Troubadour borgne et border cherche mécènes plus ou moins huppé·es

Momus Stars Forever
Le Grand Magistery, 1999
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Musique Journal -   Troubadour borgne et border cherche mécènes plus ou moins huppé·es
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C’est une chose d’être un ovni, c’en est une autre de se balader en planète. C’est plutôt cette seconde option qu’a choisie Momus alias Nick Currie (alias Momus, alias Nick Currie… ou le contraire) qui depuis plus de trente ans décline sa poésie en chansons, en performances artistiques, en livres, en lui-même. L’histoire qu’il nous (et se) raconte se tricote en une pop-folk électro naïve, mise en scène au premier degré de sa propre vie qui peut sembler paradoxalement moqueuse (Momus est d’ailleurs le Dieu grec de la moquerie). Ce hiatus intrinsèque se lit dans sa musique autant que dans ses paroles, et Currie est un sacré bavard.

Comme il a composé pratiquement trente albums, aucun souci pour se plonger dans cette langue et ce phrasé musical ; la matrice originelle ne connaît que peu de révolutions : une voix bowiesque, des sonorités pailletées et synthétiques, des beats machiniques. Une planète donc, accompagnée de satellites amis, de Stereo Total à Kahimi Karie – ou, encore une fois, vice et versa. La chanson la plus connue de son répertoire jusqu’à maintenant est sûrement « I Want You But I Don’t Need You », petit air carrousel (au sens propre dans la vidéo qui illustre le morceau) qui s’emballe et transforme une déclaration d’amour et de désir en trouble haineux compulsif. Mais je vous propose ici de nous concentrer sur le meilleur exemple du positionnement artistique du chanteur qui est, selon moi, l’album Stars Forever, sorti en 1999 chez Le Grand Magistery.

Illustration parfaite de l’artisanat du bonhomme, d’abord par sa raison d’être : il s’agit de trente titres de « patronage pop ». Le concept que Momus déploie avec beaucoup de brio sur son site imomus.com et auparavant dans le livret de l’album est simple et a été lancé comme une proposition de parrainage :

« (…) Here’s the deal, and how you can be involved in this unique one-off record. The first thirty people to pay $1000 dollars to the Momus Stars Forever Fund will be ‘painted’ in song. If the work of Momus is remembered, having a Momus song written about you will be a direct line to posterity. You will be a ‘star forever'(…). »

« Voilà le deal et comment vous pouvez faire partie de ce disque unique et exceptionnel. Les trente premières personnes qui paieront 1000 dollars pour financer le “Fonds Momus Stars Forever“ seront “peintes“ dans une chanson. Si, dans un futur lointain, on se rappelle encore de l’œuvre de Momus, avoir une chanson sur vous écrite par Momus sera votre passeport pour la postérité. Vous serez une ‘star forever’ (…) »

L’offre se présente comme un protocole détaillé de création et de questions auxquelles les généreuses donateur·ices doivent répondre pour que le chanteur puisse dresser leur portrait. Par exemple : si vous étiez un pharaon et que vous deviez être enterré·e avec des objets à amener dans l’autre monde, quels seraient-ils ?

On voit les accointances du chanteur avec l’art contemporain dans cet appel à la fois provocateur et inventif, soutenu par une théorie esthético-politique : un retour au parrainage direct de l’art qu’il historicise jusqu’aux pratiques des troubadours, et qui serait également une revendication d’hommage à la singularité et l’extraordinaire de chaque être, déconstruisant ainsi l’idée que les artistes seraient des sur-êtres humain·e·s, des sortes de super-héro(ïne)s. Pfiou… On est le 1er janvier 1999, internet vit encore – chez moi en tout cas – aux rythmes des modems qui font gnnnnnnpppp iiiiiiiii et mine de rien, cette proposition assez avant-gardiste annonce un réel mouvement qui se confirmera plus tard via le crowdfunding et autres soutiens financiers directs aux artistes, que Momus appelle donc de ses vœux. À l’époque, il se fait quand même un peu assassiner pour cette démarche, comme si quelque chose de la pureté était sali par le commerce direct de son art et comme si, en passant par d’autres biais, tout restait bien propre au royaume du music business (LOL), mais répond cependant à ces attaques de manière assez brillante et d’une façon so art contemporain, encore.

Il faut quand même rappeler que le point de départ de cette affaire en forme de collecte de fonds est un contentieux opposant le bonhomme à Wendy Carlos (oui) après une chanson de très mauvais goût (avec morinommage et voyage temporel en prime), qui va donc lui coûter 30 000 dollars – ce qui donne un cadre très réel d’expertise comptable à l’expérience, et marque surtout un bon gros retour de karma pour l’intéressé. Disons que c’était une autre époque (ce qui n’excuse rien du tout), avec son lot de transgression « rock » méchantes et sourdes à l’altérité. La leçon à plusieurs dizaines de K était nécessaire et semble avoir fonctionné, la chanson ayant été retirée et Currie n’abordant plus, publiquement en tout cas, le sujet.

