20 ans sur un fil, puis la fin (de contrebande 11, spécial Sonic Protest)

The Red Krayola, Èlg, Phil Minton's Feral Choir, Circle, Fret, Jandek, Mike Cooper, RIen Virgule, Inga Huld Hákonardóttir & Yann Leguay, Angelicus, Shitty Shed De Contrebande 11, spécial Sonic Protest
2013-2024
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Musique Journal -   20 ans sur un fil, puis la fin (de contrebande 11, spécial Sonic Protest)
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Sonic Protest donne, en cet an de grâce 2024, sa dernière édition. C’est triste, mais c’est très beau aussi, mais c’est surtout un choix. Voilà donc la fin d’une aventure de 20 ans, décidée avant le déclin douloureux. Sûrement de la peine et des regrets dans l’équipe, mais partir avant l’eau de boudin, le crépuscule crasseux, la fatigue et les (grosses) emmerdes, ça n’a pas de prix. Cette disparition annoncée, alors que le festival se déroule en ce moment même, me pince le cœur ; et par un hasard du calendrier provoqué, je n’y participerais d’ailleurs pas, cette année. Ni à Marseille, ni en Île-de-France, ni ailleurs.

Sans donner dans le mélo à l’américaine ni réduire une situation très dense à une seule cause, je dois quand même avouer que le moi musical d’aujourd’hui doit énormément à Sonic Protest, et je crois que je peux même dire que cette entité a enclenché ma mue et ouvert un gouffre esthétique qui n’a cessé de s’élargir depuis. À regarder à rebours les programmes des éditions passées, je suis subjugué par la prescience des choix, mais aussi par la manière dont ceux-ci parlent de ma vie, s’entremêlent avec celle-ci (merci-bravo, Rivière Arnaud, Franck De Quengo !). J’ai participé pour la première fois au festival en 2013, l’année – et le mois, c’est important, car je grandis toujours, à Sonic Protest – de mes 22 ans, et le constat est implacable. Si le musical est devenu pour moi un processus transcendant, total et toujours plus complexe, une révolte et une ontologie, un questionnement perpétuel du monde qui encore aujourd’hui m’entraîne, c’est beaucoup grâce à lui. Alors merci, Sonic Pro !

J’y ai rencontré des personnes que je fréquente encore, solidifié des amitiés pourtant déjà éternelles, découvert des musicien·nes appartenant aujourd’hui à ma cosmogonie, souvent sans le savoir ; et beaucoup bu, aussi. Ma première fois aux Instants Chavirés (Tanz Mein Herz & Regler !!), je la dois à ce festival, par exemple. Ce sont aussi mes premiers enregistrements in situ aventureux et pas vraiment soignés. Mais plutôt que de s’étendre en d’infinies louanges, tentons un jeu incroyablement difficile : un souvenir-recommandation par édition (même celles où j’étais absent), le tout soutenu par une playlist hasardeuse et fournie qui s’arrange avec la temporalité – si vous voulez des archives des concerts, elles sont dispos sur la chaîne du presque feu festoche. Allez, c’est parti !

The Red Krayola (19 Avril 2013, église Saint-Merri, Paris)

L’exemple même de ce que produit Sonic Protest. Tout jeunot, beaucoup trop indie-rock, je me rend à cette soirée parce que je suis attiré par Cheveu ; le nom de The Red Krayola ne m’est pas inconnu, mais m’évoque des chose sur le plan archéologique, plutôt. Trio Barroco, jamais entendu parler. Pourtant, ce sera la perf de Mayo Thompson (en duo avec Tom Watson) qui me retournera tout entier : une musique brute se cassant un peu la gueule, dans une église ; du risque partout, et de la poésie. Je ne sais pas quoi penser et ressentir, quelque chose que je recherche encore aujourd’hui dans la musique. Le concert de Cheveu était beau et sauvage, mais je ne crois pas avoir réécouter le groupe depuis ; Quentin Rollet et sa musique, je ne les rencontrerais que plusieurs années après.

Èlg (11 Avril 2014, la Parole Errante, Montreuil)

Mais qui est ce gugusse qui raconte n’importe quoi et fait le spectacle comme si sa vie en dépendait ? Est-ce vraiment, pour de vrai, le concert ? L’homme à l’air si libre qu’il semble évoluer sur un autre plan astral, conscient de secrets inaccessibles au commun des utilisateurs de weezevent. Je veux être Laurent Gérard même s’il me fait peur, comme les personnes costumées à Disneyland. Outre cette révélation, c’est soirée guitare sans retenue : Bibi Ahmed (Group Inerane) & Ikali Adam sans section rythmique, enivrant, comme dirait l’orientaliste ; et puis Lee Ranaldo & Thurston Moore pour qui j’étais venu à la base et qui donnent chacun un solo (Ranaldo fait valdinguer son instrument dans la salle comme un pendule) avant de se lancer dans une bagarre de guitares, ce qui est un peu cringe mais ravit tout les music fans en présence.

