L’incroyable partition de Christian Gaubert pour “Nestor Burma” se pose entre Saint-Lazare, Los Angeles et Midgar

Christian Gaubert Nestor Burma (Bande Originale de la Série)
Editions Milan Music, 2000
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Musique Journal -   L’incroyable partition de Christian Gaubert pour “Nestor Burma” se pose entre Saint-Lazare, Los Angeles et Midgar
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Je crois n’avoir jamais regardé le feuilleton Nestor Burma à la télé. Bien sûr, je sais qui est Guy Marchand, et mon image du célèbre privé est un amalgame entre les dessins de Tardi et la tronche de l’acteur. Pourtant, je possède les œuvres complètes de Léo Malet, j’ai absolument tout lu, on peut dire que j’ai été un aficionado de sa plume. Enfin, disons que je l’ai beaucoup moins été après m’être enquillé cette somme que sont les aventures de Burma, dont certaines histoires sont marquées par un racisme et un paternalisme hélas encore très bien implantés dans la France du milieu du siècle dernier. Ma lecture en a évidemment été entachée, et une partie du travail de Malet est aujourd’hui condamné pour moi. Aucun regret, c’est comme ça, il faut bien avancer, et puis cet écrivain qui a toujours oscillé entre anarchisme et conservatisme décomplexé (classons-le dans cette fameuse catégorie des anars de droite) n’est de toute façon pas un gars facile à aimer, il est limite exécrable, donc c’est pas plus mal de le zapper.

Mais revenons à Nestor Burma, la série télé, avec mon Guy sûr. S’il s’avère que je ne l’ai jamais regardée (il faut dire que mes vieux n’avaient pas la télé, à la maison), j’ai cependant poncé comme peu de choses sa bande originale, composée par Christian Gaubert, second couteau aiguisé de la variétoche et de la musique à l’image – qui a notamment bossé avec Nicole Croisille et Mireille Mathieu, Bécaud et Aznavour, Francis Lai, François Reichenbach, Francis Leroi, Jean Marbœuf, Lelouch et d’autres.

Avant l’écoute, il y a déjà cette pochette improbable : Guy Marchand (musicien avant d’être acteur, rappelons-le), mis comme un cador, tient d’un bras un chat noir et blanc (Rififi) que l’on devine en ronronnement maximal, à deux doigts de la sieste ; de l’autre, le détective, qui nous mate déjà avec des billes maousses, pointe son calibre dans notre direction. L’accueil est un tantinet ambigu, mais l’ambiance est posée : complets velours et course-poursuites, clopes fumées en intérieur et bourbon vite versé.

Les deux premiers morceaux, les seuls chantés – par Karine Michel et Monsieur Marchand HIMSELF – continue dans cette voie, totale jazzy-lounge, comme dit ma femme. Ça minaude et ça pianote sévère, avec des arrangements (de cordes, notamment) qu’on ne peut qualifier que d’exacts – juste ce qu’il faut, au bon moment. La prestation de Karine Michel, soutenue par une section rythmique coquine (cette basse fretless !) pose le décor très téloche, très lustré. Puis c’est l’entrée du grand Guy, avec sa façon de poser à la fois désabusée et grandiloquente, qui s’élance puis retombe, titubant, un peu bourré, un peu tristou. La façon dont il lance « J’suis privééééé », soutenu par un entraînement harmonique et formel, c’est magnifique. Même sa blague toute nulle (« Est ce que vous connaissez ces deux individus ? Il s’appellent Smith & Wesson, et ils sont très dangereux… ») ne peut souiller la beauté de ce moment. Et pour clôturer cette ouverture, le troisième morceau, qui est aussi le générique, pose une vibe « Steely Dan de la rue Mogador » tout en tutti, avec une basse encore une fois scandaleuse. On ne sait pas si c’est du MIDI ou de la prouesse de studio, la batterie sonne un peu toc mais on s’en fout, on ne peut qu’adhérer à ce projet franchement, jusqu’ici c’est une réussite totale.

Ce qui est fou avec cet album, c’est qu’absolument tout les morceaux sont cool, et sans dialogues pour les parasiter ils deviennent magistraux. Toujours ce côté film noir un peu désuet qui infuse, mais également, plus ponctuellement, des phases futuristes par accident (une nappe dense et glacée ici, la reverb sur un tom compressé là, un FX improbable qui traîne…), comme une collision involontaire entre Blade Runner et Le Doulos (« Panique à Saint Patrick »). Il y a beaucoup, beaucoup de moments de grâce qui ne tiennent à presque rien si ce n’est évidemment à la magie de ces arrangements qui remuent les tripes (les progressions harmoniques, et le sax sur « Mise à Prix »). Gaubert tartine sans pitié niveau cordes (ça me fait penser, dans un genre quand même différent, à l’album Chet Baker and Strings) mais il sait ce qu’il fait et n’a pas peur de le montrer, c’est un délice. C’est complètement maboule, du même niveau que les B.O. des Final Fantasy côté émotion pour moi, on se croirait parfois en plein Midgar. Je pourrais juste décrire les morceaux les uns après les autres, et c’est d’ailleurs précisément ce que je vais faire.

