Plutôt 8-6 que 5-0 : le Hawaï furieux d’Howard Nishioka est une étuve

Howard Nishioka Street Songs
Otaro Records / Big Pink & Vivid Sound, 1979 / 2012
The Fuckin' Flyin' A-Heads Swiss Cheese Back / Watching TV
Otaro Records / De Stijl, 1980 / 2010
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Musique Journal -   Plutôt 8-6 que 5-0 : le Hawaï furieux d’Howard Nishioka est une étuve
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Des accords, des arpèges et des solos de guitare qui se superposent, se croisent et se décalent ; les dubs s’empilent, jusqu’à l’excès. Battements et oscillations, approximations tonales et structurelles, bends et slides pour jams toutes cramées. Ça sature et ça compresse déraisonnablement pour finalement s’ouvrir sur le monde, puis tout se brouille à nouveau. Les aigus grattent souvent, et volontairement, il me semble. Des nuages replets et toujours changeants, en même temps la menace et la providence, voilà ce que sont ces lentes dérives urbano-volcaniques. « Chansons de la rue » : odes oxymoriques et hallucinées d’une pastoralité urbaine, erratiquement américaines. Des chansons qui racontent la violence d’un soleil que j’imagine implacable, la rudesse d’une vie au sein d’îles luxuriantes – je pense intuitivement aux descriptions des jardins monstrueux du Guépard de Lampedusa – et symbiotiques, bétonnées de long en large par des colons. Il y a des voix et des percussions ponctuellement, elles aussi très brutes et approximatives ; la déglingue de la psyché façon stoner-tiki. J’avoue que je n’imaginais pas vraiment Hawaï comme ça, sonorement, en 1979 ; en même temps, cela fait complètement sens, pour cette terre appartenant à l’empire américain.

Enregistré et sorti en 1979, Street Songs est le seul album d’Howard Nishioka en son nom. Alors accompagné de ses acolytes Richard Kon (ingé-son, cris et washboard : c’est osé) et Byron Kitkowsky (batterie), Howard y joue de toutes les guitares possibles (enfin les habituelles, quoi : acoustiques, électriques, basses), y chante un peu aussi et met en branle une sorte de blues vernaculaire mal dégrossi et acide, plein d’une torpeur brûlante, dangereuse. Je me rappelle l’avoir découvert via un blog il y a une quinzaine d’années, et n’avoir alors pas bité grand chose à cette musique hallucinée, toujours à deux doigts de se casser la gueule, faussement cool et laidback. Son amateurisme apparent m’avait tout de suite saisi, mais son intensité sous-jacente ne pouvait alors pas faire entièrement sens pour moi : cette vibe folle de proto-slacker insulaire, que j’aurais pourtant pu sans peine rapprocher des hérauts de l’époque Pavement ou Royal Trux, me semblait trop opaque. Il y avait ce prénom anglo-saxon et ce nom japonais pour entretenir la confusion – alors qu’en fait, il y a évidemment une grosse communauté nippone à Hawaï, comme sur toute la côte Ouest des États-Unis. C’était donc entièrement le Pacifique, entièrement l’Amérique du Nord aussi, mais je ne pouvais concevoir une association cohérente de ces deux mondes, pourtant en dialogue depuis un bout de temps.

À l’occasion d’une réécoute fertile de ces morceaux, je me suis par ailleurs rendu compte que monsieur Nishioka avait aussi participé à un groupe au nom évocateur, The Fuckin’ Flyin’ A-Heads, avec qui il fit paraître l’année après Street Songs un 2 titres comprenant des enregistrements d’un concert au théâtre du Community College de Leeward (Pearl City) : Swiss Cheese Back / Watching T.V. À l’écoute de ce truc incendiaire, le potentiel hallucinatoire et bruyant du précédent album de 1979 est devenu évident. Du rock épique et éléphantesque, entre le MC5 et les Rallizes Dénudés. L’enregistrement est rudimentaire et crado, tout rentre en collision, se mêle et s’écrase, se noie ; les rythmiques forcenées et chancelantes disparaissent sous les saillies de guitare et de voix ; c’est toujours le peak time, la fin du monde en direct prêchée par un gugusse en roue libre qui ne cesse de nous parler de son « dos en emmental » (je ne sais pas vraiment où il veut en venir, mais je trouve ça un peu dégueu, perso).

Ici encore, la structure est une idée plus qu’abstraite, et on est dans de la métrique assurément mesurée mais pas vraiment stricte ; ce qui importe, c’est d’enchaîner les morceaux de bravoure, et donc les soli et les montées extatiques ne se résolvant jamais vraiment. Le début de « Watching T.V. » en est un bon exemple : d’emblée, la guitare part sur un ostinato avec un ambitus super réduit (deux notes), comme au climax d’une impro, soutenue par une section rythmique à la fois sludge et ramonesque – Dan Garret à la batterie, Bob Wilson à la basse, bravo messieurs pour le bazar ! Ensuite, ça part direct en tricotage homériquement motorik, c’est gras comme c’est pas permis, Howard gueule (il y a aussi un certain Eric Ishii qui se la donne au micro, apparement) comme un âne et on ne comprend pas granch’ à ce qu’il raconte, mais ce n’est évident pas important.

Comme Street Songs, Swiss Cheese Back / Watching T.V. est sorti en private press, à l’initiative des musiciens eux-mêmes, avant d’être réédité trente années plus tard – par feu les bootleggers de BIGPINK pour le premier, par De Stijl pour le second. Cette musique de weirdo, d’adolescent éternels, s’articule sans faux-semblants : de la colère, de l’humour insensé et « un poil » nihiliste, des explosions incontrôlées ; la tranquillité de ces îles fabuleuses et fabulées, écrasées par un azur saturé et lourd, aussi.

Bien que les deux albums soient pas mal différents, on sent une même tension les irriguant. Certain·es parleraient de primitivisme américain (une expression que je trouve un tantinet problématique), de John Fahey et consort, du punk également, ce qui ne serait pas hors de propos. Perso, j’y décèle surtout un élan industriel et frondeur, asphaltique, torride, comme une conséquence directe de l’unification archipélique débutée par les conquêtes de Kamehameha Ier. Une musique traversée par d’autres musiques, pas forcément érudite mais créole et fiévreuse, façonnée par des colons-autochtones écrasés par l’astre solaire.

Un article un peu court pour changer, ça fait du bien. Hydratez-vous pour slalomer entre les feux de poubelles en tout cas, et changez rien vous êtes super ! De notre côté, on reste total dispo pour vous fournir en extravagances sonores tout l’été, c’est notre engagement, et bonne fin de semaine à toustes !

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