Pour terminer la semaine je voudrais parler d’une nouveauté française toute en grâce et en sobriété : c’est un quatre titres sorti en mars par Organizatsiya, entité qui ne se présente ni comme un groupe ni comme un collectif mais comme « un rassemblement d’âmes rendues compatibles par la musique ». Il s’agit de plusieurs personnes dispersées entre la région lyonnaise et l’Alsace : deux jouent des instruments, les autres s’occupent de l’impression, du graphisme ou du mastering. Elles sont réunies autour d’un projet à la fois sonore, visuel, mais aussi littéraire puisque dans la pochette est glissé un texte manuscrit – ainsi qu’un petit carré de carton blanc avec une sorte de rosace en relief, je ne sais pas comment ça s’appelle mais c’est très beau. Je serai tout à fait transparent avec vous : ce EP m’a été expédié par ses auteurs, sans que je le leur ai demandé, et ça m’a beaucoup ému de recevoir par la poste un 45-tours, surtout ce genre de 45-tours d’auteur où tout est soigné, où le vinyle comme moi est transparent, où la « main » est un peu épaisse, ne serait-ce qu’avec la surpochette transparente à fins bords granulés (je décris mal mais vous voyez l’idée), pas comme les singles de supermarché des années 80 vendus dans des pochettes toutes fines. C’est con à dire mais je suis tellement habitué à recevoir des CD promos, ce format déjà minable et souvent aggravé par des packagings tantôt lamentablement ambitieux, tantôt juste génériques, j’ai été si accoutumé à la déception générée par ces anti-fétiches que voir s’extraire de l’enveloppe en kraft ce bel objet sérieux m’a forcément ambiancé – et m’a rappelé les moments plus ou moins lointains où j’achetais des 45-tours comme des trésors, parce que c’était pas cher et que parfois tous les morceaux (qui pouvaient être entre trois, quatre voire cinq ou six) étaient super et que c’était vraiment un extraordinaire rapport émotion/prix.
Cependant je n’en parlerais pas si la musique m’avait déçu, ce qui aurait pu arriver. C’est délicat de dire pourquoi Strane Lezioni m’a tant plu là où d’autres travaux actuels plus ou moins proches dans l’esprit et le répertoire (et peut-être pas foncièrement moins bons) ne me font ni chaud ni froid, ne me dégoûtent pas non plus mais disons que je ne m’attache pas à eux, ils ne deviennent pas des copains. Mais je vais quand même essayer : si le style du EP oscille entre des références (kraut un peu tardif, new-age japonisant, ambient-ethno-dub, post-rock jazzy puritain), disons, validées par le magazine Wire et de ce côté-ci de la Manche par la diagonale Sorge/Vandewalle/Ghosn/Bouaziz (coucou les amis !), il semble vite vain d’identifier ces références puisque la musique est d’une légèreté et d’une clarté qui met hors-sujet ce type de réflexes analytiques. On entend surtout beaucoup de conviction et d’inspiration résonner dans ces espaces pourtant mouvants et expansifs, et en même temps on distingue un respect du rythme surgissant, un amour du son qui apparaît comme ça en jouant. Léo Peinturier (synthé, voix, production) et Maxime Bisson (guitare et surtout basse) font preuve de patience, il me semble, et même de discrétion : ils n’appuient pas là où ils pourraient être tentés d’appuyer, ce qui est bien de leur part, surtout vu leur jeune âge (24 et 22 ans respectivement). Ce sens de la sous-exposition et de l’irrésolution rend leurs morceaux inusables, ça faisait longtemps que je n’avais pas écouté aussi facilement quatre morceaux en boucle. Je trouve juste que ça passe un peu moins bien au casque que sur des enceintes, puisque comme je viens de le dire ce sont des compositions fabriquées avec pas mal d’air et d’attente, qui s’installent incroyablement bien parmi ce qui vous entoure.
Voilà, c’est à peu près tout ce que je pourrais vous dire. Je n’ai moi-même pas réussi à être vraiment sobre pour louer la délicatesse de ces quatre compositions que Maxime et Léo (par ailleurs fondateur du label qui édite le disque, Besoins Premiers, et dont la première sortie voici deux ans était un album de sa confection), cette année colocataires à Villeurbanne, ont élaborées et enregistrées entre octobre et février en parallèle de leurs études. J’y sens pourtant beaucoup d’été, beaucoup de début d’été mais évidemment ce doit être parce qu’on est en ce moment au début de l’été ou presque. Les deux amis ont depuis continué à faire des morceaux ensemble, et devraient poursuivre l’an prochain même s’ils ne vivent plus sous le même toit. J’ai hâte d’entendre la suite s’il y en a une – même si je suis encore très loin d’être lassé par ce 45-tours fabriqué tout à la gloire de la suspension.
5 commentaires
Ho la belle diagonale 😉
Et maintenant je comprends,
Je comprends ce qui, entre les lignes, est écrit
formel mais subversif, à son juste titre : un manifeste
car entre ces lignes je vois une personne qui a compris son époque et qui la dépasse
qui scande avec intelligence et perspicacité, là où tant d’autres trébuchent : de la bonté, de l’amour (pur et cristallin), le doute et cette volonté de réveiller en douceur (et sûrement de plus en plus fort avec le temps) les consciences endormies.
Merci organizatsiya, merci pour cet article éclairant
total bullshit
it’s a bit strong, badsoul. are you from saint-etienne ?
« Il était pauvre naturellement sans affectation, ni mysticisme, parce qu’il avait su réduire à rien les besoins de la vanité, et à la nourriture de la bibliothèque, de la marche, les besoins de l’imagination. L’intelligence et la bonté ruisselaient de lui comme deux sources égales, de même transparence et de même débit. Son pessimisme radical, en le débarrassant du souci toujours tyrannique, et parfois impitoyable, d’établir immédiatement dans le monde la justice et la vérité, l’avait livré tout entier à sa véritable nature, qui était toute d’amour.
Quand il croisait un méchant ou un imbécile, les perspicaces et les bons pouvaient seuls apprécier la dignité de son maintien et la hauteur de son silence.
Il savait tout et donnait l’impression d’apprendre de tous, et sans cesse. »