Phil Minton’s Feral Choir (8 Avril 2015, église Saint-Merri)

Un aspect important de Sonic Protest est l’attention portée aux liens entre handicaps et musiques libres, notamment avec ses « Rencontres Internationales autour des pratiques brutes de la musique ». Dans ce cadre, de nombreu·ses musicien·nes en situation de handicap sont amenés à se produire dans différents cadres. Ce soir-là, tous les concerts sont des suspensions où l’église se fait autrement sacrée : Charlemagne Palestine & Mondkopf, ça le fait (très content d’avoir pu voir l’homme aux mille doudous jouer et gueuler un peu), Thomas Bonvalet & Jean-Luc Guionnet (la trinité objet-geste-son s’ancre en moi), la grâce incarnée. Mais c’est surtout le flot de vie incontrôlable et percutant que fut la chorale des Harry’s – groupe notamment constitué de patients de l’hôpital de jour d’Antony – guidée par Phil Minton. Ça et puis les interludes signés Damien Schultz, prêchant à la chaire comme un curé positiviste bloqué sur repeat (et puis Islam Chipsy et EEK aussi, mais c’était un autre jour, ça).

Circle (9 Avril 2016, la Parole Errante)

Ai-je vraiment assisté à ce concert ? À 99,9%, je dirais oui. Je me rappelle de l’expérience que fut le concert Konono n°1, mais rien pour Quintron & Miss Pussycat et Api Uiz, malheureusement. Circle par contre, je m’en souviens, et la folie des Finlandais·es en roue libre m’habite encore. Iels sortent d’ailleurs toujours des disques d’une qualité supérieure, que je vous conseille fortement. Et puis la même année, AMM jouait aussi (même question qu’au début du paragraphe).

Ghédalia Tazartès & Low Jack (16 Mars 2017, Le Générateur, Gentilly)

Aucune trace de cette performance où deux entités, à l’époque très importantes pour le moi-musicien en transformation, se joignent avec une fluidité déconcertante ; je garde la sensation d’un alignement personnel des planètes, d’une compréhension plus profonde du sonore et de la musicalité, de la poésie, de ce qu’« électronique » peut vouloir dire. Peut-être est-ce un fantasme, que la collaboration était pas plus ouf et que j’enjolive fort, mais ça m’étonnerait un peu j’avoue. Jouaient également : Damien Dubrovnik, le duo formé par Christian Stadsgaard et Loke Rahbek (les tauliers du label danois Posh Isolation), bien dramatique et grandiloquent, et l’artiste mystico-légendaire Anne Gillis, déroulant une performance à laquelle je n’entrave que dalle mais qui me captive tout entier – je sens que quelque chose se loge dans et derrière cela. Bref, une soirée dont l’importance dans mon évolution m’apparaît aujourd’hui avec beaucoup de clarté.

Mick Harris (17 Mars 2018, L’Échangeur, Bagnolet)

Encore une programmation à donner des sueurs – Thomas Tilly, Terrine, Paddy Steer, Maher Shalal Hash Baz, Russell Haswell, ZB Aids aka Valerie SMITH, Satan – tellement la réunion de professionnel·les est intense. Mais ce qui m’achève, c’est la possibilité de voir la divinité Mick Harris (sous son alias Fret) en vrai nous asséner une espèce de dubstep-indus à un volume indécent et salvateur. Je crois que là, des connections se font, notamment entre certaines musiques que je gardais jusqu’alors bien compartimentées.

Jandek (29 Mars 2019, L’Échangeur)

Lors de cette édition, je n’ai pas assisté à toutes les soirées parisiennes, mais presque. Difficile de faire un choix – quand même, France dans une église en plein mouvement des gilets jaunes, ce n’était pas rien –, mais en fait non : voir Jandek sur scène est un évènement d’une rareté telle qu’il s’impose sans problème. Le voir, en vrai et avec un groupe qui serait presque à deux doigts de swinguer, vénéneux comme le fantôme d’un pasteur à l’aura érotique débordante ; se sentir en danger, troublé et puis mourir.

Mike Cooper (22 Mars 2020, Théâtre Municipale Berthelot, Montreuil)

2020 : année maudite, COVID oblige. Je n’aurais assisté à aucun concert, et de toute façon la plupart des soirées sont annulées. J’aurais aimé voir tant de choses (Emptyset ! Lucrecia Dalt ! Asmus Tietchen ! Muqata’a ! LEE PERRY & ADRIAN SHERWOOD !!!) et par dessus tout Mike Cooper, magnifique guitariste à la carrière trèèèès étendue, dont la finesse de jeu et la classe impertinente me semblent difficile à égaler : des chemises à fleurs, du slide sur cordes et de la bidouille à tout va. Un musicien que je ne cesse de rater malheureusement, mais qui rejoindra un jour mon pokédex, c’est obligatoire !

