Hervé a déjà parlé ici du label Harsh Riddims en présentant l’album de Taves en avril dernier, et je rappellerai donc juste en passant qu’il s’agit d’une structure qui fait des choses souvent mortelles, plutôt lo-fi, qui crépitent entre club music hypnagogique, IDM en déroute et R&B pour lit superposé. C’est en écoutant le quatrième volume de leurs compilations que j’ai découvert « Hide From Me (Ruff Demo) », un track qui m’a retourné la tête, signé par une certaine Stemlines. En une minute 37, cette jeune femme de 24 ans trouve le temps de compacter plusieurs choses qui me plaisent énormément : un beat bass (d’ailleurs plus ATL Bass que Miami Bass, je dirais), des nappes d’accords rave ralenties qui sonnent comme les plus beaux mirages que j’ai entendus depuis longtemps, un beat précipité de Jersey qui morphe un peu en jungle, et au-dessus une démonstration relax de science vocale qui m’a fait remettre le morceau vingt fois de suite, quelque part entre, je sais pas, SOPHIE et les dubs les plus tarés de la house new-yorkaise. Putain ça m’a tué, tant de concision, tant d’à propos, mais tout ça dans une ambiance visiblement super décontractée, bonne franquette, sans pression aucune.
Je me suis trouvé d’autant plus en pâmoison quand je suis allé découvrir les autres chansons de Stemlines, dont le government name est Nnenna et qui vit donc à Atlanta, née de parents nigérians installés en Géorgie. Son pseudo désigne – en génétique ou plus précisément en cytologie – la « copie la plus basique » qui puisse être faite d’une cellule, « qui demande le moins de mutations et de complexité », si j’en crois le Wiktionnaire, et j’imagine que cet alias lui vient de ses études en biologie. Discographiquement, Nnenna a sorti un EP de sept titres en 2018 qui s’appelle Stemlines et qui contient quelques plages de ce qu’on peut encore appeler « alternative R&B », à savoir des chansons soul très augmentées par les technologies audio des années 2010, qui voguent entre le lascif et le solennel. On y sent l’influence de Solange, même si ça ressemble principalement à When I Get Home, qui lui se trouve être sorti en 2019. Surtout, on devine que la jeune femme a envie de dépasser les cadres pourtant déjà perméables de ce R&B progressive et arty.
Et donc, en 2019, Stemlines a sorti « Company », où sa voix est toujours présente en lead, mais ornée d’effets agissant comme des secondes vies, posée sur un beat ATL bass et une basse deep house. C’est un tube, un tube pas forcément pour plein de gens, mais sûrement plus important et salutaire pour ces quelques individus que ne le sont la plupart des gros tubes actuels pour les millions d’auditeurs qui les streament. La même année, il y a également eu « Superposition », lui aussi dingue, dans une veine « The Knife sous la canicule »: là encore on entend bien que c’est soigné, mais en même temps l’intimité et la spontanéité du truc fait que ça pourrait aussi bien être un private press, mais c’est sans doute parce que j’ai pas mal écouté les cassettes d’ashram d’Alice Coltrane ces temps-ci.
Et puis en 2020, Stemlines, avant de sortir ce track sur la compile Harsh Riddims mentionné plus haut, a publié deux autres instants tubes de freak’n’B qui me font toujours plus chavirer. D’un côté, « Xxnoslo » avec sa voix totalement déformée, entre cri de baddance et extase au sens « hors corps » du terme, et sa ligne de basse qui sans jamais cogner nulle part neutralise toute résistance. De l’autre, un titre uniquement dispo sur Soundcloud qui s’appelle « ULookGudt », que Nnenna a fait avec un certain ChalieBoy et qui est à peu près aussi addictif que « Hide From Me », mais dans un délire très différent puisque ça s’assimile à du « loop art », un genre d’interlude d’album de rap ancienne époque, mais avec une guitare électrique et des samples de vocaux plus contemporains.
Et pour finir, Nnenna apparaît aussi cette année sur un titre de l’album de PLAYTIME, groupe d’Atlanta qui fait du rock lui aussi très multi-styles, ça va du slowcore au punk, avec un beau son boueux. Bref, en toute honnêteté, c’est rare que je sois aussi emballé par un.e artiste et je crois que là, Stemlines est clairement un de mes coups de foudre de ces dernières années.
Le charme mystérieux de ce R&B vraiment alternatif, voire carrément venu d’un monde alternatif, c’est que les tracks tournent tous autour de deux minutes. Stemlines, à qui j’ai posé quelques questions par mail, m’a néanmoins expliqué que ce n’était pas intentionnel et qu’elle envisageait plus ces titres comme des essais encore inachevés sur son FL. En ce qui me concerne, ça colle très bien avec mes troubles de la concentration, mais comme ça ne plaira peut-être pas à tout le monde, pour vous sustenter Stemlines a posté sur son Soundcloud un mix de trente minutes avec des morceaux à elle mais aussi de King Krule, Arca, Hannah Diamond, Peggy Gou, Yves Tumor ou même Crystal Castles. Je trouve que la sélection colle bien à l’automne, avec sa vibe à la fois romantique sans narcissisme et dure sans mise en scène, mais je dois avoir été influencé par l’automne pluvieux qui régnait dimanche dernier quand je l’ai écouté, dans un parc, avec autour de moi plein de groupes de gens qui marchaient d’un pas incertain, comme souvent dans les parcs.
Je vous invite pour terminer à aller écouter une amie de Nnenna qui se fait appeler Sanguine et qui fait elle aussi des choses freaky lo-fi très réussies (dans une veine qu’on pourrait qualifier faute de mieux d’électropunk, mais quand même très loin de Kas Product et autres) et plus généralement à vous intéresser à tout ce qui se passe du côté de la scène dance/électronique d’Atlanta. Sachez en tout cas que Stemlines sort bientôt un nouvel EP prévu pour novembre, et sur ce, je vous souhaite un bon weekend à toutes et tous – à lundi !
Un commentaire
C’est merveilleux merci beaucoup!