Les chants quasi sacrés de Fiesta en el Vacío résonnent dans les cuisines des Buffalo Grill

Fiesta en el Vacío Miraflores
Unknown Precept, 2020
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On n’est pas très loin de la diagonale du vide, si cette bande de terre partiellement désertée, scindant la France du nord-est au sud-ouest, parlait son propre langage. Un dialecte fait de murmures solitaires, de marmonnements lancés contre le vent et de dialogues avec des fantômes. Fiesta en el Vacío, la « fête dans le vide », ce nom à lui seul laisse présager de l’endroit où veut nous emmener la musicienne franco-argentine Luna Maria Cedrón : là où la fête côtoie les ruines, où une énergie spontanée danse avec la poussière d’objets oubliés. Son territoire, en mutation, a plusieurs histoires, plusieurs vies ; elle en sculpte les frontières à mesure que s’étoffent ses recherches. Ses accointances avec Ventre de Biche et Christophe Clébard pourraient aider à la situer dans cette mouvance bruitiste DIY fredonnée dans les cuisines d’un Buffalo Grill de la N20, mais ce serait passer à côté de sa singulière sensibilité.

Miraflores, album sorti en 2020 sur Unknown Precept, assemble un spleen très contemporain, coulé dans le béton, et une noirceur plus mystique, proche de récits médiévaux. Des mélodies de synthé baveuses aux rythmiques sorties de machines détraquées, le souffle du très ancien embaume, et génère une poétique paradoxalement novatrice. Son premier morceau, « Azucenas », est une entrée parfaite dans l’esthétique de l’hybride qui semble guider tout l’album : le riff d’une guitare flamenca voilé est percé par un chant grave et plaintif, puis ébranlé par une coulée de basse synthétique lugubre. Si la dichotomie fête/dépression n’est pas nouvelle en musique, ce qui est intéressant ici c’est surtout l’emploi d’éléments traditionnels sud-américains, souvent trop codifiés ou sacralisés pour qu’on ose y toucher hors de leur contexte d’origine. On retrouve le goût du collage sonore de certains de ses collègues, associé à une relecture très personnelle d’une partie du folklore argentin. 

Deviner dans Miraflores une certaine ambiance médiévale n’est pas si étrange tant certains morceaux – comme le deuxième « Morceau 2 » – sentent la vieille messe noire de donjon, sans pour autant verser dans la B.O. de RPG fantastiques. Mimant des sons d’orgue d’église, sa machine joue avec le sacré : ruisselant doucement le long d’un caniveau, s’amoncelant en flaque d’eau boueuse au pied de villes englouties par le temps. Le décor, chez Fiesta en el Vacío, n’est jamais tout à fait planté car elle préfère nous égarer. Elle nous enjoint à casser notre montre, paumer notre agenda, oublier de manger les chocolats du calendrier de l’avent pour atteindre des sphères qui ni ne sont virtuelles, ni n’appartiennent au vivant. Si la dimension du récit apparaît omniprésente aujourd’hui dans l’art (allant même jusqu’à justifier l’existence de certaines œuvres), Luna Maria Cedrón la dissimule ici sous la puissance expressive de ses pièces improvisées. Elle mêle son obsession des rites et pratiques d’époques annihilées à une volonté d’exposer les facettes les plus vulnérables d’elle-même. C’est aussi ce qui rapproche ses chansons de celles des troubadours, cette capacité à transformer micro-sentiments et évènements triviaux en batailles épiques. Sans aller jusqu’à écrire ses ballades en langue d’oc, sa manière de raconter les histoires a quelque chose de primitif, d’ancré au corps et à ses mouvements. Les caves moites et les concerts à la webcam de Boiler Merde ont remplacé les grands banquets de châteaux mais j’aime me la figurer en poète itinérante, trimballant ses machines en guise de psaltérion. La voix de son fils qui pleurniche dans « Laszlo chante », ou son souffle et ses cris dans « La Merde érotique » sont autant de marqueurs d’un cœur qui palpite derrière le clavier MIDI.

Cette fête du vide expulse les danseurs un à un au fond d’un long dédale de souvenirs, sorte de tube digestif directement relié au ventre du passé. On se dit que ces nouveaux passeurs de mythologies personnelles et partagées assemblent peut-être un folklore du présent, où les arts anciens sont des apparitions que l’on travestit juste assez pour leur donner un nouveau sens, les faire évoluer en même temps que nous. Qu’elle puise ses inspirations et iconographies sur Google, Instagram ou dans des vieux ouvrages, à la bibliothèque ou dans son bain, Luna Maria fait indéniablement partie d’une génération dont les horizons d’informations anormalement vastes finissent forcément par enfanter des œuvres délicieusement défigurées.

Fiesta en el Vacío n’est d’ailleurs pas sa seule progéniture, puisqu’elle forme avec son acolyte Lucas le duo Bimbiveri (complété par 96 Scream aka Trigger Moral de Simple Music Experience), dont les morceaux trap/reggaeton cyclothymiques auraient pu ressembler à une énième blague d’école d’art, s’ils n’avaient le charme d’une matière extraterrestre. Encore une hybridation. Pourquoi ne se contentent-ils pas de faire de la techno ? Peut-être parce qu’ils cherchent de nouveaux pas sur les pistes de la veille et préfèrent que les foules dansent à l’aveugle, sans manuel d’utilisation. 

PS – Fiesta en el Vacío sera d’ailleurs en concert le 6 mai prochain à la Station-Gare des Mines à Paris, à l’occasion de la soirée Anticlub, qui célébrera la release party du grandiose nouvel album de Rose Mercie, ¿KIERES AGUA?

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