Au fond de l’Inconnu, pour trouver du nouveau ! (bienvenue dans la rubrique nouveautés de Musique Journal)

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Bonjour à toustes, après quatre ans de résistance Musique Journal a décidé d’enfin céder à l’appel de l’actu, des news, des sorties discographiques hebdomadaires et vous propose donc une sélection de 20 disques récemment mis en ligne, pour la plupart encore passés très inaperçus voire carrément inécoutés et non-traités par les médias français (mais pas tous).

On a beaucoup réfléchi au titre de cette rubrique (n’ont pas été retenus : « Toute sortie est définitive », « Faut sortir le dimanche », « Release yourself », « La rue Kéta-News ») et on s’est mis d’accord en toute modestie sur une citation de Baudelaire – deux vers pour le coup beaucoup moins obscurs que les disques évoqués ici, du moins si vous avez fait une terminale L – qui se trouve quand même bien coller à l’esprit de cette sélection. Merci beaucoup à celles et ceux qui ont participé.

Allez c’est parti !

RXK NEPHEW – Till’ I’m Dead (Dog Shit Records)

RXK Nephew est probablement incapable de se souvenir de ses chansons à la seconde où il a terminé de les enregistrer. Il est un artiste de flux continu, comme Gucci Mane ou Max B, mais a poussé ce procédé à l’extrême en se créant une persona sans surmoi et atteinte d’un trouble dissociatif de l’identité. Il rappe ou hurle absolument tout ce qui traverse son lobe temporal, sans classement ni quelconque considération morale ou thématique. Avec Till I’m Dead, il a tenté – en vain – de prendre le contrôle de cet esprit aléatoire et indomptable, puisqu’il s’agit de son premier album enregistré sobre. Le résultat est une œuvre encore bordélique, naviguant entre trap, plugg, cloud rap, en passant par la dance et la drum’n’bass, une diarrhée hilarante de propos sans queue ni tête, fleurie de quelques anecdotes touchantes sur sa maman. Surtout, une pluie météorique de charisme et de liberté comme on en a plus vue depuis Lil B. [NP]

BMX BANDITS – Music for the film « Dreaded light » (Tapete records)

BMX Bandits, déjà immortel ensemble musical sans cesse réinventé depuis presque un demi-siècle autour de Duglas T. Stewart, son centre pop-poète écossais. Nouvel exercice de style à l’œuvre ici : album de musique de film. D’horreur. Histoire de jeune fille qui ne supporte plus la lumière. L’angoisse nous agrippe bien à l’écoute de cette livraison toute chaude de flûtes traversières et mélodies mystères. Une boîte à musique un peu déglinguée de xylophones et autres guitares croisent des voix qui soufflent et aspirent une lumière d’outre-tombe, ambiance fête foraine désaffectée, puis « peek a boo! », tout se transforme en caresses mélancoliques à coup de chants harmoniques ou accords synthétiques à pleurer. Soleil d’hiver en quelque sorte. Qui s’y frotte, s’y pique (à glace). Yeux, cœur, oreilles. [AD]

COLETTE ROPER – Piano Pieces (Art Into Life)

Parue en 1979 sur le label Verlag fondé par Dieter Roth et longtemps demeurée un Graal pour diggers éclairés, cette splendeur vient enfin d’être rééditée par le label japonais Art into Life et c’est clairement une des meilleures nouvelles de l’année. Unique album de la mystérieuse Colette Roper, dont on ne sait à peu près rien, il est formé d’une suite de quatre pièces pianistiques voilées d’une nostalgie escarpée, qui semblent, pour paraphraser Jean Rostand, avoir acquis durablement le sentiment de l’éphémère, et vont vous hanter pour les décennies à venir. À écouter dans les décombres de la civilisation. [HL]

LO ESCUCHO, LO ¨PINTO Lo Escucho, Lo Pinto (All Night Flight Records)

Derrière Lo Escucho, Lo Pinto, tapis dans l’ombre magnétique saturée de buzz parasite de montagnes imaginaires (la cordillère des Andes-en-Lituanie), on retrouve une bonne partie des membres d’un groupe authentiquement génial dont les disques seront éternels (les Glorias Navales). Ils sont rejoins ici par Sholto Dobie, un très actif improvisateur et bricoleur sonique basé à Vilnius. Les morceaux sont enregistrés dans la rue, sur des placettes, dans des lieux qu’on devine bondés et pleins de vie. C’est un disque d’une beauté totale, rocailleuse, qui vous entre dans les veines dès les premières secondes et vous endort de plaisir. Guitares, Velvet Chilien et de l’espace comme les a une fois caractérisés un ami, bruits de la vie et murmures de la musique du futur. [TDdS]

