Deux membres de la Novià se sont pris pour Cut Killer et c’est plutôt magistral

La Novià Rain Be For Rain Bo
Desastre, Standard In-Fi, La Novià, 2022
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Musique Journal -   Deux membres de la Novià se sont pris pour Cut Killer et c’est plutôt magistral
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Comme la moitié de cette planète en burn out il me semble, j’habite maintenant à Marseille. Je savais qu’un exode assez massif avait débuté depuis un certains temps, notamment chez les gens de la musique ; mais se rendre compte de l’ampleur du phénomène en direct, c’est quand même quelque chose. Surtout que la racaille de mon espèce n’a pas été la seule à effectuer le déplacement, de manière plus ou moins définitive : il y a du et de la cadre supérieure en variation provençale, de l’instagrammeur·se, la ligue des entrepreneur·ses audacieux·ses dans son entièreté, des familles, des milliards de touristes… Et puis la mer quand même.

Bref tout ça pour dire qu’en partant de ma région francilienne pour retrouver ma belle – c’est de ça qu’il s’agit, évidemment – , je me doutais bien que j’allais retrouver une bonne foule de personnes croisées dans des tournées et en concerts, ce peuple des musiques insensées éditées à 50 exemplaires en cassette ; voir des ami·es expat’, mais aussi en rencontrer de nouveaux ; faire des choses, mais tranquillement, sous ce soleil de Satan. Jeudi dernier par exemple, je me trouve en pleine galère pour écrire mon article de la semaine ; c’est le trou, et j’hésite carrément à écrire sur Manuel Göttsching et les albums tardifs de Ashra. C’est alors que mon ami Vincent, respectable CEO de Desastre et néo-marseillais depuis plus d’un an – un ancien, quoi – vient prendre le coup et me débloque par la même occasion la situation, en sauveur.

En effet, l’homme me donne une cassette, comme ça, par gentillesse, qu’il vient juste d’éditer en collaboration avec le label / mètre étalon suprême de la classe Standard In-Fi – dont Étienne vous parlait au début du mois en encensant le dernier album du groupe Omertà – et La Novià, puissante assemblée se saisissant des musiques traditionnelles dans une optique expérimentale (et inversement). Assez miraculeusement, il s’agit d’une mixtape de « musiques du Sud », enfin c’est ainsi que je le ressens. Pas uniquement le Sud PACA, mais plutôt celui d’une grande Occitanie – celle des sept provinces, du Royaume d’Aquitaine et des langues d’Oc, de Felix Marcel-Castan. Une entité large et multiple, énigme aux contours forcément évasés. Comme quoi, le hasard fait les choses bien.

Toute la musique présentée sur Rain Be For Rain Bo (c’est le nom de cette cassette) est en fait issue des différents projets des musicien·nes de La Novià et est assemblée dans un esprit MEGAMIX par Yann Gourdon (que l’on peut trouver, surtout à la vielle, dans un nombre ahurissant de projet, dont le groupe de zinzonautes kraut nommé France) et Guilhem Lacroux (fantastique guitariste solo et pilier rigolard de la supernova Tanz Mein Herz), chacun s’occupant d’une face. Et évidemment, si je vous en parle, c’est que ça défonce. Les matériaux sont assez hétéroclites – extraits de morceaux dont beaucoup d’inédits, pistes instrumentales et lignes de chant, fragments d’enregistrements live – mais agencés avec une une telle finesse que tout cela arrive à tenir du collage en sonnant naturel.

Les tonalités se frottent, les trames aussi. J’entends de nombreux bourdons, des motifs mélodiques qui se juxtaposent, une myriade de détails… C’est un boulot de (re)composition complètement dingue, où les chevauchements sont toujours à la fois désarçonnants et évidents. On prend part à une épopée traversant un archipel dont les îles ont pu former, il y a extrêmement longtemps, une unité géologique majestueuse. Il y a toujours cette itinérance, une quasi-impossibilité à se fixer sur ce récif monumental ; on se laisse égarer avec la certitude que se remémorer en détails sera difficile, et en fait pas vraiment utile. Le cheminement compte, voilà tout.

Les deux faces peuvent d’ailleurs être appréhendées comme des pièces déroulant des matériaux semblables de manières différentes. Des endroits se répondent, évidemment – les chants et les paroles à chaque début, les transitions en morphing sidérales –, mais il y a une façon de mettre en dynamique propre à chacun des compositeurs. Là où Guilhem va installer un continuum se densifiant au fur et à mesure, une spirale pleine qui désoriente, nous élève toujours plus, Yann va lui travailler le morcelé – sans jamais que ne se perdent les sons continus, bien évidemment – et faire résonner de manières parfois très surprenantes des corps sonores entre eux – mélodiquement, harmoniquement, narrativement et dans les textures. La seconde moitié de sa composition est d’ailleurs extraordinaire : on entre dans un espace qui se fend par le milieu et fait exister quelque chose de nouveau, je ne sais pas encore exactement quoi, mais ça me chamboule total. J’en profite pour signaler que Guilhem Lacroux, Yann Gourdon et leurs formations respectives et consanguines se produiront dans moins de deux semaines, le 7 août pour être exact, dans le cadre libre du premier festival Rituale à Saint-Roman-de-Codières, dans les Cévennes, et que l’on a toutes les raisons de penser que ce sera un grand moment de musique et de joie intenses.

Car Rain Be For Rain Bo est ainsi, une œuvre collective assez simple et belle, un défi d’expérimentation à la John Dewey relevé haut la main. J’aime beaucoup ce qui transcende d’une manière artisanale, quand le savoir-faire s’incarne, musicalement mais pas que, dans plein d’autres façons de faire, aussi. D’ailleurs : l’artwork est de Félicité Landrivon (que l’on a plusieurs fois lu ici et qui s’occupe de Ventoline), dont le travail graphique est toujours au top, y’a pas à dire.

PS : et évidemment, un gros bravo à tout les musicien·nes présents sur cette cassette – et dont on peut détailler les apparitions grâce au livret en riso de Félicité, toujours : Perrine Bourel, Mana Serrano, Yann Gourdon, Yvan Etienne, Pierre-Vincent Fortunier, Basile Brémaud, Antoine Cognet, Guilhem Lacroux, Jacques Puech, Clément Gauthier, Isabelle Deproit, Christel Boiron, Marthe Touret, Nicolas Roche et les enfants de la Calendreta Velava.

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