Rien Virgule (26 Juin 2021, Le Générateur)

En 2016, Rien Virgule jouait déjà à Sonic Protest, le même soir que N.M.O – une autre dinguerie totale, ça. Cinq ans plus tard ils sont de retour mais endeuillé·es : Jean-Marc, l’un des leurs, est décédé. Accident qui dévaste, mais iels sont pourtant là, délivrant leur musique liturgique impossible. 2021, comme une grande partie de la période pandémique, est un trou noir pour moi : il ne me semble pas avoir participé à cette édition estivale. Dans tous les cas, si je devais choisir un concert ce serait celui-là, comme un hommage, mais aussi parce que Rien Virgule réussit à marier grandiloquence et exigence, et on entend pas ça tous les jours.

Inga Hàkonardòttir & Yann Leguay, « Against the Sunset » (1er Avril 2022, L’Échangeur)

Cette édition-là est la dernière à laquelle j’ai participé. La plus fraîche et donc pleine de souvenirs : les émotions pendant le concert d’Acte Bonté dont nous vous avons déjà parlé, les danses palpitantes on stage avec Carrageenan, les perfs rassembleuses et surpuissantes de Duma et MC Yallah … Et puis aussi ce moment étrange où deux énergumènes armé·es de hache, debout sur une bûche de bois, se déplacent en la frappant, en alternance ; Inga déclame, Yann s’obstine, et le son amplifié de leurs actions répétées empli peu à peu la pièce. Il se passe quelque chose, encore.

Angelicus (23 mars 2023, le 104, Paris)

L’année dernière, ce n’est étonnament pas l’éloignement mais un lumbago de force 12 qui m’a empêché de participer à la grande soirée de réjouissance de quasi-clôture du festival, où tous les artistes se retrouvaient à jouer sur le soundsystem de C_C, la Distomobile. J’ai manqué Bear Bones, Lay Low et Ppaulus & Frère, Petronn Sphene et Aerobiconoise, mais c’est comme ça. Mais pour faire le disruptif, ce n’est même pas la soirée avec les copaines que je vais choisir, mais celle avec mes vieux hommes blancs préférés, réunis tous ensemble dans un supergroupe, comme si le monde d’avant faisait amende honorable : Werner Zappi Diermaier (Faust), John Duncan (LAFMS), Dirk Dresselhaus (Schneider TM) et Ilpo Väisänen (Pan Sonic) forment ensemble Angelicus et ils ont sorti en 2022 un album qui remet bien les pendules à l’heure (grosse formule de boomer).

Shitty Shed (30 Mars 2024, L’Échangeur)

Dernière édition et donc bien évidemment, choix le plus ardu, qui n’engage à rien mais quand même. Alors, qu’est-ce que ce sera ? Lukas de Clerck et ses aulos ? Le tout droit sans étirement des Percussions de la Montagne Verte (maintenant accompagné par Maria Violenza) ? L’avant-blues bien creepy des légendes rhônalpines Jean-François Plomb et Damien Grange, aka 300mA ? Les chansons au-delà du réel de Vin de Sprite ? La fiesta façon Schaerbeek de Prins Zonder Carnaval ? L’outrage noise-rock sans frontière des Brainbombs ? La musique de mariage en excès de vitesse de Dj Diaki, qui déconstruit la notion même de tempo ? Ces fameux Urge dont j’ai tant entendu parler, ou que sais-je encore ? ET BIEN NON. Pour finir, je choisis Shitty Shed, le solo de Judith Bassuel, une sorte de techno-hardcore jouée entièrement à la main, sans programmation, ce qui donne une perf super impressionnante et qui retourne tout sur son passage sans rien laisser indemne – surtout qu’elle jouera, une fois n’est pas coutume, sur la distomobile.

Sinon, comme un gros centralisateur je ne vous ai parlé que des concerts s’étant déroulés en région parisienne MAIS il est plus que notable que Sonic Protest s’est assez vite inscrit dans une tentative d’hors-les-murs perpétuels en organisant des concerts partout en France. Jusqu’à la fin du mois, des choses se passent d’ailleurs à Rennes, Poitiers, Lyon, Metz et Talence, allez voir sur le site.

ps : Et pour finir sinon, j’en profite pour féliciter à Pia-Mélissa Laroche qui a lâché une identité visuelle au top pour la fin, ça aussi, ça fait plaisir !

Rien ne peut entraver l’absolue musique de Morricone (pas même ce drame mollasson)

Sans être un fan névrosé du « signore » Morricone, Nicolas Golgoroth nous sort ce matin la BO composée par le maître pour le dernier film de Silvano Agosti, La Ragion Pura. Une œuvre où le compositeur met en branle son légendaire artisanat du thème, plein de réminiscences et de citations hypnagogiques.

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Musique Journal - En 1993, Insides signait le manifeste du trip-hop non-enfumeur [archives journal]

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Rappelons nous de ce court mais enjoué article de monsieur Menu (dis, quand reviendras-tu ?) pour « La fille de Recouvrance », album bouleversant de la chanteuse brestoise Claude Le Roux. Une œuvre apparemment passée sous les sonars et orchestrée par l’arrangeur de Jacques Brel, qu’Étienne nous présentait dans un field recording d’intérieur singulier et émouvant.

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