas plus tard qu’il y a trois mois Teki en parlait sur FB au sujet des Calamités. Et il règne en outre, sur presque tous les morceaux, une ambiance d’amateurisme et d’incertitude qui rend ces 45-tours exhumés par Vidal Benjamin extrêmement précieux et attachants, même lorsqu’ils sont surjoués.
On retrouve parmi mes morceaux préférés notre amie Zahia – dont j’avais parlé dans le post sur les chanteuses sans voix – avec son groupe Electropic, pour un titre disons électro cha-cha – les eighties avaient aussi tenté un premier revival chelou des musiques latines perçues comme kitsch, mais je pense qu’on peut dire que c’était en partie un sous-genre du revival fifties/sixties. J’aime aussi beaucoup le gimmick “Ça s’arrange pas” de ZigZag et “Rêve de star” de Yogo avec ses textes stream of consciousness et sa ligne de chant plus sophistiquée que la moyenne de ce qu’on entend sur le reste du disque. Mais la chanson qui m’obsède et qui me tue plus que toutes les autres, c’est sans aucun doute “Démodée” de Janou, un morceau de revenge pop interprété par une toute jeune fille à l’époque âgée de 9 ans, et qui raconte avec un accent pied-noir mignon à mourir ses histoires de collégienne vexée par un type qui la trouve “Démodée” mais qui heureusement finira par regretter de lui avoir mis un vent. C’est le genre de choses qui a l’air plutôt gadget au départ mais dont on ne peut très vite plus se passer. Ça aurait dû être un tube, au même titre qu’un autre titre de gamine que Vidal aurait peut-être pu inclure dans le tracklisting d’une de ses deux anthologies, à savoir “Cool Raoul Relax Max” de Caroline.
J’ai déjà dit – au sujet de Woo et de Uneven Paths – que pas mal de remarquables rééditions et compilations qui sortent depuis quelques années ont le pouvoir d’enchanter le présent plutôt que de rendre rétromaniaque. Entre le souvenir un peu vague (ou au contraire trop rabâché) d’une époque de plus en plus lointaine et l’image hyper vivace qu’en révèlent aujourd’hui ces recueils se produit en nous une sorte d’épiphanie : une vision floue se précise en quelques mesures et on y distingue alors soudain tellement de choses dont on ne souvenait pas ou qu’on ignorait tout simplement que la notion de nostalgie se dissipe complètement, pour laisser la place à une griserie d’une nature rare : celle de vivre – et non re-vivre – le présent d’hier tel quel, et d’ainsi se rendre compte qu’il est tout autre, neuf et vivant.