La discographie tantôt dionysiaque, tantôt spartiate d’un ancien membre des Rallizes Dénudés

Doronco Gumo OLD PUNKS
FUYUSOUBI / Holy Mountain, 2008 / 2009
Doronco Gumo Oldtribe
Selection Records / Manstar, 2019 / 2020
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Musique Journal -   La discographie tantôt dionysiaque, tantôt spartiate d’un ancien membre des Rallizes Dénudés
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Je l’ai déjà dit ici, je ne suis pas vraiment de la race des diggers. Je me plais à réécouter assez souvent les mêmes choses, parfois très connues, à me contenter de ma collection de disques, évidemment en expansion perpétuelle mais raisonnable. La quête, l’exploration volontaire, ce n’est pas vraiment mon truc : je préfère, au hasard, de manière assez erratique et absolument non systématique ou régulière, tomber sur des trésors connus ou non qui, paradoxalement, construiront mes « moi-musiquant » et « moi-musiqué » du futur.

C’est exactement ce qui s’est passé cette semaine. Pris d’un accès de curiosité impromptu pour le line-up des Rallizes Dénudés, ce groupe japonais énigmatique et dangereux, fondé en 1967, dont le nom serait au départ une création d’argot français fictionnel proposée par une troupe tokyoïte de théâtre d’avant-garde, et qui se trouve à la genèse d’un rock très, très noise. Je me suis donc mis à checker sur Discogs les pages de toustes les musicien·nes passé·es par ses rangs. J’ai découvert pas mal de choses plutôt cool (Molls, avec Hiroshi Nar, j’adore !), mais un musicien en particulier a retenu mon attention : Kiyohiro « Doronco » Takada.

Ce qui est déjà notable avec ce personnage, c’est qu’il n’est crédité, lors de ses apparitions avec les Rallizes, qu’en tant que performeur, sans que l’on sache vraiment où, quand, comment il a joué avec le groupe. Il semblerait qu’il y ait officié en tant que bassiste et il est notamment présent sur la mythique VHS 裸のラリーズ de 1992, rassemblant des performances de 1973 à 1986, ce qui nous donne une idée de sa période d’activité au sein de l’ensemble explosif. Si Takada est plus souvent mentionné en tant que technicien qu’instrumentiste – il est surtout bassiste mais aussi guitariste et « vocaliste » –, ses apparitions musicales sont tout simplement aussi éclectiques que submergeantes. À l’instar de Doronco Gumo, son projet personnel à géométrie variable (avec pour seul autre constante le musicien Hiiragi Fukuda) et aux choix esthétiques divers.

Doronco Gumo a réalisé trois albums assez différents, voire antithétiques : OLD PUNKS (2009), Man Star (2017) et Oldtribe (2019), que j’adore déjà tous très fort. Chacun à sa façon dénote d’une liberté totale à l’égard de la technique et des genres musicaux, appréhendés sans aucun dogmatisme. C’est notamment très sensible sur OLD PUNKS, où Doronco s’amuse avec les attentes formelles comme on jouerait avec de la pâte à modeler. Tout est là, pour construire des édifices majestueux de beauté, de véritables fragments d’éternité sonore sur lesquels le groupe prend cependant un certain plaisir à pisser et déposer ses crottes de nez. Exemple : l’enchaînement « Kageboushi » / « Iede Syoujyo », avec son monologue en français dit par un dénommé Colin Molter (précisons que Takada habite vraisemblablement le sud de la France) et ses chœurs si faux (Reina Higa au top) qu’ils en deviennent divins. Souvent très en avant et posée, parfois un peu mange-micro, la voix de Doronco est « là », elle assoie une présence saisissante. Tout est rêche et trop plein, ça déborde et tombe à côté, s/o la trompette et le basson. La saturation n’est jamais utilisée avec modération, sur cette guitare tour à tour au summum de la baston puis un peu douce ; la section rythmique (Mako Hasegawa à la batterie, et Kyohiro à la basse) écrase tout, c’est joyeux. On est à ça de la perfection, et en fait non, pas du tout : c’est justement ce qui rend tout cela si incroyablement juste.

