Coucou.
Le soleil brille ce matin, mais je galère encore à déterminer la couleur du ciel ; la luminosité est intense, la chaleur encore assez diffuse – en d’autres termes, c’est un peu la déprime. Rien de bien énervé, hein, mais comme je rentre de tournée, je viens de me prendre une dose incommensurable de gens, de musique, d’alcool et d’émotions (surtout en ce qui concerne les calimuchos), le tout dans un Sud de la France toujours tellement intense – mais à la météo un poil mitigée, déso – pour moi, fragile francilien. Je dois avouer que le retour dans la communauté d’agglo de Babylone s’avère du coup bien technique.
Bref. Je n’étale pas mes expériences et états d’âmes de but en blanc pour me faire mousser, moi, l’infiltré à multiples casquettes que je suis. Il s’agit évidemment de parler de musique, et même d’une chanson qui selon moi cerne avec une justesse infinie ces différents sentiments, sensations et ambiances qui me traversent là, mais qui je pense traversent aussi beaucoup d’entre nous, êtres plus ou moins jeunes façonné.es par la modernité musicale occidentale. Une chanson d’immobilité douce et déchirante, de redescente et de tranquillité accablée ; un moment de retrait volontaire du monde, causé par un trop-plein de ce même monde.
Mes ami.es, « On the Beach », de Neil Young.
J’ai découvert cette chanson à l’adolescence, en farfouillant dans la discothèque gargantuesque de mon père (réédition CD, s’il-vous-plaît, toute une époque), et la correspondance entre la pochette et la matière sonore m’a directement saisie. Ce que je voyais, je pouvais l’entendre (et inversement), dans une révélation synesthésique : cette voiture enfouie dans le sable ; ce gars tout seul, littéralement à côté de ses pompes ; le bleu vaporeux du ciel et de la mer, amplifié par une luminosité froide (il pourrait bruiner) ; ce mobilier de plage fleuri un peu fun, mais qui devient dans ce contexte hyper déprimant.
Tout s’enfonce, à l’écoute, et on ne peut pas s’échapper de ce qui se tisse, réverbère, bat dans ce blues, stéréotypique dans la forme, mais esthétiquement si particulier. La section rythmique est la plus laidback de la Terre, et une paire de congas la distend encore. Le son de la basse est tellurique, le jeu tellement sensuel et réservé ; ces guitares jouées avec une finesse céleste, d’où la distorsion pointe juste quand il le faut ; les solos clairement too much, l’orgue Wurlitzer en tapis, la pointe d’harmonica (je ne rêve pas ?) à peine discernable… Et puis la voix du Neil, toujours sur le fil, toujours juste. Je suis à chaque fois à deux doigts de la chiale quand il sort son « All my pictures are fallin’ / from the wall where I placed them yesterday ». Je n’en peux plus, l’équipe est d’une solidité sans faille. Pourtant, on sent la session « en direct » de mecs bien stone : il me semble d’ailleurs qu’à l’époque, Young était bien branché herbe, et la présence dans le studio de ses compères David Crosby et Graham Nash, deux gros potheads, a pas dû arranger le truc.
Les paroles complètent à la perfection ce chant, et saisissent comme aucune autre chanson anglophone – selon moi hein, je suis sûr qu’il y en a des milliards, si vous avez des suggestions on vous écoute ! – cet état particulier d’amertume gracieuse et de douce déprime, ces larmes qui doivent sortir parce que la beauté s’en va toujours, à un moment. La production du morceau, assez rêche, limite à la va-vite, ne le dessert cependant absolument pas, et l’augmente même d’une dimension supplémentaire. Ça croustille, mais c’est d’une clarté totale : tout se complète, s’aligne, résonne forcément avec le moment présent, ou une expérience plus ou moins proche. Un moment où on a pu se laisser couler, pour le plaisir.
L’album On the Beach tout entier diffuse cette sensation : c’est une œuvre complète et cohérente, bien qu’assez diverse – « Walk On » par exemple, l’ouverture de l’album, possède cette même patine, mais sent beaucoup moins le cendrier qui déborde. Avec la chanson-titre, on se trouve cependant dans le dépassement, dans la grâce pure. Je crois que pour moi, musicalement, la Californie ça ne peut être que ça, au final. J’adore Dennis Wilson et les Beach Boys, mais là on touche à une vérité quasi transcendantale : du cool non dilué, également composé de chaleur et de mélancolie. Un soleil froid pour lequel il faut déposer les armes et rester là, sidéré.e, minéral.e.
Selon Wikipédia, « On the Beach » parle des « inconvénients de la célébrité », ce qui me paraît légèrement réducteur. La justesse d’une telle chanson se trouve justement dans sa façon de nous parler simplement, sans pour autant nous donner toutes les clés, de ce qui se passe en dedans (du musical et de l’être) ; d’avoir mis en forme ces moments d’incertitude et de basculement, de faiblesse assumée.
« I need a crowd of people / But I can’t face them day to day / Though my problems are meaningless / That don’t make them go away » : tout est là.
Disclaimer : la petite histoire, c’est que durant la tournée mentionnée plus haut, j’ai joué avec mes camarades une adaptation libre et en français de cette chanson. Mon objectivité, déjà bien douteuse, ne tient plus du tout. Et c’est tant mieux !
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