Au fond de l’Inconnu, pour trouver du nouveau ! [4]

Musique Journal -   Au fond de l’Inconnu, pour trouver du nouveau ! [4]
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Bob Stanley – presents London A to Z 1962-1973 (Ace Records)

Il paraît que Bob Stanley a une des plus vastes collections de vinyles jamais vues, mais comme on ne l’a jamais vue justement, on ne sait pas, ce dont on peut être sûr en tout cas, c’est qu’il en connaît un rayon en musique pop. Auteur, entre autres articles et essais du très documenté Let’s Do It: The Birth of Pop Music, publié en 2022, il a surtout montré son adoration pour le genre dans ses propres créations au sein du groupe Saint Etienne comme l’étonnamment très dansante reprise de Neil Young « Only Love Can Break Your Heart »Savant et humble music lover, Bob Stanley choisit, dans cet opus, de nous faire découvrir Londres et ses quartiers au travers des chansons qui les évoquent entre 1962 et 1973. La sélection est parfaite dans son éclectisme, avec des artistes très connu·e·s comme Marianne Faithfull ou Nick Drake mais aussi des choses plus confidentielles comme l’instrumental « Clapham Junction » de Norma Tanenga, démontrant une fois encore son anti-snobisme musical. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse de la musique bonne qui parle de London. Mais surtout Bob Stanley démontre son talent d’architecte combinatoire, passant d’un morceau à l’autre comme autant de sauts d’un quartier à l’autre, du temps ou le London Eye ne nous regardait pas encore mais où Big Ben faisait des clins d’œil aux baladeurs nocturnes, de Vauxhall au Lamberth Bridge. [AD]

Balladur  – Pourquoi certains arbres sont si grands ? (Le Turc Mécanique / Another Record / Carton Records)

Amédée de Murcia et Romain de Ferron sont deux musiciens talentueux, inspirés, et très occupés. Parmi leurs multiples alias et collaborations (chez Omertá par exemple, encore, ou récemment avec Zone Bleue dont Loïc vous a parlé avant l’été), j’ai toujours eu un gros faible pour Balladur, débuté comme une espèce de pastiche cold wave et devenu au fil des albums un invraisemblable attelage pop qui se surpasse à chaque sortie. La règle se vérifie encore une fois avec ce nouvel album, et pour aller vite, “Ça m’a tellement manqué” et “Ma Dai” sont les deux immenses chansons qui manquaient à votre début d’automne. [HL]

RAMZi – Feu Follets (FATi)

Je ne sais pas si c’est la météo turbulente qui influence les musiciens que j’écoute en ce moment, ou si ce temps à moustiquaire me met dans un état de transe moite quoiqu’il arrive, mais j’associe tout ce qui passe à ma portée, des Percussions de la Montagne Verte à Parasite Jazz en passant par RAMZi, à une sorte de nouveau tropicalisme : des musiques chaudes faites par des machines froides, un hémisphère nord qui se la joue sud avec l’accent. Ça secoue des hanches en maillot de bain, ça envoie des basses lourdes et profondes, on entend gazouiller des oiseaux pixellisés, ça téléporte entre les pages d’un vieux Métal Aventures avec ces robots dorés qui portent des victimes jusqu’à leur hôtel sacrificiel en haut d’une pyramide à œil géant, sur fonds de flûtiaux Ushuaïa, de jungle paresseuse et de dub un peu roide. J’ai cru lire que Phoebé Guillemot alias RAMZi venait du Canada, une histoire de glace et feu, qu’elle aimait sampler les sons du monde, peu importe, elle aura transformé vos bureaux de juilletistes-aoûtiens en hammam relax et virtuel en 2/2. [RS]

Helen Island – « it’s so easy » (triggermoral recs)