SATIN 2000 – Dissimulation Végétale (Manufacture Errata)

Suite à sa première k7 parue à l’été 2022, voilà un nouvel EP de Satin 2000. La musique, essentiellement des instrumentaux à base de Roland JD-Xi, rappelle les riches heures de l’illustration sonore à la Mort Garson. La thématique végétale contraste astucieusement avec le goût de la musicienne lyonnaise pour la froideur synthétique, comme dans « Trouver la forêt », morceau malicieux émaillé d’indications de GPS prononcés d’une voix ultra-filtrée. Dissimulation Végétale fait partie de la super série de K7 C-20 publiées par manufacture errata, mais quand vous lirez ces lignes la k7 sera sold out. [NM]

TOMUTONTTU & MSHR Dust Interface (album numérique auto-produit)

On ne présente plus Tomutonttu, le respectable grand leader de Kemiallist Ystavat, associé ici à une mystérieuse émanation du collectif Oregon Painting Society. Il manque des accents (des trémas) sur la plupart des « a » de la phrase que vous venez de lire, phrase qui n’a par ailleurs évidemment à peu près aucun sens. Si il y a bien quelqu’un qu’il faut toujours recommencer à présenter, c’est Jan Andrzén (c’est-à-dire Tomutonttu, l’anguille vaporeuse de l’expérimentation cyber-évaporée). J’espère bien vous avoir complètement perdu. Vous aimez bien le sentiment ? Allez donc écouter Dust Interface. Musique pour ordinateurs qui décompensent, Alphaville légèrement ivre, un voyage sans fin, le mariage d’une puce de lit et d’un micro-processeur. [TDdS]

RALLYE – cheval 2_3

Un peu de copinage-voisinage ici, car je les connais un peu, mais il se trouve que j’adore sincèrement la musique de Rallye, groupe de Colombes qui sort un nouvel EP rempli de tubes et dont le texte promo réussit (pour une fois) à être juste : un condensé thérapeutique de “rock internet” où problèmes existentiels et angoisses du lendemain évoluent sur un subtil mélange de productions pop rock modernes et de sonorités numériques. Bon je suis pas sûr de « subtil », même si c’est loin d’être gros sabots – c’est juste que la déferlante de sons et d’idées est si intense, mamma mia ces breaks ! – que l’idée de subtilité n’est pas la première chose qui me vienne à l’esprit en sortant de ce disque. Surtout que le séquençage des titres va crescendo, et que même l’outro sonne comme une vraie chanson qui pourrait presque être jouée au cœur de l’action. Bravo tout le monde. (EM)

UBALDO, SUSO SAIZ  la nit es fosca, però estic bé (Primordial Void)

Le Catalan et Bruxellois Ubaldo a sorti récemment quatre plages floues, déroutantes de simplicité. Du silence, des guitares délayées, des samplespschiiiiiiit de Ventoline, des poèmes chantés en catalan : la musique louvoie entre ambient et folk, dans la continuité de ses précédentes sorties. On remarque la participation de Suso Sáiz, guitariste historique de l’ambient new-age. Le chant à l’autotune peut faire craindre une tentative maladroite et facile de se la jouer contemporain. Pourtant le résultat est impec’, méga sensible et hypnotique. Je me suis retrouvé à l’écouter tous les jours, ça fait du bien de se faire réconforter par ces berceuses. Je recommande chaudement. [NM]

FOREVER PAVOT L’idiophone (Born Bad Records)

L’album L’idiophone de Forever Pavot s’inscrit dans la lignée du travail tissé de main symphonique depuis maintenant une dizaine d’années par Emile Sornin, agenceur de vagues sonores cinématographiques à œil de cyclone. Le premier morceau nous lance dans un road trip en plan séquence qui se prolonge de titre en titre de cavalcade haletante en ralentis, temps suspendus. Morricone et De Roubaix, déconstruits, reconstruits, avec singularité. Foison de flûtes traversières, violons claviers ou orgues, inserts de sons de voiture, bris de glace ou lusophonie. Une voix synthétisée ou non au service d’un texte qui auto-fictionne et met parfois en abyme la création à l’œuvre. Un idiophone est un instrument de musique dont le son est produit par le matériau de l’instrument lui-même. CQFD. [AD]

