Alcoolisme et trésorerie : les musiques de films chez Serge Gainsbourg

SERGE GAINSBOURG Gainsbourg compositeur pour le cinéma
playlist YouTube, 1960-1990
Écouter
YouTube
Musique Journal -   Alcoolisme et trésorerie : les musiques de films chez Serge Gainsbourg
Chargement…
S’abonner
S’abonner

AVERTISSEMENT :

L’article ci-dessous est une version très amendée, datant du 10 novembre, de celui que j’avais initialement publié quatre jours plus tôt. Je l’ai modifié après avoir reçu un message d’une lectrice qui exprimait sa déception de voir un média chanter une énième fois les louanges de Serge Gainsbourg sans prendre la peine de rappeler que derrière ses disques, le chanteur et compositeur avait vraisemblablement eu, tout au long de sa vie, un rapport plus que problématique aux femmes, et cultivé à travers une partie de ses textes une vision très dégradante de celles-ci. Et en effet, le message de cette lectrice m’a fait prendre conscience que j’avais eu tort de ne pas rappeler pas à quel point, malgré leurs fréquents éclairs de génie, les paroles de Gainsbourg pouvaient profondément, et sans ambiguïté possible, objectiver et mépriser les femmes, de façon obsessionnelle, dans un style littéraire devenu aujourd’hui glauque et daté.

D’autre part, les propos tenus en septembre dernier par Lio dans le podcast Transmission d’Arte Radio ont laissé entendre que le chanteur avait souvent pu se comporter de façon abusive avec les femmes qui l’entouraient. Gainsbourg est mort depuis bientôt trente ans et il est trop tard pour connaître l’exacte vérité des faits, mais je serais tenté de davantage croire en la parole de Lio qu’en celle d’un homme qui s’est permis de tripoter Whitney Houston lors d’une émission de grande écoute en lui disant « I want to fuck you ». J’ai revu la séquence et il faut saluer au passage, au cours de l’interaction, l’attitude chaque seconde plus fierce de Whitney qui commence par lâcher un « whaaaattt » outré, quoiqu’encore poli, avant de répondre au « I’m not drunk » de Gainsbourg un très sobre « Are you sure ? » assorti d’un regard de tueuse.

Mais ce que je voudrais surtout ajouter à ce sujet, c’est que le Gainsbarre salace, qu’il ait été ou non un « personnage », une performance, a en tout cas permis à l’homme et artiste professionnel Serge Gainsbourg de créer une puissante aura autour de lui et d’ainsi bénéficier d’une solide immunité, de son vivant puis de façon posthume. Il s’est façonné une sorte de passe-droit qui a transformé ses fréquents dérapages de prédateur en démonstrations de panache façon « lui au moins il dit ce qu’il pense », zero fucks given. Et de fait la plupart des gens pensent encore que oui, il était sûrement lourdingue, poivrasse, libidineux, incestueux, pédophile, « mais quand même quel génie ! » Soyons clairs : OK, c’était un musicien d’exception, et non, il ne s’agit pas de s’interdire à tout jamais d’écouter sa musique, mais ça n’empêche que non, son talent ne lui donnait pas le droit de se comporter comme un gros porc en toute impunité. 

Alors certes, aujourd’hui je me pose en social justice warrior, alors que la semaine dernière je m’en foutais, et il faut donc aussi que j’explique pourquoi je n’ai pas songé à parler de tout ça depuis le début. C’est qu’en gros, si je devais résumer mon rapport à la musique et aux musiciens, je dirais que les musiciens, eh bien lorsque j’écoute leurs chansons, en général je m’en fous complètement de leur vie, hors de leur parcours artistique et discographique. Que ce soit de gros connards ou des gens merveilleux, j’oublie totalement qu’ils existent en tant qu’êtres humains quand je me plonge dans leurs travaux. Même si, dans le cas de R. Kelly ou de Gainsbourg, je ferai en sorte de ne pas écouter leurs morceaux en compagnie des gens que ça agresse, et que je ne n’achèterai pas leurs disques ni n’en ferai la promotion. 

Si j’arrive ainsi à oublier si vite les vies réelles des artistes dont j’aime la musique, c’est que j’ai tendance à me dire que la musique fait partie des choses qui, précisément, font oublier deux minutes que les hommes (et quand je dis les hommes je pense surtout aux mâles, il faut bien le dire) sont bien souvent des créatures égoïstes ou du moins peu capables de se remettre en question et de s’ouvrir à l’altérité. La soif constante de reconnaissance narcissique et le besoin sans fond de satisfaction immédiate qui nous caractérisent parviennent à se faire temporairement oublier grâce au miracle de la musique, à la fois du côté des artistes et de celui des auditeurs. Je crois que ce puissant pouvoir de dépersonnalisation de la musique contribue beaucoup à mon attachement à elle : plus que le cinéma ou la littérature, elle réussit à faire disparaître la pesanteur humaine, juste pour quelques instants. Ça peut sembler problématique de dire qu’on zappe ainsi les individus derrière les œuvres, surtout quand il s’agit d’artistes qui parlent de leur vie quotidienne ou de leurs traumatismes intimes. Mais honnêtement, n’ayant moi-même jamais été victime d’agression ou de harcèlement, je n’arrive pas à faire autrement, je vous mentirais si je vous disais le contraire. Du coup, je ne favorise pas davantage les rares personnalités pleines de chaleur et de bonté que je ne discrimine les innombrables ordures qui ont excellé dans l’histoire de la musique : quand la chanson d’un artiste arrive dans mes oreilles, c’est comme à la Légion étrangère, le casier s’efface. Et dans le cas de Gainsbourg, la beauté de sa musique, surtout lorsqu’elle est instrumentale comme souvent dans la playlist ici proposée, ne peut pour moi être salie par la connaissance de ses abus, si répétés et si atroces fussent-ils. Il arrive qu’une expérience esthétique reste imperméable à une expérience morale, et inversement, que l’émotion artistique désactive l’empathie, ne serait-ce que le temps d’une chanson. Je sais, ça a l’air roublard comme ça et je ne mesure peut-être pas la portée que ça peut avoir si on l’applique à d’autres objets, mais bref, voilà où j’en suis pour le moment. 

