Six splendeurs du Toulouse post-babos

Musique Journal -   Six splendeurs du Toulouse post-babos
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Ce weekend, il y avait les Siestes électroniques à Toulouse et c’était vraiment la super ambiance, mais alors ne comptez pas sur moi pour vous proposer un report complet des événements, je suis nul pour ce genre d’exercices et puis de toute façon ici c’est un média de recommandation musicale et rien d’autre, désolé mais c’est comme ça. En revanche je peux donc vous parler des choses que j’ai eu le plaisir de présenter, tel Vincent Perrot, par 40 degrés à l’ombre, à un public toulousain hyper réceptif malgré la canicule. Il s’agissait d’une sélection elle-même issue de la région toulousaine, tournant autour de l’underground de la fin des années 70 et plus précisément d’un petit studio, Tangara, où ont été enregistrés quelques disques, principalement pour deux labels : Fléau et Revolum. Le personnage central de cette scène confidentielle, c’est un musicien et ingénieur du son nommé Jean-Pierre Grasset, qui a ensuite fait carrière dans l’habillage musical à la télévision. Les albums que j’ai retenus forment un ensemble très hétéroclite, ça va du jazz-rock à la chanson occitane en passant par la mouvance RIO (rock in opposition) ou le bruitisme synthétique. Il me semble que cette diversité est à l’image des « maquis » français post-68, où coexistaient voire se mêlaient sans problème le psychédélisme d’influence britannique ou californienne, le néo-folklore, le free jazz, la poésie radicale et l’intérêt le plus vif pour les premières machines. Ce sont des travaux qui ont le mérite de surprendre à chaque écoute par leur liberté, on sent que les artistes sont vraiment « dans leur délire » au bon sens du terme, qu’ils sont plongés dans un truc et qu’ils s’y éclatent. Les deux premiers d’entre eux ont été réédités – par le même label, Replica, basé non pas à Toulouse mais à Metz, allez comprendre – mais les autres sont épuisés, quoique pas spécialement chers.

POTEMKINE – Foetus (Pôle Records, 1976)

Le premier disque enregistré à Tangara est sorti sur Pôle, label quasi clandestin très réputé chez les amoureux du prog français underground. Potemkine est un groupe composé de trois à quatre frères (le nombre varie selon les albums), les Goubin, accompagnés ici de Xavier Vidal et Dominique Dubuisson. Ce sont eux qui, influencés par Richard Pinhas et soucieux de ne pas dépendre d’une grosse structure, ont construit le studio dans un garage situé près de la Barrière de Paris, au nord de la métropole occitane. Jean-Pierre Grasset assure la prise de son, et je crois qu’on peut dire qu’il sait s’y prendre puisque l’espèce de jazz-rock Magma-esque – je connais assez mal Magma mais je lis ça et là que leur style « zeuhl » imprègne le son de Potemkine – qu’on entend sur ce premier album sonne merveilleusement bien, ça claque avec une précision pas possible, notamment la section rythmique, il y a un sens de l’animation et du volume qui rappelle presque, dans son exécution, certains trucs de broken beat ou de drum’n’bass, sans toutefois faire appel à l’électronique. Il y a pas mal de solos, dont certains de violon électrique, mais aussi parfois des passages romantiques qui ne seraient pas hors sujet dans une musique de film français de l’époque. En résumé, c’est un vrai disque de breaks sauf que d’après mes recherches il n’a jamais été samplé, ce qui paraît dingue.  À noter que Dominique Dubuisson sera en 1985 l’arrangeur de Gérard Vincent sur son LP Face aux jurés, un incroyable essai de P-funk pour loubards que je connaissais pas du tout.

VERTO – Réel 19 36 (Fléau, 1978)

Verto c’est le projet de Grasset lui-même. Réel est le deuxième album, on y ressent une bonne touche jazz-rock comme chez Potemkine (le groupe avait d’ailleurs servi de de backing band à Grasset sur son disque précédent) mais elle est néanmoins contrebalancée par une approche moins virtuose et plus expérimentale, surtout parce que le travail sur les synthétiseurs et les bandes est l’acteur principal. On y croise néanmoins un membre de Magma, le pianiste et clavier Benoît Widemann, ainsi que Cyril Lefebvre, guitariste et ukuléliste qui lui aussi a sorti des très bonnes choses chez Fléau. On entend au fil des pistes du kraut-blues aléatoire (« C’est loopé »), des rythmiques électroniques qui s’entêtent sans agacer (« 19 36 »), ou encore une sorte de parodie de musique traditionnelle, non pas occitane d’ailleurs mais champenoise (« Danse à cabanes »). Dans ce climat de curiosité et de déconne, Grasset et ses copains construisent un monde qui malgré toute son informalité et sa contingence ne part pas non plus dans tous les sens, ou plutôt qui échappe tellement à la forme fixe qu’il peut s’écouter et se réécouter avec la même joie.

ERIC FRAJ –  Subrevida (Revolum, 1978)

Là, on passe du côté néo-trad de Tangara, avec ce chanteur local alors âgé de 22 ans qui a depuis continué à œuvrer pour la culture occitane. Devenu enseignant, écrivain et traducteur, Eric Fraj décrit lui-même ce disque – au départ auto-produit avant d’être intégré au catalogue du label Revolum – comme imparfait mais fort, « pêchu », et c’est d’ailleurs dans sa notice qu’on apprend que le studio était en fait un garage. Sur une partie des morceaux, c’est de la chanson folk plutôt âpre et dépouillée, mais sur d’autres titres, Fraj lâche la bride sur les arrangements et part dans des directions qui rappellent le folk-rock façonné quelques années plus tôt en Californie. Le groove de et « Occitania » et « Montpelhièr » est à la fois enlevé et un peu dramatique, c’est un élan plein de sincérité, voire de vérité. À noter la présence à la batterie sur ce dernier titre d’un jeune homme du nom de René Roux, alors surnommé « Doudou » et qui lorsqu’il passera à la guitare blues adoptera le patronyme de Paul Personne.