EXTERMINATOR ! – You need the service ? (autoproduction) 

En manque de putréfaction ? Appelle Exterminator ! Depuis les bas-fonds de Wellington, capitale venteuse de la Nouvelle-Zélande, ce trio baptisé d’après un livre de Burroughs fait honneur à l’auteur du Festin Nu : c’est crade, c’est malsain, ça schlingue la misanthropie et l’overdose sonore. À l’écoute de cette jolie cassette tirée à 50 exemplaires pour la famille et les amis, difficile de ne pas penser à toutes ces charognes entassées à l’orée de nos villes, là dans nos cimetières, et à tous ces insectes et vers de terre qui grouillent joyeusement dessus. Si le premier 45 tours de Kilslug t’as toujours semble un brin trop enjoué, ces 9 titres sont pour toi. [AR]

PIERRE GISÈLE & HUGO RICHÉ – Mort d’un homme à femmes (Flippin’freaks)

C’est une partition de 9 minutes 4 secondes lo-fi, mélancolie française contemporaine qui nous est délivrée ici en 4 temps par Pierre Gisèle et Hugo Riché sur Flippin Freaks, label bordelais au goût décidément très sûr. Une association de chanteurs compositeurs musicalement impérialement pop façon Jonathan (Richman) ou Daniel (Johnston), vocalement parfois Daniel Darc(k)ish, qu’accompagne aussi dans la même lignée simple et directe la voix de Lauriane Nugon. Des mots qui s’écoutent dans les orgues et les guitares : « Les cendriers sont parterre, j’ai encore oublié de faire le ménage », cette poésie du dérisoire, du quotidien sale qui prend des atours surréalistes façon « le singe est caché ». Bain musical de courte durée conseillé pour ses vertus régénérantes. [AD]

LITIA~LOE – Life Love Dance (Mixed Signals / Third Ear Records)

Toujours eu un petit faible pour les titres programmatiques, moi, pas vous ? Et là, avec ce Life Love Dance, LITIA~LOE nous met bien. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que ce trio chicagoan, actif de la fin des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, peut s’enorgueillir d’avoir le meilleur nom de groupe de tous les temps, puisque LITIA~LOE est un acronyme de Life In The Insane Asylum = Life On Earth. Je pense que ça parle à peu près à tout le monde. Bref, Mixed Signals, la division dance de Seance Centre, et Third Ear Records s’associent à nouveau, après avoir ressorti leur incroyable 12” Each Dawn Every Dawn en 2020, pour remettre sur le circuit ce qui constitue leur unique autre trace discographique. Quatre morceaux (et deux instrus) appliquant à la lettre les préceptes ronhardyesques, jamais trop loin de la pop tazée du New Order époque Technique, “dedicated to guiding the listener to a higher consciousness” et “conceived solely for the dance community worldwide”. [HL]

CRIMEBOYS – very dark past (3XL)

Avec exael, Pontiac Streator est certainement l’une des figures les plus excitantes de toute la scène post-ambient qui gravite autour de West Mineral Ltd., le label de Brian Leeds/Huerco S. (Pendant, Ulla Straus, Ben Bondy). On ne s’était toujours pas remis du formidable Sone Glo sorti l’an dernier ni de ce mix liminal pour NTS en début d’année. Le voici qui récidive et signe avec son partner in crime Special Guest DJ un album insomniaque pour conspirationnistes, le bien nommé very dark past, huit titres aux accents de rave après la rave où s’entrechoquent rythmiques jungle, dubstep et trip hop sur fond de basses menaçantes et de nappes éthérées. C’est une musique de marges et de lisières qui sent bon le hangar en forêt, ça dialogue depuis l’au-delà avec le fantôme de Burial comme sur ce sublime « deja entendu (dub) » tout en réminiscences sombres et futuristes. [PL]

TERRITORIAL GOBBLING – Lets Get Ready to Rumble (Infant Tree)

