Pétrisseur de funk, spectre en forteresse inusitée : Otto Willberg a plus d’une corde à sa basse

Otto Willberg Barbaric Mystical Bored
Why Eye, 2022
Otto Willberg The Leisure Principle
Black Truffle, 2023
Écouter
Bandcamp
Écouter
Bandcamp
Musique Journal -   Pétrisseur de funk, spectre en forteresse inusitée : Otto Willberg a plus d’une corde à sa basse
Chargement…
Musique Journal -   Pétrisseur de funk, spectre en forteresse inusitée : Otto Willberg a plus d’une corde à sa basse
Chargement…
S’abonner
S’abonner

Je ne crois pas vous en avoir parlé, mais je me suis pris, à l’automne dernier, une bastos stylistique de premier ordre, d’autant plus inattendue qu’elle m’a été fournie par le membre d’une corporation que je qualifierais d’hétéroclite pour rester poli : un bassiste. Le 23 Septembre 2023 donc, alors tout préparé que j’étais à me prendre la claque sludge/doom annuelle prévue par Donna Candy aux Instants Chavirés, je me retrouve, une nouvelle fois et de manière impromptue, à toucher du doigt la fossette de la divinité, transcendé par une performance m’apportant ENFIN une réponse sans détour et positive à une question venue du fond des âges (i.e. l’apparition de la basse fretless) : un solo de basse peut-il à la fois être poignant, ludique et sexy, virtuose et éloquent sans être verbeux, tout ça sans qu’aucune loi internationale ne soit bafouée ? Est-ce souhaitable ? Et que se passe-t-il quand pendant 45 minutes les solos s’enchaînent et finissent par former un concert ?

Dans cette salle quand même à l’origine de pas mal de mises à jour existentielles, il semble donc que tous les membres de Sly & the Family Stone ont réussi à fusionner leurs essences, façon dragon ball, pour s’incarner en un gus filiforme et groovy af nommé Otto Willberg. Le concert est une véritable leçon de funk liquéfié, classe et collant, envoyé d’une traite et sans préavis, en face à face, devant la scène. Équipé d’une basse, d’un sampler blackbox et de quelques pédales, le bonhomme réussit là où Return To Forever a échoué, et dépasse même maître Graham. Par dessus des ostinatos minimaux (réalisés à l’harmonica basse, aka l’instrument à anche libre le plus pimpalicious de cette planète), il shredde – avec les doigts bien sûr, mais surtout avec le cœur – sans jamais en faire trop ; je ne peux pas m’arrêter de sourire, emporté dans un tourbillon de fuzz, de granulation et de wah-wah confiturée. Je n’en crois pas mes oreilles, c’est la good vibe jusqu’à l’extase, mes certitudes de snobinard volent en éclats, mes énergies s’alignent avec celles de mon paternel et je me retrouve même à transgresser un tabou personnel, c’est-à-dire prendre des vidéos pour les envoyer EN DIRECT aux sourciers du groove de mon répertoire.

À la réécoute de The Leisure Principle, l’album qu’Otto défendait ce soir-là, des souvenirs de cette performance simple, radicale et jamais ampoulée resurgissent, intacts. Le son est crispy et dépouillé, et il est clair que la présence de cet album sur le catalogue de Black Truffle tient moins au statut de petit prince de l’underground mancunien de son auteur (ça joue avec Charles Hayard ou alors dans ce truc fascinant par exemple, improvise avec des loustics qui tricotent avec classe, et pas des pulls) qu’au caractère profondément sincère, généreux et intelligent de sa musique. Pour moi, voilà un idéal d’expérimentation : tirer jusqu’au bout du bout un son et une idée, d’une manière plutôt didactique et figurative, avec une narration super solide. Depuis « Reap What Thou Sow », entrée space et spatialisée, saupoudrée de nappes, jusqu’au final en colimaçon fusion « Licker » (sans oublier ma préf aux harmonies tellement r’n’b « Shadow Came Into The Eyes As Earth Turned On Its Axis »), c’est un seul périple, un seul mortier suave qui se déverse dans les esgourdes.

