Territorial Gobbing est un homme libre car il sait fluidifier le n’importe quoi

Territorial Gobbing Tusk Virtual 2020
2020
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Musique Journal -   Territorial Gobbing est un homme libre car il sait fluidifier le n’importe quoi
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Coucou ! Je reviens tout juste de tournée et c’était une expérience évidemment frénétique, menée avec la très puissante DJ Lugal Lanbada et mon éclatant frère d’âme Baptiste « Beluga » Filippi, au sein du très bien nommé groupe de lecture. Ah, la tournée, ce moment impayable, où tout peut arriver, le top du cool comme le craignos à son apogée ! Une aventure à la fois consumante et revigorante, qui dilate le temps et l’espace ! Où l’on rencontre des gens et découvre des lieux, revoit des ami·es éloigné·es mais à qui l’on tient tout de même énormément ; où disques, affiches et cassettes s’échangent et s’achètent ; où des tonnelets d’éthanol diversement transformés sont engloutis presque quotidiennement. Et puis l’odeur de clope quasi-constante, bien sûr.

En vérité, parler de cela me fait l’effet d’entamer un second tour de piste sans décélération aucune puisqu’il y a un an je me trouvais déjà en tournée au moment où j’entrais dans la folle aventure Musique Journal. C’est donc une période anniversaire qui fait bien chaud au corazon quand je vois le chemin parcouru, mais aussi bien intense avec la tête dans le guidon, où les seules parcelles de mon être non dédiées à la musique le sont à des impératifs universitaires – oui, mais non en fait, parce que ma thèse porte aussi là-dessus, LOL. Je suis bienheureux, crevé mais pas à plaindre, si ce n’est pour la densité relative de mon agenda.

Lors de cette pérégrination en Citroën C5 Diesel (de couleur anthracite mais sans lecteur CD, ce qui peut être un peu coton, car la radio n’est clairement plus ce qu’elle était) entre Paris, Strasbourg, Liège et Bruxelles, nous avons donc « partagé l’affiche » avec pas mal de groupes et projets solo bien classe et décapants mais il y a encore trop de garçons, c’est pas possible, ça ! J’ai adoré le psychédélisme drômo-strasbourgeois d’ASSID, halluciné devant le rock’n’roll ancestral du gentil Massimo alias Number 71 Monobanda et des Jackson Pollock (cette batteuse, bordel), groové tout fractalisé et sans peine avec Apulati Bien (qui vient de sortir Non Masse, un pur album sur le super label Deardogs), devenu tout dur et méchant avec Mr. Coolos (un bisou au schnaps pour l’équipe de beaux gosses), drifté sur Pluton avec Mandal Shop. Mais c’est lors de la dernière date à Bruxelles que je me suis pris la claque de l’année, sans peine, en découvrant un natif de Leeds programmé avec nous au Sterput par le copain Daniel Dariel : Theo Gowans aka Territorial Gobbing.

Je connaissais la musique du monsieur notre collaborateur Thomas D2S a d’ailleurs parlé de son Let’s Get Ready to Rumble il y a deux semaines dans notre nouvelle rubrique nouveautés, comme quoi , mais rien ne pouvait me préparer au choc esthétique provoqué par sa performance. S’y trouvaient, pêle-mêle : des balles en mousse avec des smileys dessus qui couinent, un tranche-œuf joué comme une guitare, des piezos qui larsènent magnifiquement, des piques anti-pigeons sucées à la manière d’un fakir, des lecteurs cassettes joués comme des pistolets lasers et déroulant des samples aux opposés polaires, un gros ressort en érection, un sampleur et une table de mixage, un ordi de gamer tout dégingandé qui balance des fréquences pures, et j’en passe.

De cet agrégat improbable et disséminé nonchalamment sur une table, Theo tire des collages breakés et extravagants, un enchaînement de bifurcations et de pastilles improbables, exécutées dans un élan d’inspiration super impressionnant. C’est du n’importe quoi, mais un n’importe quoi habité jusqu’au bout des cheveux et hautement fluide ; un art de la rupture et de la transition, une transformation perpétuelle à la fois grotesque et magnifique. Quelque chose d’hors norme et de joyeux, qui ne peut que déborder et finit d’ailleurs dans une grosse flaque de bave (véridique).

Theo est jeune, trop jeune pour être aussi brillant. Mais je crois qu’il s’en fout un peu, et que ce qui lui importe c’est de faire des trucs, qu’importe ce que c’est. Il est humble, rigolo, intéressant et intéressé, gentiment déphasé, aussi : c’est pour moi une incarnation du hors-piste vital et artistique maîtrisé qui caractérise les plus éminent·es représentant·es du grand peuple des alternos·ses. Il provoque en moi une jalousie rayonnante et positive, de celles qui nous entraînent hors de nous-mêmes tout en faisant fleurir notre puissance übermensch style.

Du coup, pour ne pas vous parler uniquement de sa musique enregistrée je vous conseille d’aller rider sa page Bandcamp, qui fourmille de sorties en solo et de collabs et pour illustrer un peu le côté performatif de sa pratique, j’ai plutôt décidé de vous emmener sur une vidéo homemade qu’il a réalisée pendant le confinement pour le très chouette festival Tusk. Ici, on perçoit sans peine le côté « recherche-vie » (comme dit mon pote Hugo), l’œuvre totale qui infiltre chacune des actions du musicien : que ce soit le montage, les cadrages, les incrustations ou la musique, tout participe d’un même bordel qui contamine très fort. Theo fait des bêtises dans sa chambre, il rêve et imagine des trucs un peu crapuleux , se déguise, bricole des sculptures crados et fait des grimaces avec un micro dans la bouche, le tout à la vitesse d’une turbine quantique. Il s’amuse beaucoup, aussi : à nous estomaquer, à nous amuser évidemment, mais surtout à nous montrer à quel point il est libre – et comme nous pourrions l’être. Le gars est un personnage de cartoon.

J’étais absolument dingue devant son concert et cette vidéo un peu inexplicable me remet dans le même mood direct, j’ai le sourire aux lèvres dès les premières minutes. C’est à la fois de l’ASMR et une crise d’épilepsie, l’anecdote définitive, la dernière œuvre avant que tout s’écroule, l’éboulis libérant pour de bon les imaginaires. Je vous laisse donc lentement dériver sur ce radeau d’une quinzaine de minutes où tout peut arriver et où tout arrive dans un espace réduit et fantasmagorique dont les frontières sont sans cesse repoussées avec trois fois rien. Et si vous n’en avez toujours pas eu assez, les rockeureuses du dernier rang, allez donc écouter son groupe Thank, ça devrait vous caler comme un bon gros kouglof à l’asphalte !

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