OLD PUNKS est donc logiquement un album de punk, dans une lignée conceptuelle assez proche de ce que cela a pu vouloir dire pendant un moment assez court : un je-m’en-foutisme très soigné, chargé de sens, libéré, vivant, expression d’une ligne de vie dont il est impossible de dévier. C’est aussi un album vraiment plein d’espoir (je ne parle que de la musique puisque je ne comprends pas les paroles en japonais), qui nous pousse à continuer le rêve un peu con et désespéré d’un « aller contre » ce qui fatalement, nous absorbe. Ces grilles de piano grandiloquentes et unificatrices, comme sur « Boku Tachi no Rakuen » où l’on retrouve encore un monologue avec un débit bien incisif et des chœurs en français, me donnent carrément envie de me rebeller toujours et tout le temps, non contre une injustice en particulier, mais parce qu’il s’agit un processus vital.

Il y a ici quelque chose de Jonathan Richman, des Pastels, des répètes de garage (le local, pas le genre musical) où plus rien ne peut empêcher de jouer toujours plus longtemps, toujours plus fort ; quelque chose de de très indie et cathartique. On pense évidemment au Velvet, et la chanson « Oretachi no Mawari » qui clôt l’album m’a vraiment saisi comme une première écoute de « There She Goes Again ». Il s’agit là d’expérimentation instinctive mais réfléchie, d’une musique non pas d’avant-garde mais d’« avant-tout », jouée dans un bar bien dans son jus.

Man Star – inversion de Starman, et je pense d’emblée à Bowie –, enregistré lors d’un concert à l’UFO Club de Tokyo en 2007 est encore plus abrupt et déconnant. Il est à première vue antérieur à OLD PUNKS, mais l’équipe est la même, en plus étoffée – les zozos additionnels ont pas l’air triste. Le susmentionné Colin Molter est par ailleurs décédé au moment de la sortie de l’album et son visage orne la pochette, on imagine donc que le disque lui rend hommage sous la forme d’une sorte d’enterrement en grande pompe, avec les honneurs de toute la bande de cramos. Ça tire de partout mais toujours en avant, c’est produit à l’aveugle, voire pas produit du tout, on dirait que le bidule sort direct d’un dictaphone, des trompettes surgissent, c’est le bordel total, magnifique. C’est à la fois free, sincère et pop, comme la plus grande queue leu-leu du monde sous kétamine, et speed, et Gewurztraminer. Malheureusement, la chose n’est pas trouvable dans son entièreté sur le Net « normal », à part deux chansons sur YouTube, « Lulu » et « Harappa« , mais ça se commande facilement en cassette.

Le dernier album en date, Oldtribe, opère un virage à 3 milliards de degrés. Les musiciens ne sont plus que deux (Takada et Fukuda), et l’instrumentarium se fait spartiate, réduit essentiellement à un synthétiseur Korg monotribe et à la voix de Doronco, ainsi qu’à une guitare ou un harmonica, respectivement sur l’ouverture « GOROTA BEACH », puis sur « SEA ». Mais ce qui importe surtout ici, c’est le timbre imparablement monotone de Kyiohiro, ses intonations et placements calculés, déchirants quand il esquisse un chant, cette voix qui se pose, seule, sur ces instrus décharnées et millimétrées. On est dans une ambiance à la Pansonic, mais encore plus sépulcrale. Un Pansonic qui aurait métastasé avec Suicide, surtout « ELASTIC PLASTIC EROTIC », et son solo si SEXY, où je trouve que la voix se pose comme un truc rap, c’est parfait. Rien de vraiment complexe : direct, simple, tranchant, synthétique et crépusculaire, poétiquement imparable.

Doronco a également monté un espèce de super-groupe de l’enfer, spécialiste de la jam bien lourde : Los Doroncos. Il y a convié Kawaguchi Masami des Dustbreeders et du New Rock Syndicate, ainsi que Mako Hsegawa de Maher Shalal Hash Baz. Ça donne une équipe de légendes tout en puissance, qui a sorti un disque sur le label italien 8mn records il y a quelques années. C’est encore un autre style, on se rapproche un peu plus de Up-Tight pour les amateurs, ça rocke sans filet et à fond de balle. Comme quoi Kiyohiro sait tout faire.

En somme, ma découverte de la semaine est sûrement aussi celle de l’année, et je dois encore une fois remercier l’exploration hasardeuse. Je vais changer mon fusil d’épaule et mes habitudes, moi !

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