C’est marrant, parce que cet album m’est revenu dans la tête alors que vient de se clôturer une très agréable tournée avec une sacrée équipe comptant notamment deux gugusses qui, pour me rendre chèvre, n’avait rien trouver de mieux que de jouer le thème de « Spain » de Chick Corea au moindre moment de blanc – Alex, Léo, ni oubli ni pardon, vous ne vous en sortirez pas si facilement, même s’il s’avère que la version dite « light as a feather » est vraiment pas si mal ! À l’occasion de cette réminiscence, je me suis aussi penché sur les autres albums d’Otto, et notamment sur son précédent solo, Barbaric Mystical Bored, qui pour le coup coche toutes les cases de l’œuvre brute et située qui essaye des trucs, mêle les processus et brouille les pistes (performance, enregistrement, édition, tout se télescope) en tenant pile la ligne entre l’errance disloquée et la maîtrise du sujet. Bref, un disque-appât parfait pour choper du lecteur de Wire à la pelle – et le vice a même été poussé jusqu’au bout, la présentation sur bandcamp est carrément une review du mensuel angliche, c’est vraiment vicieux !

Barbaric Mystical Bored s’organise presque entièrement autour du fort de Grain Tower Battery, bâtiment situé sur la péninsule de Hoo (dans le Kent, à l’Est de Londres) et obsolète dès la fin de sa construction, en 1855. Otto Willberg l’utilise à la fois comme espace de jeu, instrument et protagoniste : il en fait apparaître les propriétés réverbérantes et les résonances des pièces et recoins du bâtiment avec des boucles de feedback, réinjecte ces enregistrements dans ces mêmes espaces, et subverti finalement par l’édition leur caractère très in situ, créant ainsi des réarrangements qui sonnent comme des façons étranges d’habiter – de hanter, même – ces lieux assez peu hospitaliers. On entend le vent et des pas, des voix-énigmes (notamment sur « one » celle de Greta Buitkute, qui joue avec lui dans Historically Fucked), des bourdons et beaucoup d’eau, des interférences de portables, des cuts désorientant et des effets de phasing, des objets manipulés et des impacts impossibles à localiser ; on ne sait jamais si on se trouve dans la boucle rétroactive primordiale, dans sa captation, dans ce bâtiment ou dans un studio, et c’est dans cette incertitude que se loge évidemment la beauté.

Cette ubiquité fantomatique et gentiment inquiétante, très Luc Ferrari, donne au tout une ambiance indécise donc, et pourtant assurée (ce qui transparaît plutôt bien dans les deux mises en images signées Mio Ebisu, je trouve) : on sait le lieu, mais par le prisme d’Otto et de son dispositif. Pour cela, Barbaric Mystical Bored est aussi ludique que The Leisure Principle mais pas du tout de la même manière : ici, c’est la chasse aux trames sonores (les objets ne sont jamais bien distincts, séparés, ils viennent par grappes, avec leurs traines), il n’y a pas de visite guidée à proprement parler et les freaks sont de sortie, coincés pour leur plus grand bonheur sur une île uniquement accessible à marée basse. Et ces ectoplasmes du XXIe siècle, planqués sous des draps irisés, sont bien décidés à faire enfin vivre cette forteresse inutile, même si celle-ci doit devenir une maison hantée.

Pour résumer, donc : un musicien londonien avec l’aura d’un Sammy Rogers affriolant, deux albums que l’on pourrait penser antagonistes mettant en œuvre des dispositifs et approches apparemment aux antipodes, avec toujours ce petit twist impertinent et lumineux, et cette attention pour l’émotion que l’écoute fait advenir, quand on s’applique. En un mot, groovy.

Synth-funk pour pubs Seiko et génériques de fin [archives journal]

Greg Phillinganes avait joué du synthé sur « Off The Wall » et « Thriller » avant de sortir un album solo qui en 1984 marquerait l’enfance de notre auteur et ami Virgile Iscan, lors d’un été grec passé auprès de cousines qui ne cessaient d’en chantonner certains passages. De Yellow Magic Orchestra à Eric Clapton en passant Quincy Jones, Michael Keaton ou « Buckaroo Banzaï », retour sur l’histoire d’un disque qui pourrait résumer à lui tout seul le milieu des années 80.

Musique Journal - Synth-funk pour pubs Seiko et génériques de fin [archives journal]
Musique Journal - Ce DJ set de Walter Mecca met tout le monde de bonne humeur

Ce DJ set de Walter Mecca met tout le monde de bonne humeur

Le très récent mix du producteur parisien Walter Mecca sur Rinse France nous a tous mis d’accord : c’est un périple virtuose entre beats, jungle, jazz-rock, deep house et techno, qui devrait ambiancer votre weekend. Et c’est l’occasion de présenter son nouveau label, Arcnoid22.

Dix ans de post-club (4/5)

Quatrième épisode de la rétrospective de Victor Dermenghem consacrée aux classiques oubliés de l’Internet club music des années 10. Aujourd’hui, on va suivre Le1f, figure du rap queer, dans sa Fly Zone, sortie en 2013. 

Musique Journal - Dix ans de post-club (4/5)
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.