Une année de plus sans Aaliyah

Aaliyah ΛΛLIYΛH
Blackground, 2001
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Musique Journal -   Une année de plus sans Aaliyah
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Ma rencontre avec Aaliyah se fit via un poster trouvé au milieu d’un magazine. J’avais alors 11 ans, je lisais le genre de magazines qu’on lit à cet âge-là, des espèces de revues mi-actualité musicale mi-presse people pour préadolescentes. Je me souviens que j’ai mis un peu de temps, quelques mois sans doute, à réaliser que les deux suites de chiffres qui figuraient en dessous de l’immense photo d’elle étaient en fait ses années de naissance et de décès. Quand je rencontrais Aaliyah, elle n’était déjà plus de ce monde. 

En parallèle, je me souviens aussi du tube « More Than A Woman » qui passait beaucoup à la radio (sur Fun Radio surtout, mais sûrement sur d’autres aussi). Je me souviens du clip, incompréhensible pour mes yeux d’alors : Aaliyah qui danse dans une tenue de cuir noir, Aaliyah qui se retrouve soudain dans un costume blanc immaculé, ou l’inverse, et en fait, figurez-vous que son espace de danse n’est rien d’autre que le moteur d’une moto, et que le dit moteur finit par se transformer en dancefloor de club avec plein de gentes qui dansent dedans.

C’est une bien difficile entreprise que de vouloir parler d’une artiste que tout le monde connaît, que tout le monde aime, honteusement ou non, qui était déjà « mythe » de son vivant, vivant que je n’ai donc pas connu.  Pourtant l’entreprise en vaut la peine si l’on regarde à travers le prisme de son tout dernier album. Car cet album d’Aaliyah représente à lui seul une sorte d’Himalaya, ou plutôt un Mont Analogue, quelque chose dont on voit bien les bases mais dont on ne peut qu’imaginer le sommet, et sa hauteur que l’on pressent sidérante. 

Age Ain’t Nothing But A Number, premier album sorti alors qu’elle n’avait que 15 ans, avait connu un doux retentissement critique tant sa voix paraissait déjà avoir vécu neuf vies. Le succès était déjà présent, avec un joli classement sur l’année 1994 à la 18e place du Billboard. L’album suivant, One in a Million, marque son entrée au sein de la grosse maison Atlantic Records, et c’est le moment où elle commence à fricoter avec Missy Elliott, Timbaland, leur groove alambiqué et caverneux, et leurs snares qui claquent à l’intérieur. 

Entre ces deux albums, un fait de vie personnel devenu cataclysme médiatique : en 1994, Aaliyah, 15 ans, devient la femme de R. Kelly, 27 ans, roi de la scène RnB d’alors. Le mariage ne durera évidemment pas et il fera un pataquès monumental, au point qu’il sera gentiment demandé à la jeune femme d’aller s’enterrer quelque part en Europe pendant quelques années, histoire que cette sordide aventure ne nuise pas à sa carrière. R. Kelly, en revanche, no problemo, il pourra continuer à occuper le devant de la scène tranquillou, sans jamais être inquiété de quelconques accusations de pédophilie, en tout cas pas réellement avant 2019, et jusqu’au procès qui s’est ouvert en ce mois d’août 2021. 

L’album éponyme d’Aaliyah sort le 17 juillet 2001, soit un mois et demi avant sa disparition, et presque deux mois avant le 11 septembre. C’est le troisième album, le plus mainstream, et très clairement « l’album de la consécration », qui suit un nombre incalculable de nominations à divers prix. C’est le grand plongeon dans l’Atlantique, la chanteuse nageant à toute berzingue vers le vieux continent, un agenda assez malin lui permettant de faire à la fois la promo du film Romeo Must Die avec Jet Li, dans lequel elle interprète le premier rôle féminin, et dans le même temps la pré-promo de son album. Elle compose à l’aide de Timbaland un titre (pardon : tube, pas son meilleur mais quand même bien efficace, le morceau « Try Again ») qui deviendra la bande-son officielle du film. Aaliyah est désormais inévitablement dans les cerveaux de toute la planète. 