Lets Get Ready to Rumble par Territorial Gobbling, ce qui donne sauf erreur de ma part Préparons-nous à l’agitation par La gloutonnerie territoriale. Heureusement, quand on se penche sur les titres de chansons c’est plus éclairant : « Opera North is Compromised », l’Opéra Nord est compromis. Oui, vous ne rêvez pas, ce petit concentré de folie semi-sourde et de musique borborygmique livré au domicile de nos oreilles par Theo Gowans était aussi un code secret, mis en circulation par le grand complot international pour faire déraper la manifestation du 23 mars à Paris dans le quartier de l’OPERA au NORD du sud, plein de gens se sont dit PREPARONS-NOUS À L’AGITATION et qu’est-ce donc que ce qui a suivi dans les rues (toutes ces manifs sauvages) si ce n’est, n’en déplaise aux non-poètes sonores de la BRAV-M, hé bien mais de LA GLOUTONNERIE TERRITORIALE. Grognements, murmures, chenapans de bouges et valets, les mauvais jours finiront, expérimentation tendance basse-cour, à TG TG et demi. [TDdS]

KEVIN MCCORMICK – Sticklebacks (Smiling C)

On avait pas mal bloqué il y a deux ans sur Light Patterns, l’album des Mancuniens Kevin McCormick & David Horridge, initialement sorti en 1982 et tiré de l’oubli par Smiling C, le label d’archives californien qu’on déteste adorer. C’est donc les bras ouverts qu’on accueille aujourd’hui ce Sticklebacks, qui réunit une grosse poignée d’enregistrements solos de McCormick réalisés entre 1984 et 1987, probablement dans sa chambre sous les toits en faisant brûler de l’encens ou dans la cave aux murs suintants de sa mère, peu importe. Huit dérives nocturnes à la guitare, dépouillées, voire frêles, moins formatées pop que ce que l’on peut entendre sur Light Patterns, mais aux textures nuancées tout aussi évocatrices. Atteindra probablement son potentiel optimal écouté dans un jardin encore couvert de rosée, une tasse de café fumante posée sur une petite table métallique mouchetée de rouille à vos côtés, quand ce maudit printemps aura décidé de kicker. [HL]

LE DIABLE DEGOÛTANT – Fleur de Chagrin (Aguirre)

Quel soulagement de pouvoir écouter le premier disque du Diable Dégoûtant. « Fleur de chagrin » ne déroutera pas celleux qui ont aimé la merveilleuse k7 de son précédent groupe La Fureur de Vouivre. Ce LP est une succession de ritournelles d’inspiration trad, où cordes frottées, micro samples et boucles polyrythmiques construisent de mini chansons entêtantes. Pauline Marx chante, parfois presque en patois, elle construit son propre folklore, raconte des histoires de fontaine empoisonnée et de chagrins. Elle ne passe pas par quatre chemins pour nous expédier dans un autre monde, et souvent on se demande sur quel objet on est tombé. Cette fleur ressemble à une œuvre d’art brut, entre les boucles enfantines, la voix nue et les mélodies au kazoo. C’est un disque à diffusion prolongée, qui révèlera sa richesse progressivement. [NM]

THIS FRIENDSHIP IS SAILING – Shape Shifter (CD auto-produit je crois bien)

Voici un très beau et très digne objet sonique bizarre, qui fait graviter autour de l’iconique Maggie Nicols (improvisatrice écossaise, qui était dans les années 70 une des membres du Feminist Improvising Group) des cadres importants du mouvement clandestin de l’expérimentation dans les îles britanniques (Odie Ji Ghast, Sam Adreae et David Birchall, très beau système planète-lunes). L’album, énigmatique, se construit autour d’un souvenir, celui d’un groupe d’adultes accueillant avec enthousiasme, détermination, sérieux et fraternité les cris d’un jeune enfant. Bruits chantés, souvenirs de Sicile, espoir entretenu, musique qui résonne comme des volets qui claquent doucement, cris de la vie qui commence. [TDdS]

DJ WÜRM  Frogs of confusedness (Primordial Void)

Gaspard Emma Hers est un·e artiste de Bruxelles qui pratique autant le dessin que la musique. Dans ces deux pratiques, iel s’inspire des esthétiques metal, version farces et attrapes. Sous son alias DJ Würm, iel produit un doomcore abrasif et destructeur, avec un fond espiègle, comme en témoigne le titre de la cassette : « Frogs of confusedness », parue sur Primordial Void. Sous l’avalanche de kicks gabber, on devine une touche déviante qui garde la musique rafraichissante. Sympa à écouter dans un black bloc. [NM]

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