Un peu en retard, je l’avoue, pour un morceau qui date du tout début d’août dernier, mais on s’en fout vu qu’il transcende l’espace et le temps. Helen Island, incroyable trouvère du désespoir opiacé étasunien, agitateur de la mélancolie fiché plusieurs fois par nos services (notamment avec l’équipe de Simple Music Experience), nous passe en scred’ ce qui semble être le premier extrait de la prochaine occurence de son anthologie lia$$eles deux précédents opus sont tout bonnement parfaits –, à savoir la reprise synth-pop d’un tube de Jay Reatard (oui). Comme d’hab, le but est de transpercer l’auditeur, d’aller jouer avec la matrice émotionnelle « anglo-saxonisée » qui se loge dans nos viscères et notre inconscient ; on dirait un peu du John Maus sans le vieux fond patriarcal et philosophico-fumiste, ce qui fait BEAUCOUP de bien. Tout tient du rêve, du déjà-entendu, de la crise de larme imminente ; c’est l’évidence même à chaque mesure, ça ne tient sur quasiment rien et c’est donc parfait. La grille d’accords, le riff de synthé définitif, la rythmique obstinée et les pleurs digitaux nous disent la même chose : ça ne va pas mais alors pas bien du tout, la catastrophe est là, mais la beauté doit s’imposer (même quand elle ne s’impose pas) et ce, avec élégance. Et puis évidemment, cette voix instantanément reconnaissable, combinaison d’artifices si finement ciselée qu’elle en devient dérangeante, émergeant d’un éther sidéral et glacé pour lancer les mots implacables du regretté punkos de Memphis : « It’s so easy / when your friends are dead / it’s so much easier / when you don’t even care ». [LP]


TOMB MOLD – The Enduring Spirit (20 Buck Spin)

Il y a toujours quelque chose de bizarre dans le métal branchouille. Les disques métal adoubés par une presse généraliste m’ont toujours effrayé, préférant bêtement m’astreindre aux classiques usés jusqu’à la corde ou aux projets ultra confidentiels et amateurs. Tomb Mold est à des années lumière de cette catégorie, étant signés chez 20 Buck Spin depuis trois albums et ayant régulièrement droit aux hommages de Pitchfork et cie. La fame n’est-elle pourtant pas méritée ? Remballons gaiement nos postures à deux balles de puristes underground, les disques de Tomb Mold sont merveilleux et leur dernier en date, The Enduring Spirit, probablement leur meilleur jusqu’à présent. Ce death metal navigue à vue et évolue constamment, prend la tangente vers des lignes prog, folk voir pop dans de rares et fugaces moments. Le cap restant toujours un mur massif de brutalité, le groupe est l’un des seuls au sein de la sphère death metal à respirer une vitalité monstrueuse, un souffle de vie et d’espace illimité dans une musique où règne habituellement la nécrose et l’asphyxie. Tout l’album impressionne par l’aisance avec laquelle cette sauvagerie cosmique nous est présenté. Les canadiens semblent en total maîtrise de leur art, nous ramenant à leur guise vers un classicisme pur et efficace ou nous plongeant la tête dans un océan de bizarreries tranchant les frontières du death metal conventionnel. Tomb Mold s’amuse ici à pourfendre les préjugés souvent retenus contre le métal, en lui apportant deux choses qu’il sait pourtant si bien montrer : l’intelligence et l’individualité. [NG]

a.s.o. – a.s.o. (Low Lying Records)

Parmi tous ces albums qui sortent aujourd’hui et ressemblent au contenu d’un iPod de la première génération, l’album éponyme de a.s.o. tire son épingle du jeu. De ce territoire alors trusté par Moby, Massive Attack et Madonna période chapeau de cow-boy, le duo extrait la substantifique volupté. Le groupe se paie même le luxe d’emprunter le visage et la voix d’une starlette de cinéma, Alia Seror-O’Neill. Sans surprise, le disque est produit par Lewie Day, aka Tornado Wallace, tenor de la house australienne de ces 10 dernières années, qui reproduit avec la précision effrayante d’une AI le son et la vibe de la variété internationale des années 1990. Le tout laisse deviner l’avènement d’une pop hyper bien produite et passe-partout, prenant le pas, chez les disquaires, de la house baléarique des années 2010 (visiblement produite par les mêmes personnes). [PAM]

Eugène Blove – As If (Firecamp)

