X-Cetra ou la bedroom pop venue littéralement d’une chambre à coucher d’adolescente

X-CETRA Summer 2000 [Y2K 25th Anniversary Edition]
Lonely Whistle Music / Numerogroup, 2000/2025
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Musique Journal -   X-Cetra ou la bedroom pop venue littéralement d’une chambre à coucher d’adolescente
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Une marotte classique des diggers, c’est le private press, les disques vinyles pressés à compte d’auteur, pour l’artiste et son entourage, parfois commercialisés, sans label ni distribution, à l’époque où il était facile et peu cher de faire presser des vinyles – les années 1980. Quand on cherche des disques, un private press donne l’assurance de tomber sur des objets musicaux uniques, élaborés sans aucune préoccupation commerciale (ni musicale parfois, mais c’est une autre histoire). En revanche, pour la musique des années 1990, 2000, la tâche se complique : les supports à fouiller se diversifient et se font plus rares. Pour la dance, il y a quelques maxis vinyles, pour le reste la musique existe sur CD ou cassette… Le chemin n’en est que plus pénible. Tout ça pour dire qu’il est vraiment difficile et peu courant de trouver de la musique inédite sur CD.


Alors quand la musique en question est celle d’un groupe de pré-adolescentes californiennes émulant les girls band du millénium, qui en rejouent leur version sincère et directe sans laisser supposer d’autre médiation que celle du radio-CD, qu’on imagine trôner au cœur de la chambre d’enfant, là c’est le jackpot. Le groupe, celui de Janet et Mary Washburn, Ayden Mayeri et Jessica Hall, c’est X-Cetra, et le disque s’appelle Summer 2000. C’est un de ces private press dont nous parlions, gravé sur CD-R au tournant des années 2000 et exhumé par le fameux label Numero Group qui vient de sortir cette réédition, vingt cinq ans après sa première « publication ».  Jackpot donc, car les disques oubliés d’enfant qui rejouent la musique de leur époque, c’est une autre verticale récurrente des diggers, et je dois reconnaître que c’est un de mes plaisirs coupables aussi. Nous avons avec ma bande de potes quelques classiques du style qui me sont chers (celui-ci ou celui là par exemple), mais c’est presque un meta-genre en soi, qui obsède équitablement les diggers de styles divers (rock 70’s, new age, dancehall, raï…) sans qu’on sache bien pourquoi.

En fait, si, je sais très bien pourquoi les hits de pré-ados me sont si chers ; comme pour beaucoup de musique prisée des diggers, c’est pour les effets de décalage qu’on expérimente à leur écoute. Là où la musique pop au sens large performe globalement les canons sociétaux d’une époque, il est surprenant de voir des enfants s’en saisir, qu’ils s’y conforment ou non. C’est le cas dès le début du disque : « Idiotic », la première piste commence avec un beat très accrocheur – un breakbeat minimaliste, des percus qui émulent vaguement des tablas et un son lo-fi qui nous font imaginer de la banghra house des années 90 – quand soudain, surprise, deux enfants chantent en canon l’amour de manière très très sérieuse avec toutes sortes d’effets emprunté au R&B de l’époque ; une voix de tête, souvent chantée-parlée, et paroles un peu drama (« Falling in love and I can’t because – Oh, Oh – I’m promised to someone else »). 

En fait, en en reprenant les codes de manière maladroite, ces enfants – nommées – donnent à entendre de manière transparente la musique qu’elles imitent. On pense évidemment aux Spice Girls, aux Destiny’s Child ou à Janet Jackson.  Au-delà d’une honnêteté tout à fait louable, il est aussi intéressant d’y voir en reflet une certaine culture spécifique à leur environnement. On peut entendre ici les préoccupations et les goûts musicaux d’une bande de copines au tournant des années 2000, un monde de suburbia étasunienne qu’on imagine tourner autour du mall, du collège et de leurs chambres. Pour les référents culturels, on pense tops à bretelle, colliers ras du cou multicolores et chaîne hifi – et c’est dans le mille lorsqu’on regarde l’insert de la réédition, qui offre un florilège d’ambiances CM2, au verso des paroles des chansons – fidèles à l’époque encapsulée ici. 

La suite de Summer 2000 ne déçoit pas ; les ambiances sont très réussies et continuent de rappeler Canal J et les Totally Spies (qui, si je me souviens bien, avaient quelques bangers breakbeat aussi à leur B.O.). Un ensemble de titres brille ainsi dans l’exercice de style (« Another Girl », « Speechless », « Conversation ») et affiche tous les voyants au vert pour les plus nostalgiques : les enregistrements approximatifs juste ce qu’il faut, les backtracks cinématographiques et les voix toujours au max – on entend même des extraits faussement accidentels au début de « Promises », comme cela peut arriver dans des titres plus professionnels de R&B ou de rap. Mais il y a aussi un autre versant du disque, où la confusion des genres, la production minimale et l’espace qu’elle laisse libre donne au final un caractère presque psychédélique à l’ensemble – sur « Forever » par exemple, on avance dans la chanson et les voix se font de plus en plus traînantes, pour finir par répéter, dans le vague : « Forever, and ever, I’ll never be free ». Idem sur la dernière chanson, « Fly Into Your Arms », où les paroles désespérées et la voix qui se perd dans l’écho donnent à l’ensemble un caractère dramatique, un peu mystique. POV : tu gardes tes petites cousines qui font une pyjama party et tu te réveilles au milieu d’une séance de spiritisme.

C’est ce qui est unique chez X-Cetra : la liberté (qu’on suppose) laissée aux enfants, et la justesse d’un enregistrement qui sonne très spontané. Prendre la musique sous l’angle de sa rareté, du bizarre en regard d’un lieu ou d’une époque, à la manière des diggers qui me servaient d’introduction, ne constitue que la moitié du chemin. Il faut concéder un charme intrinsèque à la musique de Jessica, Ayden, Janet et Mary. Au-delà des chansons bricolées et de la valeur sociologique de l’objet, il y a quelque chose de complètement onirique : si on sait très bien où l’on commence l’écoute du disque, il nous emmène ensuite dans des territoires proprement uniques, et il faut reconnaître derrière ce qu’on présentait d’abord comme un charme amateur une maîtrise certaine. Tout ceci nous amène à nous questionner sur le contexte d’enregistrement de cet objet, qui ne ressemble pas à un projet d’école tant il est bizarre. Le label nous a renseigné à ce sujet et la réponse va vous étonner : la musique a été enregistrée par deux activistes issus de la cassette culture des années 1980 ! À savoir, d’un côté, la mère de Janet et Mary, Robin O’Brien, musicienne autrice d’une floppée d’albums sur plusieurs décennies, qui indique aujourd’hui sur son bandcamp se consacrer à la musique de prière et de méditation, et de l’autre un producteur allemand nommé Achim Treu, avec lequel Robin aurait fait connaissance par correspondance. Évidemment, on se demande ce que sont devenues les quatre gamines (le label nous a indiqué qu’il s’agissait du seul album de X-Cetra). Mais parfois il faut savoir se détacher de l’objet, éteindre la lumière et kiffer la pyjama party.

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