Par la composition musicale tous azimuts, les paroles des chansons foisonnantes, drôles, tendres et piquantes, Stars for ever est un album archétypal du style momusien. Un trop plein de tout. Quelque chose, au fond, de la joie d’être au monde, se joue sans cesse dans ces petites ritournelles qui débordent. Toujours ou presque toujours, avec les gros sabots de sons Casio, le troubadour y va à fond, parfois avec des petites réminiscences du folk de son Écosse natale. Les titres des chansons ? Les noms des gens ou entités qui ont payé pour être sur l’album. Il faudra deux disques. Les contributeur·ices sont majoritairement états-unien·nes et japonais·es, mais l’ensemble est assez international, montrant une communauté de fans réparti·es sur une belle partie du globe. La plupart sont des inconnu·ex (de nous en tout cas) ; leurs portraits sont on ne peut plus prosaïques, dépeints avec une tendre ironie.

On entend donc défiler nombre d’anecdotes, de quotidiens, de goûts comme celui de Kokoru Hirai pour le chocolat, histoire douce comme une berceuse de sucre et on aurait tendance à penser que ce n’est pas un hasard. Puis sans transition, on passe à une fable sur « Stefano Zarelli » avec un zeste de pop californienne parsemée de sons issus des synthés les plus basiques possibles pour évoquer un personnage tiraillé par ses contradictions. Un peu comme « Paolo Rumi » qui devient le symbole du consumérisme et de la superficialité avec une espèce de chant de chorale liturgique un peu indien en fond, complètement incongru, complètement n’importe quoi. Et tac, on enchaîne sur une espèce de parodie de rap 90s à la Rage Against the Machine pour parler de Natsuko Tayama et de sa timidité. Il n’évite aucun sujet, comme le fétichisme sexuel de Steven Zeeland envers les hommes de la Marine – on oublie la délicatesse dans la répétition graveleuse du « blowing on your horn ».

Dans un morceau qui adopte tous les codes rythmiques du slogan publicitaire, on découvre le britannique Robert Dye, commercial en matériel médical, fan de Momus donc, mais surtout de 18 Wheeler, groupe qu’il est si doux de voir couronner meilleur groupe du monde parce qu’on fut presque d’accord. On se promène dans une galerie de tableaux sonores et chaque portrait individuel est une petite comédie, parfois agaçante, parfois irrésistible.

J’ai mon petit favori, j’ai même un gros penchant pour Shawn Krueger, mais je vous jure que ce n’est pas seulement parce que c’est une vraie demande en mariage dudit Shawn à sa petite amie Emily, mais aussi parce que c’est la plus pop épurée des chansons, une vraie ballade au piano qui part en presque cliché de chœurs Beach Boys, qui fonctionnent au premier degré et à tous les autres. Petite dramaturgie de comédie romantique en chanson (« Emily, marry him! »). Et puis bien sûr, la grande classe : Noah Brills, le seul super héros, petit garçon de trois ans alors, sûrement vingt-huit aujourd’hui, qui a les parents les plus cool du monde donc.

Certains contributeur·ices sont des entités : des magasins de disques comme Other Music à New-York, et le chanteur en profite pour digresser sur la notoriété et la postérité des artistes qu’on peut y trouver de Pearl Jam aux Posies, ‘Jon and Ken’ ou Reckless Records à Chicago. D’autres sont des regroupements de plusieurs personnes : « Indiepoplist » qui réunit trente fans qui se sont cotisés pour avoir leur chanson. Il égrène leurs noms, leurs groupes préférés, comment certains se sont connus, mariés ensemble… Record de patronymes prononcés dans une chanson (affirmation absolument non vérifiée). Dans un « Team Clermont » très western spaghetti, des Grec·ques enragé·es font peur aux DJ qui jouent Metallica et plébiscitent plutôt les albums de Daniel Johnston ou DJ Krush. Car, en filigrane, le motif revient (l’homme est têtu) : la postérité, la reconnaissance des artistes, un peu de name-dropping de copains, les « stars pour toujours » qui en sont et celles qui n’en sont pas.

Au bout de l’écoute de ces deux disques, on sera passé par des bribes, des évocations de pans entiers de la musique dite moderne… Mais ai-je évoqué les accents médiévaux de « Brent Busboom » ? Non et pourtant, c’est certainement encore un petit clin d’œil aux troubadours dont il est une incarnation en négatif : lui, dans sa démarche, n’est pas parrainé par la seule aristocratie pour écrire ses poèmes musicaux. Il n’empêche que quelques vraies célébrités, notre noblesse à nous, ont aussi contribué à la cagnotte, comme Jeff Koons ou Cornelius.

Après le trente-troisième portrait, la trente-troisième star, le deuxième disque finit par les prestations des huit gagnants d’un karaoke parodique où les participants chantaient des morceaux de l’album précédent de Momus The Little Red songbook, sorti en 1998. Le point final est une conclusion explicative et narrative de l’homme au cache-œil qui dure plus de vingt minutes.

Je ne vous le cache pas, il faut s’accrocher. Il est difficile et peu conseillé d’écouter les deux disques d’une traite : c’est assez baroque et plutôt fatigant pour l’imaginaire. Très vite, on ne sait pas on ne sait plus qui, du créateur de ces chansons, de ceux qui ont donné de l’argent pour l’exercice, ou des artistes retouchés, a le plus d’ego… On sort un peu troublé·e de l’écoute de cet ensemble coloré, la tête pleine de morceaux de vies, de personnes devenu·es des personnages dont l’esquisse nous a touché·e ou/et nous a fait rire. C’est gai, c’est plein de vie et à part, en flottaison dans l’univers : c’est la planète Momus, un astre aux petits airs de palais idéal du facteur Cheval.

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