L’archipel basse fidélité de Lexi Disques

AYMERIC DE TAPOL J'ai dansé avec elle
Lexi Disques, 2016
CÉLINE GILLAIN What Happens If I Open My Mouth
Lexi Disques, 2017
BENJAMIN FRANKLIN Loupiotes
Lexi Disques, 2008
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Lexi Disques est un label bruxellois qui existe depuis maintenant treize ans et porte la spécificité de sortir uniquement des 45-tours, ces petits disques vinyles qui se vendent si mal chez nos disquaires et nous font nous relever de notre chaise ou de notre canapé toutes les trois minutes. Résumer son catalogue à ce seul choix de format ne serait pourtant pas lui faire honneur. Le principal argument qui me fait revenir vers les disques Lexi depuis des années maintenant, c’est qu’ils présentent tous sans distinction une authenticité rare et une beauté, à mon sens, presque alarmante. Je n’ai jamais croisé Catherine Plenevaux, qui a créé le label et le dirige (seule, à ma connaissance), mais je chéris secrètement le doux rêve de la rencontrer un jour. Elle semble survoler le plus simplement du monde son entreprise admirable. En choisissant deux petites chansons d’artistes singuliers, elle nous permet (presque) à chaque fois d’assister à la création d’échappées musicales concises mais justes. Pour être franc – et un peu plus trivial –, je pense que Catherine est le genre de meuf qui n’en mettra jamais une à côté. 

On serait tentés de voir le format 45-tours comme une contrainte qui pourrait museler les fondations artistiques d’un disque, ou d’imaginer qu’un gros tube est nécessaire pour s’autoriser à sortir une chanson par face. Pourtant, je crois que chez Lexi, on n’a jamais eu envie de s’emmerder avec de telles considérations, et c’est tant mieux. De la même façon, toute tentative de genrer précisément les sorties du label s’avère nulle et non avenue. Le spectre de Catherine semble très large, et son courage et sa volonté de passer du chaud au froid, sans se soucier de désarçonner son audience, sont une bouffée d’oxygène. Oui, je crois que tout me parle dans les disques Lexi, même le site Internet multicolore période Wanadoo-ADSL du nouveau millénaire, les macarons tamponnés à la main ou encore le choix très « je-m’en-bas-les-roubignoles » de ne pas sortir les disques en digital, il faut te démerder mon garçon. Le label a édité 25 disques et même si tous ne me touchent pas avec la même intensité, chacun possède une forme de grâce et de rayonnement à mes yeux. C’est comme ça. J’en ai choisi trois pour vous : 

AYMERIC DE TAPOL – J’ai dansé avec elle (Lexi018 – septembre 2016)

Ce disque d’Aymeric de Tapol est sorti à la suite des 45-tours de Capelo et de Colombey ; ce triptyque lexien m’avait à l’époque particulièrement marqué. Je crois que c’est d’ailleurs à ce moment précis qu’essayer de faire comme Catherine – mais en beaucoup moins bien –, m’a paru une bonne idée et que j’ai lancé le Syndicat des Scorpions. Les deux morceaux minimalistes sont donc composés sur un orgue électronique et on imagine fort bien ne pas réussir à faire trois pas dans l’appartement d’Aymeric sans buter sur des dizaines de vieux synthés ou autres machines chinées on ne sait où. Le côté saccadé des mélodies génère une mélancolie qui n’est pas de tout repos, mais l’ensemble résonne néanmoins magnifiquement. Ça m’évoque Regis Turner ou encore des projets beaucoup plus vieux, du style Casiowork de Gust de Meyer, voire peut-être André Brasseur, que je connais mal, n’étant pas belge moi-même. À l’écoute de ces cinq minutes, on peut se dire que tout cela est plutôt simple, à la lisière de la banalité. Il ne faut sans doute pas être un pianiste émérite pour accoucher de telles compositions. Certes, mais il faut aussi être un sacré branquignol pour ne pas reconnaître le halo de gloire qui nimbe ces morceaux, dont se dégage une splendeur limpide et franche. D’accord, cette description est un peu pétée mais c’est pourtant vrai. Même si un aspect nostalgique se cache aux coins des notes, ça n’est même pas fondamentalement triste. Love is in the pipe.

CELINE GILLAIN – What Happens If I Open My Mouth? (Lexi020 – juin 2017)

C’est un peu comme Catherine : j’aimerais trop que Céline Gillain soit ma pote. Je la suis sur Instagram et elle est vraiment très drôle. En plus elle fait aussi de la super musique. Les disques Lexi ont eu le nez creux en produisant sa première sortie en 2017, avant la confirmation l’année suivante sur le label DRAMA de Bad Woman, premier album de Céline et chef-d’œuvre potentiellement inégalable. Ces deux tracks laissaient déjà deviner le caractère indicible des créations de Gillain, leur beauté bizarre et leurs agencements géniaux. Sur « I Can’t Connect », tu as vraiment l’impression que tout est calculé à la seconde près et que chaque note est choisie avec la pression du poids du monde sur les épaules. Tout est super bien fait, la dimension club ne prend jamais le dessus sur la douleur (du moins je le ressens comme ça) qu’elle veut aussi transmettre. La face B est beaucoup plus ambient dans l’approche et aussi cent fois plus dark. Il faut attendre les trois quarts du morceau pour être plus ou moins sauvé par une légère mélodie de synthé mais les voix ne te lâchent presque jamais, te guidant jusqu’aux confins d’un troublant océan électronique. 

BENJAMIN FRANKLIN – La Pente / Loupiotes (Lexi001 – automne 2008)

La toute première sortie Lexi. Je ne sais absolument rien de Benjamin Franklin (aka Francart dans le monde réel). J’avais 9 ans quand sa première cassette est sortie, L’Addition. Le titre « Loupiotes », que l’on retrouve donc ici en face B, était déjà sur cette K7 et semble être un peu un hymne pour tous les musiciens adeptes de chouinerie minimaliste tels TG Gondard (d’ailleurs Benjamin a aussi sorti une K7 sur l’un de ses labels, les Disques de l’Oubli) ou Anne Laplantine. TG a même déclaré que « Loupiotes » était la « best track ever ». Difficile de lui donner tort tant cette simple comptine peut bercer chaque petit recoin de ton âme et te laisser dans la béatitude la plus complète. La face A me parle un petit peu moins, plus agressive et expérimentale, dans une démarche clairement opposée mais tout de même intéressante. Une citation sur le site de Lexi décrit Benjamin comme le « roi sans couronne du Casio-bepop ». J’ignore ce à quoi Benjamin Francart occupe désormais ses journées. Est-ce qu’il continue le Casio-bepop sans le dire à personne ? Ce que je sais, en tout cas, c’est qu’il a laissé un bel héritage en peu de morceaux, une marque indélébile sur beaucoup de gens. 

J’aurais pu évoquer de la même manière les 22 autres disques Lexi. Par exemple le sublime essai de Nathaniel Davis sous le pseudonyme Unchained, deux joyaux de bedroom pop à la guitare. Ou le désormais classique « J’ai tout oublié » de Colombey, hit suprême pour la génération bières fortes, où la vérité débarque à 2 minutes 12 secondes. Ou encore le premier disque des Capelo, « Utrecht » et les feux d’artifice de son clip qui ne m’ont jamais vraiment quitté depuis la première écoute. Fiesta En El Vacio, il y a deux ans, et ce morceau « Le Pont », capable de vous hanter très longtemps. Bref, ce catalogue est un modèle d’élégance maîtrisé de A à Z. Achetez et écoutez les disques Lexi. No man is an island. 

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