Atlantique ou Pacifique : la France doit choisir

ATLANTIQUE Trampolino
Mercury, 1991
PACIFIQUE California
Vogue, 1990
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Musique Journal -   Atlantique ou Pacifique : la France doit choisir
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Tout le monde adore « Poussée par le vent » non ? Combinant guitare entre Paul Personne et George Michael et boîte à rythmes pseudo-Prince, l’instru portait le chant d’Atlantique (Atlantique est son vrai prénom, Kahn est son nom de famille), sa voix éraillée et chétive, ses intonations mi garçon manqué mi lolita, sa mélodie soutenue par d’incroyables cordes synthétiques tellement d’époque, et ses textes qui ressemblaient à un stream of consciousness pas toujours clair : « Le sac à la main, j’ai un trac de gamin okay ? Stop ! tout va bien / Je sifflote » et « J’regarde le ciel et je lui dis tout / D’un cosy corner à minuit / J’ai vu l’infini ». Une très belle chanson sur le vagabondage adolescent, le voyage sans but, la liberté d’être au monde, voire au cosmos, et la sensualité élémentaire que le corps éprouve dans la nature.

Honnêtement, pensez ce que vous voulez, mais ça reste un tube unique en son genre, et même si on ne peut nier qu’Atlantique était vocalement une réplique de Vanessa Paradis – dont elle se différenciait physiquement par ses origines vietnamiennes, s’imposant sur le marché comme une version « exotique » de Vaness’ –, ça n’empêche que ce premier album garde un charme évident quoique difficile à définir. Ce qui est marrant, c’est que sa prod assez moderne est l’œuvre de deux requins de studios déjà quadragénaires en 1990 : le guitariste Slim Pezin et le parolier et compositeur Philippe Bourgoin. Le premier est connu pour avoir joué avec Manu Dibango sur « Soul Makossa », il a beaucoup bossé avec des artistes africains, et aussi produit Chagrin d’Amour et pas mal de library (sans oublier, fun fact, qu’il est également l’oncle de Tido Berman de TTC !). Bourgoin, lui, a notamment écrit pour Alain Chamfort et c’est lui qui signe ou co-signe les textes souvent sibyllins d’Atlantique, qui oscillent entre suggestions érotiques mais pudiques et poésie juvénile parfois très réussie. En fait, on sent que la jeune femme n’a pas du tout été une simple interprète et qu’elle a clairement conçu son personnage comme elle l’entendait, mais qu’en même temps, elle a dû composer avec les idées et le « métier » de Bourgoin, ce qui donne un résultat entre deux registres, avec la maladresse que ça peut impliquer mais aussi avec une certaine grâce dans certains cas. Par moments on devine qu’elle a dû calmer les ardeurs de son co-auteur, qu’on présume tellement « amoureux des femmes » qu’il finit vite par les objectiver, à force de projections sur le désir et la « possession ». Au-delà de « Poussée par le vent », j’aime beaucoup les textes de « Dans ton monde », et encore plus ceux de « L’Année du Grand Amour », déclaration de coup de foudre, si on peut dire – un coup de foudre censé durer toute la vie – ou encore aussi ceux du dernier morceau éponyme, qui évoque une solitude gamine vraiment poignante, mais ce n’est que mon avis.

La musique elle aussi sait passer, sur Trampolino, de la légèreté à la gravité, de la fantaisie electropop à la rugosité terrienne blues-rock amenée par Slim Pezin. Le contraste peut perturber par moments mais il faut se dire qu’il s’agissait alors de deux grosses tendances de l’époque dans la variété française. Vous savez peut-être qu’en 1994 Atlantique sortira un autre album, cette fois-ci produit par Brendan Lynch, célèbre pour ses collaborations avec Paul Weller ou Primal Scream. L’ensemble sonne plus « cool » mais moins touchant, notamment parce que la voix d’Atlantique a perdu son grain tomboy : elle a mûri et chante donc mieux, mais on s’attache moins à elle, tout bêtement. La sauvageonne a rangé son baluchon pour devenir une jeune adulte qui traîne au What’s Up Bar : tant mieux pour elle, sûrement, mais tant pis pour les fans de son early material. Mention spéciale, toutefois, au titre « Rêve Révolution » produit par Boom Bass, qui rappelle un peu ses prods avec Zdar pour Melaaz. Atlantique chantera en 1996 pour Doc Gynéco, et puis en 1998, elle fera sans que personne ne la voie venir une apparition dans l’album d’UNKLE sur le morceau « Chaos » où joue aussi (attention ça va vous surprendre) Mark Hollis de Talk Talk, qui venait de sortir son album solo (des sources me disent qu’il est resté dix minutes en studio mais qu’il aurait néanmoins croisé la chanteuse).

J’ai par ailleurs choisi cet album de Pacifique principalement pour faire la blague avec Atlantique (ils ont percé exactement à la même époque, mais je sais que ce n’était pas fait exprès), même s’il contient des titres pas inintéressants dans un style variété house – l’un d’entre eux figure même sur le mix de Rod posté ici samedi dernier. Ce trio toulousain faisait de la pop très FM et pas du tout branchée, entre dance méditerranéenne et power-ballads, avec des paroles évoluant entre américanophilie à la papa et érotisme à la papa aussi. C’est dingue, voire flippant de voir à quel point les textes interprétés par la chanteuse Cathy Lajous sont hyper male gaze : par moments on est quasiment dans l’apologie de la rape culture (sur « Sans un remords », notamment, c’est infernal) , et j’imagine qu’il y a pas mal de choses comparables dans la pop féminine produite par des hommes, à cette époque ou même encore un peu plus tard. Et puis l’esthétique très roman-photo de l’album fait penser à l’esprit AB Productions : c’est un produit pour les jeunes mais fabriqué par des adultes pas du tout progressistes, qui se souviennent de leur road trip en Californie en 78 et de leur petit groupe qui jouait des reprises des Eagles. Il y a d’ailleurs un hommage-pompage à « Hotel California » sur « Another Love In L.A. », ainsi qu’un autre à « I Love You Baby » de Gloria Gaynor : ça donne une idée du spectre musical. Plus généralement on retrouve souvent les mêmes accords d’un morceau à l’autre, ce qui confirme l’idée que l’album est un exercice de style strictement commercial qui sait bien qu’il doit faire du remplissage. Mais que voulez-vous, Californie a beau ne pas être un bon disque pris globalement, il donne néanmoins un aperçu intéressant de que le conservatisme des majors pouvait faire des nouvelles tendances électroniques qui émergeaient à l’époque – et ça peut être pas mal lorsque les paroles ne sont pas horribles.

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