Everybody says Zouglou !

Les Poussins Chocs, Les Parents Du Campus, Petit Yodé et l'Enfant Siro, Les Avocates, Magic System, ... Everybody says Zouglou !
1991-2002
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Musique Journal -   Everybody says Zouglou !
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En 1993, avec la mort du président Félix Houphouët-Boigny, la Côté d’Ivoire perd le leader qui l’avait accompagnée depuis son indépendance en 1960. En proie à divers problèmes de gouvernance et jouant dangereusement des tensions ethniques, le nouveau gouvernement d’Henri Konan Bédié est ouvertement critiqué. Les raisons du mécontentement sont anciennes : depuis la fin des années 1970, la croissance ivoirienne stagne. Économie résolument tournée vers l’extérieur, le pays souffre de la chute des cours du cacao, du café et de ce que le jargon économique nomme plus communément « la dégradation des termes de l’échange ». La crise est là et s’installe : les plans d’ajustements structurels se succèdent, un pagne du nom de « Conjoncture » est créé, une bière du même nom aussi. À l’Université, plus particulièrement, les chambres étudiantes sont surpeuplées et les bourses ne sont plus versées. C’est dans ce contexte précis que le zouglou voit le jour.

« Ah ! La vie estudiantine !
Elle est belle, mais il y a encore beaucoup de problèmes.
Lorsqu’on voit un étudiant, on l’envie
Bien sapé, joli garçon sans produit ghanéen
Mais en fait, il faut entrer dans son milieu pour connaître la misère et la galère d’un étudiant.
Ohô ! Bon Dieu, qu’avons-nous fait pour subir un tel sort ?
Et c’est cette manière d’implorer le Seigneur qui a engendré le zouglou ! »
(« Gbolo Koffi », Les Parents du Campus)

En 1980, suite à la politique de décentralisation universitaire, Yopougon, la plus étendue des dix communes de la ville d’Abidjan se voit dotée d’un campus. Avec ses deux mille maquis – ces restaurants /gargotes où l’on mange, boit, écoute de la musique et fait des rencontres –, Yopougon est un lieu de fête qui rivalise avec le quartier de Treichville. Mais derrière les apparences d’une vie en dilettante, les étudiants sont eux aussi en proie aux problèmes qui touchent le pays.

Sujets aux coupures d’électricité chroniques, un soir de février 1990, la coupe est pleine : plongés dans l’obscurité en pleine période d’examen, les étudiants descendent dans la rue, érigent des barrages, cassent des voitures, violentent leurs conducteurs. Le lendemain, parmi le groupe d’étudiants attroupés devant le rectorat de l’Université, l’un d’eux se détache, arrache le drapeau du parti unique et le déchire sous les applaudissements de la foule. Les forces de l’ordre interviennent suscitant les vives protestations du principal syndicat des professeurs d’Université qui entre en grève illimitée, exigeant instamment le retrait des forces de l’ordre, la démission du recteur, la fin du parti unique et l’instauration du multipartisme. Celui-ci est concédé le 30 avril 1990.

            Dans une Afrique où les pouvoirs chancellent un peu partout, le zouglou devient alors le porte-parole d’une Côte d’Ivoire à l’identité musicale encore mal définie :

« Les Congolais avaient leur rumba qu’ils déclinaient à loisir en boucher, kawacha, kwassa kwassa, kayebo, zaïko, avec chaque fois les déhanchements encore plus lascifs. Notre problème en Côte-d’Ivoire, n’était pas de ne pas savoir dériver une musique d’une autre, mais de jouer chacun pour notre propre compte, de construire partout et tous les jours des chapelles éphémères. « ziglibity, ziguéhi, zouglou, zoblazo, zogada…, chez nous, tout se danse en z », chantera N’st Coffies. Mais à ce jeu multiplicateur des styles en x ou en z, difficile de construire un courant musical qui dégage un air de famille. Pendant ce temps, chez nos voisins, highlife rythmait et rythme toujours avec Ghana. Sa variation nigériane privilégia tantôt l’accordéon avec I. K. Dairo, tantôt la guitare solo avec Sunny Ade, mais à travers ces aventures, le highlife resta le highlife. Et le tentemba ? Qui ne connaissait le Tentemba guinéen internationalisé par le Bembeya Jazz national ? Quant à nous, enfants d’Houphouët-Boigny, nous demeurions sceptiques : quand donc aurons-nous notre musique nationale ? Quel jour plaira-t-il au très haut de nous gratifier d’une musique qui, rien qu’à ses premières notes, évoquera, signalera la Côte-d’Ivoire de l’Ouest à l’Est et du Nord au Sud ? » (Konaté, 2002, p. 778).

Le zouglou parle à tous les Ivoiriens parce qu’il leur parle nouchi, un français délibérément détourné, piochant ses mots à droite à gauche. Évitant les restrictions des langues locales, le nouchi devient au même moment que le zouglou la lingua franca de la ville ivoirienne, que riches et pauvres comprennent et dont les vrais esthètes sont dans la rue. Par le nouchi, le zouglou parle donc aux Ivoiriens, de tout un tas de problèmes : ceux des étudiants bien sûr, ceux survenus en 1994 dans la rencontre de football entre l’Asec et l’Asante Kotoko ; il parle aussi de Dieu, de Satan (« Victoire», Petit Yodé et l’Enfant Siro) et de l’impuissance sexuelle (« Antilaleca ») ; il donne la voix aux femmes (« Série M », Les Avocates), s’élève contre l’autorité des parents (« Vérité », Les Bavars) et met en garde ceux qui voudraient quitter leur pays avec un sens délicieux de la formule :

« À Paris quand tu vois un Blanc, il est sale, mais sa maison est propre, mais quand tu vois un Noir, il est propre, mais sa maison est sale !!! »
(« Paris », Petit Yodé et l’Enfant Siro)

Mais, le zouglou n’a pas que le sens des mots : il se fait libérateur tout autant pour la parole que pour le corps. « A Abidjan on ne dit pas, ‘je danse le zouglou‘, on dit ‘je libère en zouglou‘ » (Konaté, 2002, p. 783). C’est du zouglou que le mapouka tirera son efficacité quasi mécanique. Danse pelvique que certains tiennent pour l’origine du twerk, le mapouka fera l’objet d’une hystérie générale en Côte d’Ivoire au milieu des années 1990, avant d’être censuré puis récupéré par l’armée qui arrive au pouvoir en décembre 1999.

Au début des années 1990, alors que l’effervescence contestataire commence à se propager en dehors des milieux étudiants, une expédition punitive commandée par le général Robert Guéï est organisée dans la cité universitaire de Yopougon. Mais les exactions militaires ne sauront jamais faire taire le zouglou, non plus que les grandes messes populaires orchestrées par l’armée ne sauront l’arracher à ses origines. Enfant de Yopougon, leader des Parents du Campus, Didier Bilé, auteur du premier succès du genre, suggérait que le zouglou était une « danse philosophique qui permet à l’étudiant de se réjouir et d’oublier un peu ses problèmes ». Yopougon restera, même après l’assassinat du général Guéï, un bastion de la révolte étudiante. On y danse encore aujourd’hui le zouglou qui, aux dires de certains Ivoriens, n’aurait rien perdu de son esprit. Suivant les paroles de Didier Bilé, qu’attendons-nous donc pour « danser le zouglou ?! »

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