Twee pop avec forte fièvre et légères hallucinations

JODY & THE CREAMS A Big Dog.n
Cordelia, 1990
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Musique Journal -   Twee pop avec forte fièvre et légères hallucinations
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Vous aimez les ballades de Sarah et K Records, les paroles faussement naïves, les voix douces de girl-next-door et les enregistrements granuleux ? Mais vous avez aussi un faible pour les artistes borderline du type Zappa, R. Stevie Moore ou The Residents ? En somme, votre cœur balance entre les lettres d’amours adolescentes parfumées à la rose et les conversations de cantine d’hôpital psychiatrique ? Alors il y a de bonnes chances pour que le disque dont je vais vous entretenir parvienne à vous toucher. En revanche, si vous trouvez qu’apprécier les Shaggs est une posture post-ironique et que vous ne tenez pas plus de vingt secondes quand on vous fait écouter Ween, autant passer votre chemin. 

Sorti en 1990 par Jody and the Creams, l’une des innombrables formations dont l’Anglais Alan Jenkins fut la tête pensante, cet album est à l’image du chat obèse qui orne sa pochette : aussi moche qu’adorable. C’est justement cette double sensation qui rend si attachante sa twee pop fanée, grignotée par le crépuscule et la poésie absurde. Alan Jenkins, dont on connaît mal la longue carrière, n’a sans doute pas eu la reconnaissance qu’il mérite, même au sien des sphères indie/lo-fi. Son parcours aux faux airs de sandwich monstrueux, voire de pièce montée, commence à la fin des années 70. Sous le nom de The Deep Freeze Mice, il sort d’abord dix albums peu catégorisables entre 1979 et 1989, où se succèdent des morceaux qu’on ne s’étonnerait pas de voir apparaître dans des compiles de post-punk et des ectoplasmes sonores nettement plus relevés voire carrément pimentés. On entend, dès l’inaugural My Geraniums are Bulletproof EP une envie de salir de jolies mélodies, de les malmener un peu, en les confrontant à des blocs de sons plus aléatoires. Jenkins a surtout la manie d’incruster chaque fois une sorte d’album dans l’album (ou disons de mini-album dans l’album) en plaçant un collage de plages instrumentales. Cette construction en poupées russes, où la plus petite figurine est une sorte de parenthèse expérimentale, se retrouvera un peu partout dans sa discographie – une obsession manifeste pour les œuvres inachevées. Dans tous ses projets, Alan montre cette envie de désosser le squelette de la pop pour qu’elle se rapproche davantage du flux de conscience que d’un schéma narratif ronflant.

Un an après le dernier album de The Deep Freeze Mice, The Tender Yellow Ponies of Insomnia (que je vous recommande aussi d’écouter pour l’ambiance de goûter d’anniversaire qui dérape, où le clown soigne sa gueule de bois sur un clavier Fisher Price), Jenkins et quelques copains de son label Cordelia accouchent de l’extraterrestre A Big Dog.n. Quelque part entre la bande originale d’anime japonais, la saillie onomatopéique du BBC Radiophonic Workshop et la perfection pop des Zombies. Les effluves de thé au lait et de crumpets sont bien là, mais on n’est pas non plus tout à fait sûr d’avoir émergé d’une succession de rêves interminables. Est-il vraiment nécessaire de faire le tri dans la création ? Entre les répétitions et le concert, entre les erreurs et les éclairs de génie, entre ce qu’on considère être de l’art et les essais qui le précèdent ? The Creams semblent penser que non, empilant tous les bouts d’idées, les bribes de conversations banales, sautillant d’un genre musical à un autre, passant à la trappe logique et bon goût dans un même élan enthousiaste. Comme ce passage spoken word sur fond de bruitages synthétiques où la chanteuse – probablement Ruth Miller – se moque des travers intellos de certaines pratiques expérimentales, froissant un paquet de chips en guise de musique concrète. Même si elle est l’excroissance d’une culture plus ou moins arty, l’approche du groupe est plus instinctive que conceptuelle. Pour vraiment s’amuser, il faut parfois oublier son auditeur. C’est un peu ce qui fait le charme ineffable de l’album : cette sensation d’espionner une jam session à travers la vitre d’un studio d’enregistrement.


Comment ironiser sur un langage de la musique auquel on participe soi-même sans tomber dans une grosse blague ? Loin d’être un manifeste anti-conventionnel, A Big Dog.n prouve une nouvelle fois qu’un amateurisme revendiqué peut être aussi touchant que les œuvres des esthètes les plus maniaques. Et l’autodérision du groupe n’est jamais un frein au plaisir procuré par sa pop fragmentée, qu’elle soit hyperactive ou défoncée au valium. Il y a quelque chose de mystérieux dans le pouvoir de certaines dissonances à donner de la matérialité, à saisir plus profondément la fragilité du geste créatif. Comme R. Stevie Moore, l’un de ses maîtres à penser, Alan Jenkins sait très bien comment produire un tube rond et confortable, calibré pour la radio, mais il n’a pas pour autant prévu de cesser de jouer avec vos nerfs.

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