LLB 80’S – Voyages (Revolum, 1981)

Label toulousain spécialisé dans le folklore occitan, Revolum a aussi publié quelques disques hors de cette ligne éditoriale, comme l’un des albums de Michel Vivoux dont je vais parler un peu plus bas, et cette aventure qu’est ce seul et unique LP de LLB 80’s, groupe dont les membres n’ont jamais rien fait d’autre, ou presque. Je parle d’aventure parce que ça s’appelle Voyages mais aussi parce qu’à la suite de sa sortie les compères ont sillonné la France pendant 18 mois pour y jouer sur scène leur pop psychédélique polyfolklorique : les répertoires auvergnats, bretons ou occitans y sont explorés, et une grosse référence orientale plane sur des morceaux tels que « Katmandou-sur-Garonne » ou « Midnight Kaboul Blues ». Le charme du disque réside dans l’espèce de distance affectueuse qu’il entretient avec la vogue hippie pour le régionalisme et la traditionalisme : au recto de la pochette un photomontage montre les membres du groupe juchés sur une énorme vielle à roue, et l’on devine qu’en dépit de l’entrain et du talent qui ont dû être le leur en enregistrant, quelque chose dans cette entreprise devait tout de même les faire un peu rigoler, non par cynisme mais sûrement juste parce qu’ils gardaient une âme d’enfant en train de faire leur spectacle de fin d’année.

VIDÉO-AVENTURES – Musique pour garçons et filles (Recommended, 1981)

Ce fantastique 10 inch nous éloigne un peu de Fléau, de Revolum et de Tangara puisqu’il a été enregistré près d’Avignon et qu’il est sorti sur le fameux label anglais Recommended, monté par Chris Cutler, ex-Henry Cow. Vidéo-Aventures est ce qu’on pourrait appeler un super-groupe de l’underground français des seventies : projet initié par Dominique Grimaud et Monique Alba, un couple de musiciens ayant passé la majeure partie de la décennie dans l’impro free avant de décider de se mettre aux machines, il s’est étoffé de la présence de quelques-uns de leurs amis : Gilbert Artman, connu pour avoir fait partie de Lard Free (groupe qui figure sur la NWW list), Urban Sax et pas mal d’autres projets toujours plus inclassables, le batteur Guigou Chenevier de Etron Fou Leloublan dont j’avais parlé en mars au sujet du post-rock stéphanois, Cyril Lefebvre, qu’on a déjà mentionné plus haut, à la guitare, et donc Jean-Pierre Grasset aux synthés. Musique pour garçons et filles comporte entre autres une reprise de « Telstar » des Tornados, célèbre tube instrumental produit par Joe Meek, mais aussi « Tina », une plage kraut pas moins envoutante qu’un extrait de Future Days ou Unlimited Edition de Can, ou encore « V-Aventures », un merveilleux mixte de proto-techno et de riffs d’instruments live. De tout ce que j’ai entendu jusqu’ici sorti des « maquis », il s’agit sûrement de l’une des œuvres les plus évidentes et les plus équilibrées, qui me rappelle l’adorable Voyage vers l’harmonie de Luc Marianni – lequel partage avec tous ces gens une passion pour les Allemands de Faust. Encore une fois, la légèreté et l’humour qui se glissent discrètement entre les mailles de l’étoffes ne gâche rien, car on préfère toujours vivre des choses aussi profondes en comprenant que l’on peut en rire et y danser.

MICHEL VIVOUX – Le râteau de la Vénus (Fléau/Chanson 358, 1978) / Les chats maigres (Scopuzzle, 1980) / Les pets de la dame au clebs (Revolum, 1982) 

Et puisqu’on parle de rire, allons-y carrément pour finir, avec Michel Vivoux, chansonnier et calembouriste de génie  – il n’y a qu’à voir les titres de ses albums –, en tout cas selon moi qui suis comme lui (et comme d’autres) atteint de la maladie du jeu de mots minable. Sa fiche Wikipedia le décrit comme un chanteur “assez connu dans le Sud-Ouest, surtout dans les zones rurales” et nous apprend qu’il tourne encore dans sa région. On le suppose fan de Brassens, Bobby Lapointe et Raymond Devos, auxquels il adjoint une patte plus grasse. Et l’on sait en tout cas qu’il est parvenu dans ses premiers disques à offrir à ses textes un écrin musical de haute volée, du fait notamment de son amitié avec Cyril Lefebvre et François Artige, ingé son comme Grasset lié à Tangara. Le flow de Michel me rappelle aussi celui d’un comique plus jeune que lui : le moustachu Albert Meslay. Qu’il fasse du reggae eighties, de la variété new-wave ou juste de la chanson folk, Vivoux ne perd en tout cas jamais son esprit d’escalier, lequel rend ses paroles très vite captivantes, on se demande quelle rime et quelle lamentable homophonie il va bien réussir à nous trouver. Au-delà de la stricte galéjade, il accomplit l’exploit de rendre ses chansons à la fois débiles et lyriques, et de pouvoir accorder le même soin à ses arrangements qu’à ses textes hilarants – et Dieu sait qu’ils ne sont pas nombreux en France à pouvoir dire la même chose.

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