J’ai retrouvé pour vous un bout de la critique de l’album par les Inrocks, écrit par Anne-Claire Norot : « Parce que les morceaux de Timbaland We need a resolution, More than a woman, Try again ont vraiment un supplément d’âme (soul, en anglais), reconnaissables d’instinct à leur chaloupement, à leur syncope contagieuse, à leur production insensée. Mais ils sont rares. Quelques morceaux à la manière de Timbaland font illusion, Extra smooth, U got nerve, Those were the days mais beaucoup trop de rengaines se contentent paresseusement de faire la brasse dans une mare de miel jusqu’à claquer d’une overdose de sucre, d’un diabète carabiné. On est certes encore assez loin d’un Brill Building du RnB, mais Aaliyah demeure une impressionnante interprète, la seule ambition revendiquée de cette fan de Barbra Streisand. De Dionne Warwick à Diana Ross, rappelons-nous donc d’une époque où la soul savait accueillir des interprètes sans complexes d’écriture, dont tout le génie tenait dans la gorge. »

Une critique qui passe donc largement à coté de son sujet, la présence de Timbaland sur certaines des productions les plus tubesques étant certes un élément-clé du disque et de sa qualité, mais quand même, pourrait-on s’il vous plaît Madame Norot, même en 2001 – époque assurément plus obscurantiste sur la légitimité et la visibilité accordée aux femmes qu’aujourd’hui –, faire l’effort de parler de l’artiste féminine qui donne vie à tout cela, et non pas lui garder deux phrases en fin d’article comme « c’est quand même une sacrée interprète » ? Non ? Non Aaliyah, tout ton génie tient dans ta gorge, elle a dit la dame. 

On ne peut certes pas faire l’économie de mentionner cette incroyable faculté qu’elle a de transporter tout dans sa voix, même les plus hautes montagnes, même les sables mouvants émotionnels les plus retors. Une immense technique vocale aussi (honnêtement, qui grimpe mieux en voix de tête que cette personne je l’ignore). Mais la voix sans âme n’est pas grand chose. La voix sans l’intelligence du placement au sein de la production n’est pas grand chose non plus, et ça Timbaland n’y est pour rien, à aucun moment. La production est peut être moins « insensée » sur certains morceaux, mais il est difficile de ne pas mentionner par exemple le fabuleux « Loose Rap », aux snares en fête, au petit refrain très court entêtant. Un titre qui réussit à entremêler une guitare en mineur à un petit synthé virevoltant, assez indescriptible. Aussi le non moins attrayant « Never No More », slow guimauve toujours contrecarré par la boîte à rythmes et les cordes MIDI, fragilement bancal. Et « I Refuse » alors ? Une petite odyssée de 4 minutes, impliquant sons d’orage et piano dramatique à souhait pour parler du thème glissant de la relation abusive. 

L’album est un tout, il n’est pas qu’une excuse commerciale pour y caler deux, trois tubes aux productions impeccables. Et c’est un tout qui ne vieillit quand même pas trop mal pour un disque sorti il y a vingt ans. C’est un disque datable mais pas daté, une sorte de testament groovy de la fin des nonantes. Surtout, c’est un disque qui ouvre de manière impériale, et impérieuse peut-être, la voie au RnB moderne. Sans Aaliyah, pas de Ciara, à peine une Beyoncé, et sans ces dernières, le retour en grandes pompes du RnB US de ces dernières années n’existerait sans doute pas non plus (Audrey Nuna, BIA, Mahalia, Mariah the Scientist, entre autres nombreuses). 

Aaliyah meurt dans un accident d’avion sur le retour du tournage du clip de « Rock The Boat » (super titre au passage) lui accordant une accession au statut d’artiste icône, à l’âge de 22 ans. Aaliyah n’aura pas connu le 11 septembre, ce qui fait nécessairement d’elle une figure des années 1990, une figure du passage à l’an 2000, et une figure figée dans le temps, représentative d’une époque plus que clairement révolue. Et plus qu’un simple souvenir sur papier glacé ou qu’une voix diffusée sur les longues ondes de la radio, elle est aussi la figure tutélaire qui a permis à un bon nombre de jeunes femmes de l’époque dont je faisais partie, de s’autoriser à penser que le chant, la musique, l’incarnation artistique était aussi une grande affaire féminine. 

Avé Aaliyah. 

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