Dans ma discothèque – que je tripatouille pas mal ces temps-ci : si vous suivez avec assiduité mes chroniques, cher·es lecteurices, vous saurez que j’essaye de moins rider la bête que l’on nomme internet dans mon rapport à l’écoute/exploration musicale, je tourne en circuit-court, je recycle, je prend le temps et j’adore ça, je passe le cap biodynamique ! –, il y a beaucoup d’items passables, génériques, un peu honteux ou carrément interdits. C’est pas du tout quelque chose d’incroyable, mais je crois que mon petit côté accumulateur compulsif me met dans une catégorie autre. Je n’arrive même pas à me séparer de mes disques de brocante cotés à 30 centimes sur discogs, alors autant vous dire que ceux qui ont un peu de valeurs restent et resteront inamovibles. En m’en séparant, je pourrais me faire quelques sous (au kilo), rendre des gentes aux goûts différents des miens heureuses accessoirement, mais rien n’y fait, je m’y accroche comme Darmanin au gouvernement, c’est terrible.
J’aime mes disques nuls, d’un amour pas super sain et teinté de dédain je vous l’accorde, mais c’est comme ça. Pourtant, j’envie tellement les collègues dont les collections sont travaillées en profondeur, affinées comme une grosse roue de Brie devenue brune. La jalousie est à son comble quand je vois ce cher Jean Carval m’enchaîner les trésors, tranquille dans son living room de papou, ou notre contributeur PAM étaler sa collection de beau gosse super smart à Dizonord, où il vend une partie de ses actifs – c’est pas concevable des trucs comme ça, je le prend presque comme un affront personnel ! J’en profite d’ailleurs pour souligner que la paire a uni ses forces pour donner les meilleures soirées de la capitale, Raguénès : pour celleux qui peuvent, bouger vous les fesses, ça vaut le coup, la prochaine c’est ce soir.
Voilà, les disques compacts, vinyles et cassettes (ça marche aussi avec les bibliothèques Itunes, évidemment) s’accumulent, les étagères se remplissent, la vie suit son cours, ça comble le vide existentielle et ça rassure. Étrangement, il est une catégorie où cela ne me dérange pas, mais alors pas du tout d’entasser les merdouilles, où je les recherche activement même, je vous le donne en mille, la musique à danser, électronique de préférence. Si me rendre compte que je possède toujours un Tom Waits tardif ou l’album d’Umberto Tozzi me fout évidemment un coup d’estoc à l’égo et au moral, je n’ai aucun problème à récupérer les fonds de discothèque pas du tout ragoutants, et je dirais même que je me complais à nager dedans, un peu comme un conseiller de l’Élysée. Cela tient surement au fait que je n’ai pas d’AOP sur le sujet, on est sur du 0 % zonage en boîte de night dans ma jeunesse ; j’étais plutôt esthète du genre « pop expé courant dominant circa nouveau millénaire », assuré de réinventer la roue en suçotant la musique des parents, à grands coups de fausses bonnes idées estampillés Inrocks pour lesquels je n’ai d’ailleurs, à part quelques exceptions, plus trop d’appétence. On vient toustes de quelque part, comme dit le poète, y’a aucun problème, mais faut pas non plus se mentir, hein.
Maintenant, je réalise que j’ai mis un certains temps à comprendre le concept de dance music : ce qu’il impliquait, d’abord formellement, puis éthiquement (parfois). Un peu à la bourre, j’ai donc fortement affiné mes goûts en la matière, tel un samouraï du dancefloor incapable d’impassibilité. Mais il restera à jamais en moi cette souillure primordiale qui me fait adorer les morceaux qui arrivent avec les gros sabots et ne mentent pas une seule seconde, ce boumboum produit au kilomètre qui m’attire irrésistiblement à lui, comme la lampe halogène le papillon de nuit.
Au delà de la notion problématique de « plaisir coupable » (berk), je fais ici un constat simple : la musique que l’on considère comme nulle, un peu en-dessous, dont nous avons aujourd’hui honte nous a façonné autant que celle que l’on installe comme bonne – cela vaut également pour la pop expé 2K10 sus-mentionnée, qui parfois ressurgit à mon corps défendant. Je suis un grand sentimental peut-être, mais franchement rien que pour cela, ne mérite-t-elle pas un peu d’amour ? D’autant plus que, sans vous refaire tout Bourdieu, le bon goût, subjectif et instauré par les classes dominantes, bouge, continuellement. La playlist que je vous ai concocté montre bien ce mouvement perpétuel des lignes : elle se compose de tracks vraiment limites-limites, d’autres qui transcendent leur mediocrité, d’autres qui n’y arrivent pas et c’est pas grave, je garde une tendresse. Rien n’est figé, le but n’est pas de tout aimer mais de se laisser surprendre, de donner du temps parfois, de revenir, de ne pas être définitif. Je dis ça mais j’ai pas atteint l’état de contemplation suprême hein, il y a des trucs que je peux pas saquer, comme tout le monde, mais j’espère que vous saisissez ce que j’essaye de poser avec ce raisonnement un peu alambiqué pour ne pas dire foireux. Et puis surtout y’a pas de but dans la vie si ce n’est de kiffer au max, et dans la musique c’est la même !
Nous avons donc, dans l’ordre : le remix pompier d’un tube de Felix Da Housecat aux paroles saisissantes ; un tool acid-techno espagnol qui part à toute blinde, issu d’un album dont le nom illustre toute la finesse du matériau musical ; la déconstruction à la fois classy et très Westfield Vélizy 2 sous speed (c’est la flûte, pour moi) d’un morceau éternel pour faire péter les boutons de la chemise à 4 du mat’ (si vous portez des chemises, et je ne juge pas !) par le grandiose Dj Sneak ; un anthem techno pré-makina à l’italienne, avec des riffs de piano / synthés pour tout cramer ; un tout-droit de house filtrée avec la partie de clap la plus fatiguée du monde, on se croirait chez Patrick Juvet ; une espèce de torpille drum’n’bass mutante que j’adore, mais vraiment too much par essence ; un track qui me donne l’impression que je fais une connerie à chaque fois que je l’écoute, mais CETTE BASSE bon dieu, c’est mon talon d’Achille ; et enfin pour finir et illustrer à quel point il faut garder le cœur ouvert, l’archétype house qui ne quittera jamais mon être, à savoir l’incroyable remix de Mariah Carey par David Morales, qui est vraiment un des trucs les plus génériques au monde, mais qui me met les frissons à chaque instant, y’a les larmes presque, je peux l’écouter tous les jours !
Ah oui aussi j’oubliais, petit moment auto-promo malvenu et assurément de mauvais goût (ce qui tombe bien je suis dans le thème du coup) : je viens de sortir mon nouvel album, et j’en jouerais des bouts lors de mon prochain récital à la mécanique ondulatoire (Paris) le 15 février qui arrive, accompagné par Trigore et Yves Saint Rocher – aka Claire Gapenne/Terrine + David Bausseron : je suis trop content, Claire à la guitare c’est un de mes coups de cœur, je ne sais pas si je vous en ai déjà parlé, je vais vérifier et si non je vais corriger ça – puis deux jours après, le 17, à la NGHE, Bruxelles. On s’y voit, pour échanger nos meilleurs morceaux cradocs, j’espère !