Pinback ou la vulnérabilité indie comme zone de confort

Pinback Blue Screen Life
Ace Fu, 2001
Systems Officer Systems Officer
Ace Fu, 2004
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Musique Journal -   Pinback ou la vulnérabilité indie comme zone de confort
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Je vais encore parler de quelque chose que j’aime sincèrement malgré ses contours parfois détestables. En l’occurrence je voudrais évoquer mon amour pour la sensibilité indie/emo des années 2000, sur lequel j’ai déjà écrit cet article, et louer le pouvoir quasi thérapeutique, ou disons très réconfortant de ce rock à tote bag, livide, fragile, pseudo-alternatif, dans lequel je me prélasse les jours d’ennui et de légère déprime. Une sensibilité qui a mué avec les années et qu’on pourrait aujourd’hui désigner par le terme de comfy indie.

Cette nouvelle catégorie de produits culturels « comfy » (pour comfortable) ou « cosy » génère bien des essais de style audacieux, comme le comfy synth, ce sous-genre de dungeon synth dont on trouve une présentation tout à fait honorable ici. Ce genre musical serait lui-même la bande son de la cosy fantasy, genre littéraire qui connaît un grand succès, notamment via son éditorialisation par des créateurs de contenu sur TikTok : un vrai phénomène d’annihilation des événements de la narration au profit de la mise en place d’une ambiance douillette. On retrouve là des livres décrivant des elfes en thérapie, ou des essais de fan-fiction pépère, comme les tribulations d’un vendeur de thé dans un univers Final Fantasy. En exagérant un peu, cela pourrait rappeler le concept de littérature ambient de Tan Lin, dont on trouve l’expression la plus radicale dans son livre Heath, en version grand public et fan service. Les éléments d’un univers sont agrégés, mis en série, et la narration est reléguée au second plan, permutant avec le décor. C’est un constat sans jugement de ma part, car j’adore ce genre de décorum et j’y vois une possibilité riche en promesses de subvertir la dichotomie fond-forme.

Et c’est donc un décor indé et emo qu’y s’est imposé à moi depuis de longs mois. De fait, la relecture de cette musique par des musicien-nes plus jeunes me passionne et m’interroge, mais il se trouve que cela m’a aussi permis de me replonger dans certains des disques qui ont marqué mon adolescence. Cet allers-retours entre clins d’œil emo entendus sur des shows de webradios de DJ branchés et ma propre mémoire ont formé une boucle de feedback brouillant les pistes entre ce que j’aimais, ce que j’aime et ce que j’aimerais, générant une écoute renouvelée de certains groupes ou labels que j’avais franchement mis à l’écart.

Je me suis ainsi repris à me passer régulièrement la musique du musicien californien Armistead Burwell Smith IV avec son groupe Pinback ou en solo. Le morceau « Penelope » issu du célèbre album Blue Screen Life, a ainsi accompagné nombre de mes trajets en bus quand j’étais adolescent, le front collé à la vitre embuée, le regard hagard et les idées noires. Alors grand auditeur de punk hardcore et autres styles extrêmes au nihilisme anti-pop, la délicatesse du chant de Armistead Burwell Smith IV, qui utilisait alors son pseudonyme Zach Smith, proposait une pause privilégiée et bienvenue à mes explorations sonores plus agressives. Le son clair des guitares, le petit orgue sur le pont, tout ça contribue et contribuait à résonner dans mes oreilles comme une pure pastille de tendresse au milieu d’une adolescence standard, chahutée entre émotions excessives et émotions trop contenues. En réécoutant la musique de Pinback, le côté cathartique s’estompe et je me dis maintenant qu’on peut la qualifier de comfy-indie tant leur son est duveteux, comme le décor rêvé d’une romance aussi tragique que banale.

Mais revenons à « Penelope », car, s’il y a quelque chose d’emblématique sur ce morceau, c’est cette ligne de basse fascinante qui pour le coup résonne davantage avec mon contexte d’auditeur contemporain qu’avec mes souvenirs. Le mixage de la basse sur ce morceau est tout simplement incroyable. On n’entend qu’elle et pourtant, elle est d’une certaine manière discrète, ronde et douce comme une onde sinusoïdale, et je n’arrive pas à déchiffrer les prouesses de studio qui ont provoqué ce miracle de compression et d’équalisation. Surtout, je trouve que ce type de mixage est parfaitement raccord avec une manière de faire entendre les basses dans les formes d’hypersleaze ou de musique indie post-internet qui se sont si bien adaptées aux contraintes des enceintes Bluetooth et leurs DSP (processeurs digitaux de signaux) sophistiqués qui gonflent outre mesure tout ce qui se trouve sous les 90Hz. Pour exemple je prendrais l’inévitable « Rapstar* » de NEW YORK où l’on retrouve régulièrement une esthétique des basses très contenues et pourtant omniprésentes. Si la musique est différente, je trouve une sensibilité commune, dans le son, au niveau des basses fréquences et de l’aspect vernissé des timbres.

Retrouver le morceau « Penelope » et Blue Screen Life a été un grand et curieux bonheur, mais j’aimerais aussi évoquer un disque moins connu d’Armistead Burwell Smith IV enregistré sous le nom de Systems Officer. Il s’agit de l’EP éponyme qu’il a sorti sur Ace Fu en 2004. J’ai longtemps hésité à revenir sur le catalogue incroyable du label new-yorkais, mais je me suis aperçu que des groupes que j’adorais jadis, comme An Albatross ou Ex Models, ne me touchaient vraiment plus du tout. Je ne me rappelais que vaguement de ce disque et j’ai donc pu réellement le redécouvrir dans ce contexte de 2025 où cette forme de comfy indie résonne si bien. Pour l’auditeur français, il faut se préparer psychologiquement au deuxième morceau, qui contient un son périphérique de guitare qui fait étrangement ressembler le morceau à « Me Gustas Tu » de Manu Chao, je préfère prévenir. Autrement, on a six titres d’emo d’ambiance, un peu bourgeois, pour faire semblant de pleurer, et je dois dire que je me sens dans ces morceaux comme un poisson dans l’eau. Le jeu de guitare d’Armistead Burwell Smith IV est à la fois très détaché et touchant et chaque riff pourrait être repris pour construire un beat pour un rappeur imaginaire qui s’appellerait Lil Lexomil. À côté de ça, l’instrumentation maison est parfois franchement bancale, comme sur « Desert/Sea ». Mais c’est aussi le côté cheap de ces batteries et pianos joués sur ordinateur qui ajoute une touche vraiment attachante à d’autres morceaux comme « Hael », tout en laissant sa place à la mélancolie des guitares superposées via un logiciel de MAO. Ce comfy indie assisté par ordinateur, pas cher et poignant, résonne parfaitement avec le type de curation sonore feutrée et indé, DIY mais léchée, qui caractérise tant de productions des années 2020.

Quel curieux tour de passe-passe du temps, puisqu’au fond, ce qu’Armistead Burwell Smith IV cherchait, avec Pinback ou Systems Officer, c’était l’expression sincère bien que maitrisée de ces émotions. En 2025, sa musique semble être un pur décor, qu’on entend comme une ambiance emo qui annihile la dimension affective de la musique pour n’en garder qu’un substrat esthétique à verser au compte-gouttes dans les journées les plus maussades. La curation des humeurs à travers la pléthore des playlists de streaming pour un mood particulier a donc préparé une drôle de relecture du passé, dans laquelle les fantômes ne font plus tellement évènement, ne surgissent plus, mais drapent le vide de leurs linceuls blancs.

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