De Claude Lombard, on se plaît souvent à dire que c’est elle qui chantait les génériques des animés japonais des années 1980 dont nos enfances se souviennent. On sait moins que cette voix aux éclosions guillerettes aura par ailleurs jalonné, et ce dès 1965, la francophonie de la balade et de la chansonnette, allant jusqu’à concourir à l’Eurovision en 1968 pour sa Belgique natale. D’où l’effet de surprise particulièrement réussi lorsque l’on découvre pour la première fois ce Chante digne d’un secret chuchoté. La pop dite électronique n’aura jamais autant rendu grâce à la délicatesse des rêves éveillés.
Que 1969 ait été proclamée année érotique, il n’en fallait pas moins pour que cet album se retire dans la discrétion souveraine du merveilleux. Celui qui fait fi du temps, des époques, des âges et se pare du cours d’eau qui révèle la transparence du monde. Au déluge des corps, des idéologies et des psychédélismes s’esquintant de communautés en orients, Claude Lombard aura préféré le pépiement d’un clapotis nourricier. Tout n’est qu’eau. De ce son cristallin de claviers au chant en scintillements, il y a là une étendue hantée par une mythologie de rivière que les ondes Martenot dévoilent avec la magie du diaphane. Certains diraient profanes, d’un revers de main signifiant le dédain d’un barbelé fermant la voie. Profane de l’enfance que l’adulte guerroie d’un mauvais œil comme l’on aperçoit un barbare sortir de la forêt, peu importe que son regard porte la lucidité d’un étang. Tout n’est qu’autre. Autre, il en aura aussi été question à la fin des années 1960. Il faut se rappeler ce premier pas sur la lune quand il apporta avec lui cette moitié de visage que les colonisés connaissent bien, annihilant la gravité des rêves et fixant le tout d’un vulgaire coup de drapeau. Et s’il est vrai que cette fanfaronnade aura permis aux expérimentations sonores les plus lumineuses de se répercuter dans le miroir d’un satellite, pour s’égarer avec satisfaction dans le noir silencieux de toutes couleurs, pour Claude Lombard, tout se passe ici. Pas besoin d’aller chercher dans l’espace ce qui est tout près. Il est plus facile de se retrouver dans l’ermitage de l’eau. C’est un jeu d’enfant. Un mouvement d’arbre crée le tourbillon de l’être qui se ramifie d’eau en mains pour toucher l’invisible.
Les profondeurs ont la beauté inquiétante des fantômes attendant à la surface. D’une face à l’autre de ce disque, il en va d’un miroitement qui, dès la pochette, éclaire cette Viviane dont la malice du sourire s’ouvre en clairière sur les souvenirs. Ricochets d’un rire gracile qui s’accommode de pluie. Délice du ruisseau qu’on éclabousse d’un tintamarre de pieds.
De temps à autre, le métal d’usine et de guerre trouble la clarté de nos yeux levés et endormis, laissant un trou que l’histoire remplit de rouille, mais l’eau revient toujours, comme les souvenirs. Avec l’ellipse sauvage d’une proie qui s’abreuve dans la légèreté du recommencement. Là-bas un oiseau abaisse son air : Alice passe l’air de rien à la lumière de l’eau et redevient unique.
À l’air, ce disque est libre comme l’eau. Car l’eau reflète tous les souvenirs du monde pour peu qu’on s’y mire.