Comment réussir son divorce : les conseils de Syreeta et Stevie

Syreeta Syreeta
1972, Motown
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Musique Journal -   Comment réussir son divorce : les conseils de Syreeta et Stevie
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La décennie 1970 fut carrément chargée pour ce cher Stevie Wonder. Sur ces dix années, le non-voyant le plus célèbre de la planète sortira à une cadence infernale un enchaînement d’albums qui, on peut le dire sans faire dans le sensationnel, marqueront durablement l’histoire de la musique populaire occidentale du XXe siècle : Music of My Mind (1972), Talking Book (1972 aussi), Innervisions (1973), Fulfillingness’ First Finale (1974) et enfin Songs in the Key of Life, en 1976. Et ça, ce n’est que son boulot perso. Au début de cette période, il en profite aussi pour partir dans l’expérimentation tous azimuts sur les synthés, aidé par le Tonto’s Expanding Head Band de Malcolm Cecil et Robert Margouleff. Pour se marier aussi, avec une chanteuse et parolière de la Motown, Syreeta Wright. Tout cela prend place en 1970. Stevie a 20 ans.

Deux ans plus tard, alors que le mariage est déjà désagrégé, Syreeta sort un album éponyme, chant du cygne dans lequel le prodige des claviers s’implique avec force. Syreeta est un point d’équilibre parfait, l’illustration limpide de la vie d’un artiste à deux doigts de la bascule, proche d’atteindre son zénith ; mais plus important, c’est le récit d’une synergie démarrée comme une histoire d’amour et qui se poursuit comme une collaboration musicale filée. D’accord, la musique et la prod doivent beaucoup à Stevie ici, son style imprègne fort c’est clair, et notamment niveaux claviers, textures et arrangements. Mais ce qu’apporte Syreeta ici, la manière dont elle vient habiter et transformer les écrins sculptés par son (ex-)mari n’est pas moins impressionnante que ceux-ci. La fluidité et la délicatesse espiègle avec laquelle cette native de Pittsburgh manie sa voix contribue énormément à la beauté de ces morceaux dont l’évidence est presque irréelle.

C’est peut-être la pochette qui me fait dire ça, mais je ne peux m’empêcher de rapprocher Syreeta d’un album qui sortira deux ans plus tard et n’a en apparence pas grand-chose à voir avec, On the Beach de Neil Young (dont j’avais déjà longuement parlé ici). Ces deux œuvres travaillent, plus que la Nature à proprement parler, la naturalité, en usant parfois de monceaux d’artifices – j’adore comment la voix se balade sur « Black Maybe » par exemple, toujours en transition entre les phases et les LFO, à la fois distante, en dehors, et en même temps exactement là, avec nous. Elles procurent une sensation océanique, quelque chose d’une brise revigorante qui confie presque à l’euphorie ; d’un corps qui se meut, aussi.

Pour rester du côté des embruns, on peut d’ailleurs relever la présence sur cet album de Buzz Feiten, guitariste de session ultra-prolifique qui met en évidence l’influence déterminante non seulement de la Motown mais aussi de la musique de Stevie Wonder sur le soft rock ascendant mer azur, dont il est une version blanche et sous Quaaludes – Feiten a d’ailleurs sorti un disque carrément yacht-rock en duo avec Neil Larsen en 1980, Larsen/Feiten Band, pour moi un classique du genre. Sur Syreeta, je trouve cette proximité évidente, même si les musiques divergent fortement, justement peut-être. Ce qu’elles partagent, c’est une instantanéité transcendante et toute étasunienne (peut-être un peu plus chouineuse pour le rock de gros bateau), quelque chose d’une mythologie positiviste occultant toute l’horreur du terreau les ayant vu naître.

Et c’est très clair dès « I Love Every Little Thing About You », ouverture garnie de synthés bizarro-ludiques et immédiats dont la rengaine se déroule pour toujours, dirait-on : ce duo là ne roule pas du tout pour la team ronchon (« To Know You Is To Love You »). Si sa musique est apparemment conciliante, c’est au sens premier du mot, c’est-à-dire qu’elle réconcilie, amène ensemble non par la force mais par l’amour, ce qui est plutôt paradoxal pour des protagonistes en instance de rupture, mais passons. Les ex bosseront d’ailleurs encore ensemble sur le successeur de Syreeta, paru deux ans plus tard : Stevie Wonder Presents Syreeta. La collaboration est carrément explicite et tient d’ailleurs un peut trop du patronage, on a quitté le domaine de la synergie et je trouve que ça se sent, plus que ça s’entend. Les surfaces sont un peu trop lisses et ce que son prédécesseur avait de fulgurant a disparu.

Ce premier album est indéniablement pop, dans une optique quasi-mystique. Peut-être plus que les instrus et arrangements auxquels participe son conjoint, c’est la voix de Syreeta qui me retourne le plus sur cet album. Sa présence est étrange, presque surnaturelle : elle est là, sans faux-semblants ni distance, déverse son intériorité dans des paroles pourtant génériques. Elle est un être de lumière qui appaise, pacifie et comprend. Rien que quand elle parle c’est magnifique : dans cette interview, sa manière d’égrainer les mots, de les faire glisser dans ce flot si particulier, c’est déjà incroyable à écouter !

On vise ici l’harmonie des âmes et des cœurs – je ne surprendrai personne en précisant que Syreeta fut prof de méditation transcendantale en Éthiopie durant cette même décennie, et que Stevie fut lui-même pratiquant –, à atteindre une beauté sérieuse mais jamais grave, souvent ludique. La reprise du tube de Smokey Robinson et Bobby Rogers « What Love Has Joined Together », avec sa phrase I love you from the bottom of my heart délivrée de la manière la plus désarmante du monde, forme un diptyque habité par la grâce avec « How Many Days ». Il y a aussi la version de « She’s Leaving Home » ou le honky-tonk bien sudiste (concorde, on a dit) « Happiness », des chansons qui ne se la racontent pas mais qui le pourraient clairement, où des talk-box turbulentes et gentiment bavardes nous rappellent que la musique est un émerveillement mais aussi une tentative, que l’expérimentation peut s’envisager avec sérieux et légèreté, sans monocle ni costume en tweed.

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