***

Si la discographie de Serge Gainsbourg sous son propre nom ou pour ses multiples égéries est aujourd’hui très bien connue, on a tendance à un peu moins écouter son énorme production pour le cinéma. Certes, les fans connaissent, il y a même eu des anthologies qui ont diggué la zone, et je sais bien que je ne suis pas en train d’exhumer des pépites jamais entendues avant. Mais je trouve salutaire, en tant qu’auditeur, de se dire que si jamais on a un peu trop écouté Melody Nelson, L’homme à la tête de chou ou Love On The Beat, on peut aller piocher dans cet immense corpus de bandes originales, car Gainsbourg en a composé pas loin d’une centaine au cours de sa carrière – pour des raisons qui étaient probablement liées à ses besoins en trésorerie, eux-mêmes probablement dûs à son alcoolisme.

Alors, j’ai juste sélectionné une dizaine de morceaux que je trouve superbes, ça part des années soixante jusqu’à 1990 avec le thème de Stan The Flasher, et franchement c’est fou comme c’est fluide et cohérent, contrairement à sa discographie solo qui peut parfois sembler confuse tant les albums partent chacun dans leur direction. Tout n’est pas instrumental, loin de là, on entend Gainsbourg chanter notamment sur « Manon », « Slogan » avec Birkin, et puis avec Brialy sur « Boomerang » (où j’adore la façon de chanter de Jean-Claude, qui ne cherche pas du tout à faire son chanteur et qui au contraire se contente de jouer un dialogue en chantonnant un peu, c’est formidable), la chanson de Charlie Brown ou encore le satirique et groovy thème de Goodbye Emmanuelle, une fois de plus avec Jane. L’Horizon écrit avec Michel Colombier est fantastique aussi, et puis le générique de La Horse également, cette fois-ci avec Jean-Claude Vannier. C’est très intense de se plonger dans ces plages sans voix et sans structure « chanson » puisqu’on y entend d’une certaine manière le potentiel grand compositeur qu’aurait voulu être Gainsbourg, avec une écriture qui en termes de sentiment sonne mi-slave mi-française. Et puis j’ai aussi voulu aller vers son côté eighties avec, outre Stan The Flasher, la B.O. de Tenue de soirée, dont le thème est le même que le morceau « Ouvertures Éclair » sur l’album Lemon Incest de Charlotte.

J’espère que cette sélection de tracks pas tout à fait obscurs, mais peut-être pas assez cités, vous plaira autant qu’à moi et permettra de visiter un peu mieux cette région de l’œuvre de Gainsbourg. Et je sais que j’ai omis d’inclure plein de choses, par exemple le thème du film Le physique et le figuré, mais c’est mon côté « j’aime pas trop l’italo », je suis comme ça. Allez bon weekend.

Quoi de mieux que la salsa avec des synthés ?

La salsa fait son entrée dans les pages de Musique Journal avec Top Secrets, un album d’un des maîtres du genre, Willie Colón, sorti en 1989 et agrémenté de superbes claviers électroniques qui ne plairont peut-être pas aux puristes. 

Musique Journal - Quoi de mieux que la salsa avec des synthés ?
Musique Journal - La discographie tantôt dionysiaque, tantôt spartiate d’un ancien membre des Rallizes Dénudés

La discographie tantôt dionysiaque, tantôt spartiate d’un ancien membre des Rallizes Dénudés

Du bordel vivifiant façon « free pop rock avec les doigts » à l’électronique glaciale et affûtée, il y a moins qu’un pas, pour Kiyohiro « Doronco » Takada. Penchons-nous sur les trois albums hétéroclites et fabuleux sortis par le mythique membre des Rallizes Dénudés avec sa formation Doronco Gumo.

La house vitaliste selon Louie Vega au Sound Factory Bar

On vous parlait la semaine dernière de Kenny Dope Gonzalez, moitié du duo house Masters At Work. Aujourd’hui, on revient cette fois-ci sur son binôme Little Louie Vega, et plus précisément sur un mix enregistré à l’époque où il jouait chaque mercredi dans un club mythique de Manhattan, le Sound Factory Bar.

Musique Journal - La house vitaliste selon Louie Vega au Sound Factory Bar
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.