Moment copinage : mon séduisant ami Eugène Blove – Bliss pour les intimes et membre de feu None et de Ys pour les pros – vient de sortir son second album, As if, sur le label de Coni. Comme leur créateur, ces sept mélopées sont donc ostensiblement sensuelles, avec juste ce qu’il faut de déviance pour finir en petite tenue dans les égouts d’une métropole, amoureux·se comme jamais ; une collection hétérodoxe de chansons sombres (« MFS », le bourdon total) où s’entrechoquent saillies électroniques, pianos d’apparat et expérimentations guitaristiques en tout genre, ainsi qu’une infinité de jeux de bouche et de formes. Eugène, avec sa voix protéiforme et pure de crooner salace, se pose à la fois dans la performance théâtrale roue-libre et une pop song idéalisée dans sa reconstruction – j’adore « Glue », pour moi cet autotune, ce piano, c’est la plus belle incarnation de ton extravagance mutine, mon Bliss ! Il donne toujours tout et ne s’arrête jamais, ce gars c’est l’obstination du lâcher prise dans le texte (« Ne crie pas ») ; la brillance qui irradie ici, c’est celle d’un frisson grandiose et brûlant qui le transfigure, souvent. Comme « Solitudine », cette spirale au début un peu gauche, mais dont les proportions gigantesques nous obligent finalement à ployer le genou. [LP]

Time Is Away – Searchlight Moonbeam (Efficient Space)

On aime beaucoup Time Is Away ici, et depuis qu’Etienne vous en avait parlé il y a trois ans, le duo a poursuivi sa trajectoire en esquivant avec grâce et humilité le moindre faux pas, que ce soit à la radio sur NTS, avec une poignée de compilations/mixes rêveuses sur Idle Press, A Colourful Storm, ou Berceuse Héroïque, ou avec quelques tapes (encore) plus confidentielles où Elaine et Jack font dans la musique de danse un peu oubliée. On en reparle car ils s’apprêtent à faire leur grand retour via Efficient Space avec cette compilation sur laquelle on retrouvera quelques artistes déjà évoqués ici, Omertà, Gyeongsu ou O.G. Jigg, au milieu d’une sélection flawless qui nous fera tout l’hiver. En attendant de la découvrir en intégralité, le label a mis en ligne son morceau d’ouverture, et j’avoue que je ne me souviens déjà plus à quoi ressemblait la vie avant de pouvoir m’abandonner plusieurs fois par jour à la beauté absolument terrassante de ce titre de Bo Harwood, tiré de la BO du Killing of a Chinese Bookie de Cassavetes. [HL]

Charlène Darling – La Porte (Disciples)

On va rester un peu avec Cassavetes pour lui piquer un titre : Love Streams, ou Torrents d’amour en bon français. C’est est à la fois ce que l’on ressent pour ce disque merveilleux, et précisément ce dont il parle. Du romantisme et de l’obsession, de la guitare, de l’orgue, des mots simples, précis et puissants, le second véritable album de Charlène, après le très beau Saint Guidon (et il n’y a pas si longtemps un single fou chez Lexi), la voit débarquer chez les Anglais de Disciples (excellente maison affiliée à Warp) où elle trouve naturellement sa place entre Phew et Maxine Funke. Probablement la seule Porte que vous allez vous prendre dans la gueule avec joie (légèrement teintée de désespoir, la joie, quand même) cette année. [HL]

Breathing Heavy – Heavy Breathing (Infant Tree)

C’est une vrille sonore, un gros vers de sable qui se jette dans les oreilles, de la musique qui débouche le nez et l’esprit, quelque chose entre un brass band angélique effervescent codéiné et un très beau concert de trompettes soufies (je ne la trouve plus mais j’ai eu très longtemps en ma possession une cassette audio orange trouvée aux puces de Saint Ouen qui avait comme titre, majestueusement écrit en grandes lettres sur une couche de tipex, « TROMPETTES SOUFIES » ; ça commençait pareil, sans transition, comme on s’insère sur l’autoroute mais en plus poétique, comme les drôles de rêves du demi-sommeil, et je n’ai jamais su avec plus de précision ce qui était enregistré sur cette cassette trouvée). Nous pourrions aussi dire : Londres, impro, saxophone, sampler, médecine, et l’univers qui est tissé par le bruit répétitif des insectes. [TD2S]

Pia Fraus – Evening Colours (Seksound)

