Kalif Hardcore, l’original OVNI de la planète Mars [archives journal]

KALIF HARDCORE Le "Quartier Nord Soldier" en six titres
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Si comme moi vous avez la vingtaine et que vous ne venez pas des Bouches du Rhône, il y a de grandes chances que vous ne connaissiez pas le nom de Kalif Hardcore. Ce rappeur vétéran (il doit approcher la quarantaine) a pourtant fait beaucoup pour la scène marseillaise, en tant qu’artiste mais aussi en tant que producteur. Surtout, il cristallise pour moi l’évolution souterraine du rap phocéen, de la fin des années 1990 jusqu’à l’avènement de Jul. Pour comprendre comment on est passé du fatalisme de IAM à l’enjaillement sur les rythmiques de Julien Marie, la trajectoire de Kamel Kasni, dit Kalif, est très éclairante. À travers quelques sons emblématiques de sa carrière et certains péchés mignons plus personnels, je vais tenter de vous dresser un rapide historique de la carrière de celui qu’on appelle le « Quartier Nord Soldier ».

« Compte à rebours » (2006)

Kalif débute au sein du groupe Black Marché au creux des années 2000. Avec son collègue Dur de Tête, il s’installe sur la scène locale composée alors de Puissance nord, Carré rouge ou Psy 4 de la rime. Malgré la chute du marché du disque et le faible rayonnement de Marseille sur la scène rap ces années-là, Black Marché trouve un certain écho dans les quartiers Nord. Les auditeurs s’identifient à Kalif et à sa manière crue et sans détours de raconter la triste réalité. C’est le son « Compte à rebours » qui va particulièrement marquer les esprits. Sur quelques notes de piano et un beat classique pour l’époque, Kalif déboule avec sa petite bedaine et sa célèbre punchline « La mouille sur la selle du R1 » et évoque un quotidien fait de vitesse et de violence. Dans son couplet et son refrain où des petites trompettes s’invitent à la fête, il décrit sa cité, là où « la couche d’ozone est trouée », où le seul échappatoire semble être le deal et les rodéos en deux roues. Dans le clip, des images street cohabitent avec une histoire de mafia qui aboutit dans une course poursuite digne des Yamakasi. En dehors de son accent chantant, le groupe ne se démarque pas tellement des productions franciliennes de l’époque mais le complet rouge Ferrari F1 qu’arbore Kalif présage l’accélération du BPM du futur rap phocéen au rythme « des transac’ Marseille – Amsterdam » !

« Sarko Lanta » (2008)

Une autre thématique abordée en pointillé par Black Marché est la politique et particulièrement leur détestation pour Nicolas Sarkozy. Au moment où Sarkozy devient président, on sent chez le tandem que l’histoire du Kärcher leur est resté en travers de la gorge. Ce sujet revient à plusieurs reprises sur leurs albums et particulièrement dans la mixtape de 2008, Fais 13 attention, où le flocage du maillot de l’OM sur la pochette ne laisse aucun doute sur la provenance du duo. Le titre de la quatrième piste, « Sarko Lanta », joue sur l’analogie entre la jungle des quartiers et l’émission phare de TF1. Sur son couplet, Kalif s’applique sur le fond et la forme. Avec son discours engagé, il critique l’État qui délaisse les cités ainsi que le racisme des Français et la corruption des élus. Sa première phase marque d’entrée de jeu : « J’viens des quartiers où Nicolas gêne/Où c’est la jungle/ Où si tu balances t’auras besoin d’un gros lifting au collagène ». Dans son refrain, un peu schizophrène, il met en garde la République et appelle en même temps à user de son droit de vote pour prendre le pouvoir. Ce positionnement, assez rare pour être souligné, rejoint les propos de son collègue Dur 2 tête qui invite souvent à voter à gauche face à ce virage répressif de l’UMP. 

« Audi volée » feat Jul (2014)

Après un street album solo au tournant des années 2010, Kalif tire un trait sur Black Marché. Il sort en 2012 Liga One, album dont le titre annonce la double casquette de Kamel Kasni. En effet, tout en continuant à dérouler son style crapuleux et son phrasé unique, Kalif devient aussi producteur et directeur artistique pour l’écurie Liga One Industry qui se fera connaitre en 2013 avec le succès de Jul. Même si on ne peut prouver par A+B son impact sur le début de carrière du futur ovni, la filiation semble en tout cas évidente sur les thèmes abordés. Comme un signe, Jul mentionne Kalif dès le début de son premier couplet sur son tube si décrié à l’époque, « Sors le cross volé« . Dans son clip, Jul est, « comme Kalif », « hardcore », il « démarre au quart de tour » et révèle aux auditeurs de rap pantois un nouveau son cadencé qui baigne au soleil de Saint-Jean du Désert. Sur cette période, on peut citer certains feats marquants comme « Malade », « Heneni » ou « Soleil » avec le jeune Soso Maness. Personnellement, j’ai choisi de vous faire écouter un autre véhicule subtilisé que le cross : « Audi volée ». Sur cette prod rapide au synthé aiguisé, Kalif rentre très agressif et toujours « anti-État ». Il rajoute nombre d’ad-lib à son couplet comme pour nous prendre à la gorge. Sur le refrain, la tension est à son paroxysme avec une sirène et des bruits de balles qui résonnent derrière Jul, dont le couplet qui suit, très technique en termes de placement, rappelle de bons souvenirs à ses fans de la première heure. La chanson se termine sur des cris venant achever ces trois minutes de violence pure. Loin du gangsta rap américain, on nage alors en plein rap de « voyou festif » du Sud de la France.

