Tropique du concert (2/4) : splendeur et crépuscule

Gorilla Angreb, XYX, Ratas del Vaticano tropique du concert (2)
2007-2010
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Musique Journal -   Tropique du concert (2/4) : splendeur et crépuscule
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Au milieu des années 2000, Lyon connaît une effervescence de concerts jamais retombée depuis. D’immenses squats accueillent des soirées à plus de 500 personnes, des bars nous déroulent le tapis rouge et, bien sûr, Grrnd Zero voit le jour. Ce n’est pas un hasard si le livre sur la scène lyonnaise À l’arrache, paru en 2022, parle surtout de ça (d’où son titre). Alors que dans d’autres villes, la « scène locale » se définit d’abord par ses groupes, la vraie singularité de Lyon à partir des années 2000 vient de cet engouement un peu fou pour l’orga. Sous l’impulsion de GZ, plein de gens commencent à organiser des concerts pour lesquels on voit parfois apparaître quatre affiches différentes sur les murs de la ville, les graphistes et illustrateurs, c’est l’époque qui veut ça, ne pouvant être en reste. Des « jeunes » s’y mettent, exorcisant la hantise de toute scène locale : l’absence de relève.

Je continue à organiser des concerts dans le cadre de divers collectifs informels. Parmi la grosse centaine de gens qui gravitent autour de GZ, tout le monde, à un moment donné, met la main à la patte. Les concerts sont une « extension du domaine de la vie » : c’est là que les amitiés se nouent, que les couples se forment, que les colocations naissent, que les projets s’élaborent. Certains s’y font les dents, d’autres en perdent prématurément. Je passe autant de temps à boire et à discuter sur le parking de GZ Gerland qu’à regarder les groupes, avant d’effectuer le long trajet à pied pour rentrer sur les Pentes de la Croix-Rousse, une dernière bière semblant souvent l’emporter sur le dernier métro. En 2007, alors que le squat Ungdomshuset de Copenhague résiste vaillamment à son expulsion, nous organisons à plusieurs un concert de soutien avec le groupe danois Gorilla Angreb, lié de près à ce lieu. Les émeutes font les manchettes. Le soutien, au sein du réseau punk international, est massif : Ungdomshuset incarne pour beaucoup d’entre nous une scène punk à la fois musicalement excitante et inspirante par ses pratiques.

Au tournant de la décennie, je voyage plusieurs fois au Mexique puis sur la côte Ouest des États-Unis. C’est l’occasion de longs trajets en autobus, de jour comme de nuit, pour se rendre chez les membres de groupes rencontrés en Europe ou par courrier. Je vois XYX et Ratas del Vaticano à Monterrey juste avant qu’éclate la guerre des cartels qui dispersera cette scène éphémère et assez unique aux quatre coins de l’Amérique du Nord. J’arpente San Francisco au gré de rues dont des chansons de punk m’ont rendu les noms mythiques. Sur la côte Ouest, les concerts ont lieu dans des maisons, des lofts, des friperies, des librairies, des clubs et des backyards. Sans être le but initial de ces voyages, les concerts en jalonnent souvent l’itinéraire.

Lors d’un séjour de trois mois au Québec en 2012, je rédige un article pour Audimat à propos du festival Pop Montréal, synonyme à mes yeux de « festivalisation galopante » de la musique et de l’espace urbain. Je finis malgré tout par m’y demander s’il ne serait pas préférable de « s’accommoder de ce “monde d’après” dans ce qu’il a de plus enchanteur : ces niches au sein desquelles nous consommons nos propres idées réifiées, mais qui restent des refuges face à un monde hostile ». Je ne mentionne pas cela pour le plaisir de m’autociter, mais parce que cette notion même de « refuge face à un monde hostile », dont il y a déjà matière à douter, est en passe d’être mise à mal…

De retour à Lyon, je guette les dates à venir. Je garde de cette époque l’habitude un peu maladive de consulter des sites de groupes, de tourneurs, d’organisateurs ou de festivals chaque matin au cas où il y aurait du neuf depuis la veille (je me soigne, juré). Jusque-là, j’avais toujours eu affaire à des tourneurs magnanimes et à des groupes peu exigeants en matière de cachets. Mais mes goûts musicaux changent, parallèlement à l’économie de la musique. Apparaissent de jeunes start-ups du booking, des « agences » qui, elles-mêmes sous-traitantes de plus gros tourneurs européens, se mêlent de ce qui se négociait auparavant de façon plus informelle. Les festivals font grimper les enchères et créent de l’exclusivité là où régnait avant la coopération. La fin du « paradigme Fugazi » dans la musique underground est criante. Je commence à aller aux concerts par peur de manquer quelque chose ou simple « devoir culturel ». Quelque part entre 2014 et 2016, j’organise mon « dernier concert »… puis un autre… et encore un autre avant d’arrêter pour de bon.

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