Le septième album du groupe estonien Pia Fraus, Evening colours, ne porte pas très bien son nom, parce que les couleurs de leurs chansons sont bien éclatantes, et au jeu des correspondances baudelairiennes, on serait plutôt dans du Raoul Dufy. Elles partent, ces couleurs, en faisceaux lumineux et l’emportent sur tout. « L’esprit enregistre plus les couleurs que les contours » aurait dit le peintre, et cette formule s’applique tellement bien à cette famille musicale pop entre Stereolab et les productions anciennes de chez Sarah Records. Des voix féminines qui semblent se succéder infiniment à elles-mêmes, portées par des guitares et des claviers qui s’étendent en nappes, avec ce rythme soutenu de caisse claire nous laissant penser que tout ce qui vient est facile. Ce sont en fait les textes qui portent l’empreinte vespérale des chansons de Pia Fraus, à l’image de « Regret everything », un titre bien loin des philosophies de développement personnel – « …when I open my mouth / I will enter into / a scary and frightening world » (quand j’ouvrirai la bouche / j’entrerai dans / un monde de torpeur effrayant). Les mots tranchent avec cette apparente déclinaison de teintes joyeuses, et imposent un filtre sepia alourdissant légèrement nos enchantements contemporains. [AD]

Tirzah – trip9love​.​.​.​?​?​? (Domino)

Alors oui, on est sur de l’évidence, il y avait peu de chance que le nouvel album de Tirzah ne soit pas incroyable, mais j’aimerais quand même que vous notiez mon effort pour ne pas parler d’un disque obscur et inconnu ! Donc retour de la reine du nouveau son anglais décloisonné, également expérimental et sensuel, avec un opus construit autour d’un processus réitéré onze fois mais dont on ne se lasse jamais – « The tracks were built using piano loops on top of one beat, distortion added, then romantic vocal toplines ». C’est minimal, l’ambiance est cheloue, délicieuse mais plombante mais élégiaque, entre la pastorale über-romantique et 666 Mafia – avec la copine Mica Levi derrière la console évidemment, pour ne vraiment laisser aucun doute quand à l’issue forcément glorieuse du truc. Ça semble improbable et un peu dans le forcing pour tout dire, 11 morceaux et un seul beat, une rencontre esthétique tellement audacieuse qu’elle semble impossible (diront les jaloux), trop belle pour être vraie quoi, ET POURTANT. Ça remue dedans et on se laisse saisir à chaque nouveau track, j’en veux encore alors que je sais que ça va pas être non plus une révolution complète, mais c’est tellement bon, je m’en fous, je pourrais y habiter. Transformer l’horrorcore en amourcore avec tant d’ergonomie pour un effet maximal, c’est un tour de force éclatant sur lequel on ne peut pas dire grand chose. Écoutez donc « u all the time » avec ce twist détuné très DJ Paul sur la fin, « he made » et son riff de piano bien horrifique, le sample de voix répété jusqu’à ce que la mort nous sépare sur « Stars », si vous ne me croyez pas. Madame Tirzah, votre voix est d’une simplicité grandiose, elle est la romance dans sa forme archétypale, celle d’avant la grande césure. [LP]

Francis Fukuyama a encore tort : le dariacore ou l’interminable fin de l’histoire pop [archives journal]

Aux prémisses de l’été 2022, Julie Ackermann nous parlait du dariacore, un micro-genre électronique plus chargé que l’hyperpop – si une telle chose est concevable. Une musique multisurfaces laissant entendre que les concassages intensifs et répétés subis par la production contemporaine depuis des années sont loin d’être synonymes de perte de substance.

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Musique Journal - Le Cap-Vert, l’autre pays de l’accordéon

Le Cap-Vert, l’autre pays de l’accordéon

Aujourd’hui nous allons sur l’île cap-verdienne de Santiago, où l’accordéoniste Kodé di Dona enregistrait chez lui des chansons rudes, imprévisibles et affligées.

Dix ans de post-club (3/5)

Victor Dermenghem poursuit son exploration des « lost classics » de l’Internet club music des années 10 et nous parle aujourd’hui d’un disque fondateur du post-grime : That’s Harakiri de l’Américain Sd Laika.

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