« Et wi le sang » feat Arco (2016)

Jul et Liga One se déchirent en 2015 et Kalif claque aussi la porte pour créer Dream Life Music. Il sort son dernier album en date : Vendredi 13. Injustement mésestimé, cet album reprend le tout nouveau style sonore imposé par Jul. Ces beats plus dancefloor s’accordent paradoxalement très bien au côté très « rue » de Kalif. Il accole à sa « mélancolie du goudron » des sons plus ensoleillés et légers. Sur son label, il signe Arco, un rappeur producteur avec lequel il travaille depuis plusieurs années. Originaire de Pontarlier, ce Franc-Comtois cultive pourtant une esthétique tout droit sortie des quartiers Nord. Beaucoup de collaborations entre les deux artistes vont voir le jour avec ce son marseillais gonflé dans un moteur turbo. Sur « Et wi le sang », des notes eurodance et des échos de voix synthétiques accélèrent le rythme du rap « à la Jul », comme si Kalif déboulait sur la A7 avec une grosse cylindrée pour enregistrer dans le studio d’Arco dans le 25. À 200 sur l’autoroute, « le pied collé au plancher », le rap français fusionne avec une esthétique fin 90 début 00, faite de tuning et néons. Le ton est donné par Kalif qui décrit son véhicule en usant d’une formule surprenante : « Nos moteurs ne parlent que l’allemand, j’ramène la frappe ». Sur cette ode aux go-fast, Arco débite un flow autotuné aigu où il évoque, une fois de plus, l’exaspération de sa mère face à ces activités illicites.

« 6 litres 3 » feat Arco, Naps, Asker (2017)

Encore le nez fin (ou serait-ce juste un heureux hasard ?), Kalif se retrouve vers 2016-2017 dans l’entourage de 13ème Art Music. Il devient directeur artistique d’un Naps en plein essor, au sein de ce label qui a produit Lacrim et fait monter des artistes comme YL ou Dika. Il invite d’ailleurs Naps, avec lequel il avait sorti le son « 3 litres 2″, à rejoindre son équipe de Dream Life Music, dans un autre titre qui parle toujours de moteur : « 6 litres 3 ». Kalif Hardcore ouvre le bal dans ce qui est sans doute un de mes sons préférés de sa carrière. Avec sa diction et son léger cheveu sur la langue, il rappe nonchalamment, plein de l’assurance de l’âge et de son vécu. Grâce à un flow désabusé et des phrases en apparence aussi anecdotiques que « ça sent pas bon, passe le machin… », Kalif impose naturellement son univers de rue et met en garde ceux qui voudraient la lui « mettre à l’envers ». L’excès d’autotune chez Arco et son acolyte Asker fleure bon les influences raï ou staifi des deux Jurassiens. « Que des gros tarés en maison d’arrêt » et un enchainement de flows parfait entre les quatre rappeurs, qui apportent chacun un timbre et une énergie différente, dans ce son à écouter en buvette, « un filtre en carton dans la bouche ».

« En Boucle » feat Naps [2020]

Depuis Kalif enchaîne les petites apparitions au milieu de cette jeune génération. Quand 13ème Art fait une partie de airsoft avec des danses de Fortnite sur le toit du centre social et culturel de La Castellane dans le clip « Arah« , Kalif apparaît comme le vieux sage du groupe, cheveux poivre et sel, survêtement du Bayern ou maillot d’Arsenal. Malgré cette belle carrière et une certaine renommée chez les auditeurs de rap, Kalif n’a pas obtenu le même succès commercial que certains des artistes qu’il a côtoyés. Cette reconnaissance, j’ai cru qu’il allait enfin l’obtenir lorsqu’à l’annonce du projet 13’Organisé, son nom était cité sur les réseaux sociaux de Jul. Sur son Instagram, Kalif filmait même des extraits de sons non mixés prometteurs. Mais, depuis la page a été supprimée et pas de Kalif à l’horizon dans la compilation marseillaise qui réunissait toutes les générations du rap bleu azur – et qui, on le sait, a battu le record du titre le plus rapidement certifié single de diamant de l’histoire de la musique française. À l’heure où beaucoup de rappeurs marseillais et même lyonnais reproduisent la formule magique de Jul, il s’agirait peut-être de rendre à Kalif ce qui est hardcore. Je vous laisse avec ce clip nostalgique de Naps, où Kalif et lui se souviennent des références marseillaises qu’ils écoutent toujours en boucle. Au milieu de ces images montrant de nombreux acteurs du rap français, Kalif semble un peu désenchanté, sirotant une boisson seul au comptoir, ou fumant un joint en cabine. Il pose quelques mesures surprenantes de mélancolie, avant de repartir sur la rocade des quartiers Nord. 

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