Ensuite donc, c’est « Meurtre à la sauce tomate » (les titres sont directement ceux donnés aux aventures de Nestor Burma par l’auteur, et ils correspondent à des habillages spécifiques de certains épisodes de la série), un truc avec une rythmique un peu salace et loubarde, où le sax oscille entre saillis sous reverb et riff bien frontal (on se demande d’ailleurs si c’en est un vrai, de sax, à ce moment), complété par des guitares mi-Toto mi-Thalassa, avec la satu’ poussée au max. On est entre la retenue et le délire total de zikos de studio, David Lynch qui réalise Lost Highway en téléfilm pour FR3 ; ce truc c’est un nid à samples, franchement si aucun beatmaker ne l’a jamais démonté de fond en comble je m’en occupe direct. Après cela, un enchaînement que j’adore, « Nestor Burma en direct », reprend le thème du second morceau mais en plus cool, un peu dans une veine piano bar ; lui succède « Nestor Burma se brûle les ailes » qui est pour le coup extrêmement cliché avec ses arpeggios au piano qui pourraient être no passaran s’il n’y avait pas cette petite guitare nerveuse mais discrète, qui arrive juste sur la fin pour compléter le tableau. Puis retour sur une variation du « Nestor Burma en direct », toute en cordes et sans le piano, un délice.

Vient enfin « Brouillard au pont de Tolbiac », une des œuvres les plus connues de Malet : on sent que la prod a demandé la double ration de mélodrame, il fallait marquer les esprits. La mélodie est somptueuse, c’est épique et ça en devient insensé tellement ça chiale, avec cette voix spectrale qui n’apparaît qu’une fois pour compléter les cordes, ces montées mélodiques qui éclosent plus qu’elles n’éclatent, j’en ai les larmes aux yeux. Ici, le parallèle avec la musique de jeux vidéos redevient évidente, je pense que Christian Gaubert aurait fait un malheur dans ce domaine, ou peut-être est-il une inspiration inavouée pour les compositeurs nippons, peut-être ces derniers lui vouent-ils même un culte secret, qui sait ?

Les pastilles « Poupée Russe » et « En garde Burma » sont peut-être plus anecdotiques mais toujours de très bonne facture, nimbées dans ce mystère d’opérette – limite menaçant sur « Les affaires reprennent » – qui pour moi caractérise parfaitement l’âme Burma, mi-guignol, mi-mélancolique, un peu violente, aussi. « Poupée Russe » revient une seconde fois dans une version plus enlevée et, sans faire dans la monomanie, il y a des airs de famille très appuyées avec le thème d’un jeu, mais je ne sais plus lequel (peut-être bien un Final Fantasy, là encore) : si une bonne âme se rappelle, je suis preneur.

En clôture, pas de relâchement : « Burma Suspens », morceau très court et étonnant, tout en tension et en suspens donc, où se croisent des percus un peu latines et éparses, des arpèges et des ostinatos isolés de pianos et des violons, des soufflants qui pointent leur nez à un moment pour compléter le truc… Puis enfin l’apothéose, la salivation, la grâce : « Mic mac moche au boulmiche » (ce titre de loulou) où une gratte jazz très taquine vient virevolter (avec une contrebasse en soutient, si jamais, hein) sur des nappes cotonneuses auxquelles se joignent des cordes en vibrato et un ostinato de synthé FM ; et quand on pensait que rien ne pouvait compléter cela, qu’on y était enfin, au nirvana, la batterie – évidement jouée aux balais – entre pour quelques secondes, accompagnée par la contrebasse, puis tout s’éteint, c’est la fin.

Voilà, j’ai l’impression d’avoir écrit « Nestor Burma » et « cordes » 7 000 fois, mais ça en valait la peine. En quarante-cinq minutes ce disque transporte dans un endroit qui a tout de la porte de Clichy, ou de la place Daumesnil, et d’une Californie transtemporelle et irréelle, mais aussi parfois, plus étonnamment, d’un monde chimérique façonné pour la Playstation. Un fantasme impossible qui emprunte à beaucoup de mondes différents donc, intentionnellement ou pas, pour mettre en son une incarnation impeccable de l’univers de Nestor Burma, qui se tient autant que les bouquins ou la série – que je vais justement m’empresser de regarder, car je viens de voir que Joël Séria en avait signé plusieurs épisodes, et qu’il y avait en tout huit saisons, toutes habillées par Gaubert, le bonheur !

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