Rap hardcore et inversion des rôles genrés : le modèle LeShaun [archives journal]

2Much "Wild Thang"
X-Press/Warlock, 1988
LeShaun "Wide Open"
Tommy Boy, 1993
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À la suite du post de la semaine dernière sur les deejays jamaïcaines, Hervé m’a rappelé l’existence de « Wild Thang », classique mineur du rap deuxième époque sorti par le duo féminin 2Much en 1988. Formé par la rappeuse LeShaun et la DJ Lisa Tanon, ce binôme originaire de Brownsville n’a sorti qu’un maxi, et LeShaun est ensuite partie faire sa carrière toute seule. Au milieu des années 90, elle a néanmoins enregistré une nouvelle version de « Wild Thang » avec LL Cool J, rebaptisée « Doin It ».

Dans le clip, LL le lover fait son LL à un level totalement abusé, on dirait du Aldo Maccione en Helly Hansen, je sais pas si c’est pathétique ou drôle ou les deux, mais en tout cas son texte et celui de LeShaun restent dans la thématique de l’original : ça parle de fricoter, dans un délire un peu draps en soie et massage aux huiles. Il faut quand même relever que dans sa V1 de 1988, LeShaun ne posait pas les mêmes paroles : elle évoquait déjà des sujets olé-olé mais sur un ton moins assuré, plus juvénile que lorsqu’elle sera aux côtés de James huit ans plus tard. Ça donne une touche mignonne à son interprétation, sur ce beat trop beau qui sample les steel drums synthétiques de Wally Badarou et la batterie de Sly Dunbar sur « My Jamaican Guy » de Grace Jones.

Entre ces deux versions, l’une ingénue, l’autre plus chagasse, LeShaun a sorti un titre incroyable, visiblement moins connu, accompagné d’un clip qui dans les facs gauchistes américaines a dû rincer plus d’un magnétoscope en TD de gender studies. La chanson s’appelle « Wide Open » et la rappeuse y parle sans faire de métaphore de mettre des doigts à ses partenaires masculins, et plus largement du plaisir qu’elle a à inverser les rôles et à voir ses mecs « screaming and begging like a bitch » lorsqu’on active leur point P. « The misandry’s so refreshing », écrit Complex qui classait la chanson au cinquième rang des paroles les plus crues de l’histoire du rap. Mais c’est surtout le clip, donc, qui a dû mettre la nation hip-hop en émoi, pusiqu’on y voit des beaux mecs musclés se faire objectifier et domestiquer sans vergogne par l’impitoyable LeShaun et ses copines. Gros plans sur les boules de mecs, shorts baissés sur le terrain de basket, et petits bisous soumis dans le cou ou sur les cuisses : on peut dire que la meuf n’a pas fait les choses à moitié dans le genre démonstration par symétrie inversée. Il y a aussi cette scène d’ouverture, creepy mais drôle, où l’un de ses hommes-objets l’appelle mummy, et puis cette conclusion où un autre de ses types débarque sur son palier avec un polichinelle dans le tiroir et qu’elle lui claque la porte au nez en lui disant que le bébé n’est pas d’elle. J’adore l’esprit, comme on dit.

J’aimerais bien savoir comment les acteurs ont été recrutés, et connaître l’impact du track à l’époque (pas ouf j’imagine, le patriarcat n’a pas dû bien prendre la blague), ce serait marrant d’interroger LeShaun, le ou la réal du clip et la prod derrière. Bref, d’un point de vue strictement musical, le beat est moins étonnant que celui de « Wild Thang » mais il est cool quand même, et c’est le beatmaker D-Nice, affilié à Boogie Down Productions, qui l’a signé. Celui-ci avait sorti des albums solo au début des années 90 et sera d’ailleurs présent sur la compilation Roll With Tha Flava, menée par Queen Latifah, et où LeShaun placera un autre morceau de sa parcimonieuse discographie, titré tout simplement « Gimme Head », avec un rappeur du nom de CoolMoney Cee, moitié de Brothers Uv Da Blakmarket, duo auteur en 1992 d’un LP que je sens être un possible classique oublié du hardcore rap de cette époque. LeShaun reste sur sa ligne castratrice, narquoise et empouvoirée, tandis que son interlocuteur réplique comme un gros mâle alpha en panique, qui ne sait plus trop où il est.

LeShaun est depuis devenue photographe, et dans une interview elle raconte qu’elle est restée bonne copine avec LL ainsi qu’avec sa femme Simone. Vous noterez que ce n’est pas elle qu’on voit dans le clip de « Doin It », mais une autre nana typée plutôt mannequin, c’est dommage mais apparemment c’est parce qu’elle était enceinte au moment du tournage. En tout cas on dit bravo (en évitant d’ajouter un petit « la miss » juste après) à cette rappeuse un peu oubliée alors qu’elle annonçait à sa façon les personnalités comme Lil Kim qui allaient arriver juste après. On précisera quand même que l’année avant « Wide Open », les punks blanches des Yeastie Girlz avaient sorti un morceau rap dans le même esprit d’inversion des rôles avec le groupe Consolidated, qui s’appelait « You Suck ». Allez bon weekend à toustes !

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