Je tape régulièrement dans Google « best romcoms Netflix Amazon streaming » car j’adore engraisser les GAFA en passant la soirée devant mon laptop à déguster de la Ben & Jerry’s vegan. La dernière fois c’était la semaine dernière et un site recommandait Been So Long, film britannique avec Michaela Coel, fantastique actrice et réalisatrice que vous avez peut-être vue dans les séries Chewing Gum et plus récemment I May Destroy You. J’ai cliqué car le descriptif contenait l’adjectif dreamy et je me suis dit que ça allait être éthéré voire évanescent, mais en fait pas du tout ! Et surtout je n’avais pas compris que c’était une romcom musicale, autrement dit une comédie romantique croisée avec une comédie musicale. D’ailleurs, je ne savais pas, mais je me suis aperçu que lorsqu’une comédie musicale est adaptée en film, on ne doit plus l’appeler « comédie musicale » mais musical film, film musical, même si j’ai l’impression qu’en France la culture autour de ça n’est pas assez développée pour que cette précision intéresse beaucoup de monde.
Toujours est-il que Been So Long (qui est au départ une vraie comédie musicale produite en 2009 au théâtre londonien le Young Vic, elle-même adaptée d’un livre édité en 1998) se déroule à Camden, et que Michaela Coel y joue une trentenaire célibataire, prénommée Simone, qui travaille dans un salon de coiffure et vit essentiellement pour Mandy, sa fille handicapée de 9 ans, jouée par la très prometteuse Mya Lewis. Sa mère, sa meilleure amie et ses clientes la saoulent en permanence parce qu’elle n’a pas de mec, qu’elle est soi disant « pas fun » et qu’elle mange bio, et ça donne notamment lieu au début du film à une chanson rappée en duo avec Ronke Adekoluejo (sa BFF, donc), qui est peut-être le morceau le plus street-crédible du film. Je comprends d’ailleurs très bien que l’on puisse reprocher, comme le fait ici Batty Mamzelle, à la direction musicale de Been So Long de rester trop sage et trop mainstream, surtout vu le contexte afro-londonien de l’histoire, comme on peut aussi faire remarquer que la plupart des actrices et acteurs ne sont vocalement pas toujours à la hauteur. Mais à vrai dire, ça ne m’a pas du tout gêné et j’ai même trouvé que cette partition tout en compromis (signée par Christopher Nicholas Bangs) servait finalement mieux le propos que si elle avait été plus edgy, genre écrite par une figure de la musique anglaise actuelle de type FKA Twigs, Jamie XX ou Sampha. Les chansons (et les chorégraphies) s’intègrent très bien à l’action, on comprend clairement les paroles, et le registre crossover gentil colle bien à l’ambiance inclusive et populaire qui règne dans le film. On se dit que c’est le genre de musique que doivent écouter les personnages, parce que ce n’est pas parce qu’on est noir et londonien qu’on écoute uniquement du hardcore continuum et du R&B post-dubstep. Ça donne en tout cas une œuvre réussie et très émouvante, où la musique se coule dans l’histoire tout en célébrant un certain esprit, une ode au ghetto love à l’anglaise même s’il ne s’agit pas vraiment d’un ghetto mais plutôt des quartiers multiculturels de la métropole britannique. J’ai eu envie de voir des équivalents français à ce genre de projets, mais je ne crois pas que ça existe déjà. Et ce serait bien que ça se monte, parce que le genre du musical mériterait d’être mieux exploité par nos artistes et nos producteurs : en plus de nourrir la création musicale et de faire découvrir des sons et des chansons peu connues au public généraliste, il permet d’aborder des problématiques sociales qui restent autrement trop vite traitées façon « gros sujets graves » comme dans Plus belle la vie ou les films.
Evidemment ce sont les scènes de déclarations d’amour et de désir qui restent les plus intenses, et la performance de Michaela Coel reste le principal attrait cinématographique de Been So Long. Ça n’empêche pas l’acteur Arinzé Kene d’exceller dans le rôle de Raymond, beau gosse trentenaire aux airs de R&B dad idéal, mais en fait ex-taulard avec bracelet électronique – une sorte de baraque virile mais vulnérable comme on les aime. D’ailleurs, dans la catégorie « couple potentiel mais fragile qu’on veut à tout prix voir s’unir », ça m’a rappelé une autre rom-com Netflix, pas musicale cette fois-ci, mais néanmoins dotée d’une dimension musicale dans l’intrigue : c’est Always Be My Maybe avec la stand-uppeuse (et ici scénariste) Ali Wong. Ça raconte l’idylle impossible entre elle, dans le rôle d’une celebrity chef de San Francisco, et son ex-meilleur ami de lycée, devenu rappeur semi-raté, qui vit encore chez son père, joué par Randall Park. J’étais séduit en constatant que la forte présence asiatique dans l’underground hip-hop de la Bay pouvait être intégré à une intrigue de romcom, et surtout ça m’a plu de voir que cet élément « subculturel » n’était pas juste un accessoire. Il y a notamment une scène où Park, que Wong voit au départ comme un loser, se met à « rock the mic » lors d’un petit concert auquel elle assiste. La jeune femme se rend compte qu’en fait il est vraiment bon et ça m’a beaucoup ému, alors même qu’en soi la chanson ne m’a plus marqué que ça, mais parce que ça dit une chose essentielle sur les passions adolescentes et leur adaptation ou leur non-adaptation à la vie adulte – ça a beau être un peu pathétique et régressif d’avoir un groupe de rap à 35 ans, ça n’empêche que ça peut parfois offrir des instants incroyables. Bref, le déroulé du film reste respectueux des standards de la rom-com et de sa résolution heureuse, mais le background turntablist/post-Stones Throw reste très bien documenté (tout comme les aspects culinaires coréens et vietnamiens) et il y a par ailleurs une scène très drôle avec Keanu Reeves. Si j’étais sur Allociné je dirais que ce film sans prétention quoique brillamment porté par ses acteurs m’a fait passer un très bon moment, même si je me suis demandé comment les producteurs avaient pu valider la scène où Ali Wong s’énerve sur les « Chinois qui se garent n’importe comment » sans jamais choper d’amende (peut-être parce qu’elle est elle-même à moitié chinoise, mais quand même, pas très woke Netflix là dis-donc).
Voici donc, à l’approche des fêtes, de quoi vous faire une bonne soirée double-feature spécial rom-coms, que vous soyez en solo, entre ami.e.s ou avec votre amoureux.se. Et puis allez, Netflix France, faites une romcom musicale avec SCH, Lyna Mayhem et Tay-C, bordel, les gens n’attendent que ça !