Miniatures (1/7) : Henri Salvador décalque Disney

HENRI SALVADOR "Sifflez en travaillant"
Rigolo, 1970
HENRI SALVADOR "Pauvre Jésus Christ"
Rigolo, 1972
HENRI SALVADOR "Voilactus"
Rigolo, 1972
RADIO MINUS Miniatures : Trésors cachés du Fonds matrimonial Heure Joyeuse
Podcast Mixcloud, 2020
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Musique Journal -   Miniatures (1/7) : Henri Salvador décalque Disney
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Dans le cadre de l’exposition Miniatures, consacrée aux trésors cachés du disque pour enfants, et qui s’ouvre le 2 octobre prochain à la médiathèque Françoise Sagan à Paris, Musique Journal va pendant sept semaines accueillir chaque mercredi un article de Sylvain Quément de Radio Minus, consacré à un disque pioché dans les étagères de l’impressionnant Fonds patrimonial Heure Joyeuse (et dont vous pouvez écouter une sélection en podcast dans les liens ci-dessus).

Cette semaine, dans la catégorie “chanteurs”: comment, à la faveur d’un contentieux réglé à l’amiable avec l’empire Disney, Henri Salvador se vit confier un blanc-seing pour produire des adaptations des plus grands thèmes de la firme bardées de boîtes à rythmes, de guitares à double vitesse et d’écho à bandes…

En 1950, alors qu’il fait un carton plein au cabaret l’A.B.C., le jeune Henri Salvador confie à son parolier Maurice Pon le soin d’écrire ce qui allait devenir sa Chanson douce: une « ballade pour enfants basée sur une musique antillaise, avec un accord de jazz complexe en plein milieu » (propos cités dans cet article des Inrocks), standard depuis gravé dans la mémoire des familles et dont le chanteur relèvera a posteriori le caractère plus alambiqué qu’il n’y paraît.

Parmi toutes les vedettes incarnant cette figure nouvelle du « chanteur pour enfants » qui s’invente à tâtons dans la France d’après-guerre, Salvador se distingue en-effet par la sophistication et la musicalité de ses productions. Bien sûr, il se range encore – au côté de Bourvil – dans la catégorie des chanteurs populaires qui, auréolés de leur statut «d’ami de la famille», se mettent à effectuer des incursions de plus en plus régulières dans le secteur du disque pour enfants. Dotés d’un goût notoire pour l’autodérision ciné puis télégénique, leur force consiste alors à incarner, chacun à sa manière, la figure de l’adulte complice et facétieux : celle du « copain Henri » – pour reprendre la formule ornant la pochette d’un de ses 45 tours – ou du « tonton benêt » et poétique incarné par Bourvil, dont les chansons « tous publics » se retrouveront également au sommaire d’innombrables compilations éditées spécifiquement à l’attention des petits.

Dans un premier temps, Salvador s’illustre donc dans un registre suave avec ses histoires de petit indien, d’abeille et de papillon, assaisonnant brillamment au passage quelques comptines et chansons traditionnelles à la sauce bossa-nova au détour d’un 45 tours remarquable et recommandé. Aussi à l’aise dans son rôle de chanteur de charme que dans celui du blagueur de service, il ne se départit pourtant jamais de son répertoire comique, où le grand-guignol d’un « Zorro est arrivé » le dispute à la voix de Castafiore de la petite « Juanita Banana » (deux adaptations de chansons américains proche du répertoire novelty : respectivement « Along Came Jones », du groupe The Coasters et un titre à succès de l’éphémère groupe pop composite The Peels). S’adressant initialement à toute la famille, il fait mouche auprès des plus jeunes avec ce mélange d’imaginaire de western télévisuel et d’exotisme bon marché. Costume de lapin, de martien, de maître d’école, de plongeur, d’insecte géant ou d’Attila le Hun… Salvador comprend rapidement la manière dont les écrans contribuent à forger l’image et la carrière des chanteurs d’après-guerre et injecte dans ses Scopitone une bonne dose d’inventivité burlesque. Son rire devient une forme de signature.

Lorsqu’il se trouve en conflit avec Disney, suite à son utilisation quelque peu cavalière du personnage de Zorro, le chanteur et sa femme Jacqueline parviennent à négocier un accord: de 1971 à 1976, il devient le très officiel ambassadeur de la firme sur le territoire français. Mais à la tête de son propre label – Rigolo – depuis 1964, Salvador témoigne déjà d’un goût prononcé pour l’autoproduction et l’expérimentation sonore. Étonnamment précurseur, celui-ci a pris soin d’installer son propre home-studio sous les combles d’un appartement de la place Vendôme, à une époque où le fait demeure rarissime et le matériel effroyablement onéreux. Il anticipe en cela l’exemple fréquemment cité du compositeur François de Roubaix, qui établira le sien dans un esprit d’autonomie similaire en 1972.

Conjuguant les avantages liés à son nouveau statut de représentant disneyien à cette autonomie artistique D.I.Y., Salvador délivre depuis sa chambre une série de versions proprement hallucinées des classiques de Frank Churchill et des frères Sherman. Mêlant boîte à rythmes à 200 bpm, wah wah mordante, guitares traitées et effets sonores improbables, les décalques s’avèrent parfois tellement incongrus que l’on se demande aujourd’hui encore comment la firme a pu donner son aval. A certains égards, ils constituent aussi une sorte de pendant sonore aux fresques populaires recopiant des Mickey ou Donald plus ou moins distordus, qui pullulent alors sur les attractions foraines, préaux d’école et baraques à chichis de tout l’Hexagone, et dont la firme tentera un temps de stopper la prolifération.

Retrouvant parfois les gestes techniques et les savoir-faire des pionniers anglo-saxons Les Paul ou Joe Meek, Salvador développe dans le même temps, et de manière visionnaire, une certaine esthétique du bricolage autogéré que l’on retrouverait ensuite chez nombre de compositeurs autoproduisant leurs disques pour enfants, ou travaillant dans les programmes jeunesse.

Ce versant de sa production ne sera bien sûr pas limité à la seule incartade disneyienne, ses 33 tours pour enfants de l’époque agrégeant d’ailleurs pour notre plus grand bonheur le répertoire tiré des grands classiques de la firme avec les Pauvre Jésus-Christ et autres Voilactus teintés de la même esthétique fantasque, minimaliste et bricolée. Le lecteur curieux saura guetter les futures occurrences d’une réhabilitation amorcée sur les blogs de la dernière décennie, en passe d’enclencher la vitesse supérieure grâce aux efforts de quelque association de bienfaiteurs dont il est encore un peu trop tôt pour parler en détails.

Et puisque comme d’habitude, les diggers japonais sont toujours étonnamment au fait de notre propre patrimoine, on ne s’étonnera guère que le lien-clé de ce post nous soit gracieusement fourni par le compte YouTube de Suguru Yamaguchi : musicien émérite au sein de la fratrie des K-Hin Bros et tenancier de la petite boutique historique de Shibuya Manual of Errors qui pendant longtemps accueillit en son temple les originaux alors introuvables de Raymond Scott, Bruce Haack, et autres artisans émérites de la proto-électronique pour enfants.

*

MINIATURES – Le disque pour enfants en France (1950-1990)

Une exposition de Radio Minus et L’Articho, explorant le Fonds patrimonial Heure Joyeuse
Dans le cadre de Formula Bula
Du 2 au 31 octobre 2020 / Médiathèque Françoise Sagan / Paris 10ème
Infos, détails: www.radiominus.com



Un commentaire

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