Le boom bap, c’est mieux quand c’est pas connu

Musique Journal -   Le boom bap, c’est mieux quand c’est pas connu
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Désolé de n’avoir rien posté hier mais j’étais en situation de mobilité. Et donc aujourd’hui, je me suis dit que j’allais vous parler de quelques petits trucs pas connus de rap East Coast underground du milieu des nineties, des bonnes grosses pépites extraites des couches les plus profondes de cet âge d’or du boom bap crépitant, eh bah oui pourquoi pas ? À force de penser que le secteur a été rincé dans tous les sens on finit par oublier qu’il y a quand même toujours des morceaux qu’on a zappé, ou tout simplement qu’on ne connaît pas, ce qui peut se comprendre vu la densité de l’activité à l’époque. Je vais donc parler de quatre morceaux tous excellents, tous peu voire pas célébrés, et dont la simplicité formelle n’a d’égale que la beauté instantanée.

BUSHWACKASS – “The Shit is Rough” (Pallas, 1994)

Un morceau que j’ai très longtemps eu sur une cassette sans pouvoir l’identifier, même les gros experts habitués de la boutique Sound Records, genre Orio-G, ne savaient pas, et ce n’est visiblement pas trop le genre de contenu qui se retrouve intégré à la base de données Shazam. Du coup, un jour j’ai tapé “shit ruff rap” dans Discogs, sans succès, et puis je me suis dit que peut-être que l’orthographe classique de “rough” était encore acceptable à l’époque et là bim j’ai retrouvé le track, fait par un trio de Brooklyn. Le son est vraiment pile dans l’esthétique new-yorkaise de l’époque, il y a ce feeling de menace traînante, de tension cool avec beaucoup de basses qui ronflent et de drums qui croustillent. Ce qui est notable c’est que le principal MC du groupe, Grave Digga (pas de bol pour lui que Prince Paul et RZA aient à la même époque sorti leur projet Gravediggaz), anticipe déraisonnablement le style de DMX dans son timbre et dans sa façon de rapper. Je dirais pour faire un peu mon connaisseur qu’il n’était pas le seul à l’époque à avoir cette voix rocailleuse de mec caractériel qu’on a réveillé à coups de matraque en cellule de dégrisement : Smoothe Da Hustler et Nine, notamment, faisaient à peu près pareil. En tout cas j’ai l’impression que le groupe n’a pas tellement marqué l’histoire officielle du rap east coast, peut-être d’une part parce qu’ils étaient en embrouille avec le Boot Camp Click, et d’autre part parce que leur seul et unique album s’appelait How Real Israel, un jeu de mots astucieux en soi, mais quelque peu tendancieux – même si bizarrement les thématiques conspirationnistes n’ont pas l’air plus explorées que ça dans les lyrics.

ROUGHNECK SOLDIERS – “Kill or Be Killed” (Dope Wax, 1995)

Sample à base d’orchestres à cordes bien claque dans la gueule (ça vient de la version de « Light My Fire » par Shirley Bassey), beat lourd de chez lourd (mais au sens littéral), flows touchés par la grâce : ah bah ouais, des sons comme ça on en fait plus ça c’est sûr. Ce serait déprimant qu’on en fasse encore d’ailleurs. C’est aussi un trio de Brooklyn, qui lui n’a sorti qu’un maxi, maxi que je n’aurais certainement jamais entendu si d’une part il n’était pas sorti chez Phat Wax, division rap de Strictly Rhythm et d’autre part si son instru n’avait pas été produite par Kenny Dope (c’est marqué en gros sur le macaron). On a souvent répété à quel point Kenny était le mec hip-hop des Masters at Work mais j’ai l’impression qu’on dispose finalement d’assez peu d’éléments pour étayer cette affirmation. Certes il y a  l’inoubliable « Get On Down » avec des samples de Method Man et Minnie Riperton, et plus tôt dans sa carrière il y a eu quelques exemples de morceaux typés “DJ breaks” où il développait une sorte d’esprit rap dans un format house. Mais l’on se souvient en revanche un peu moins de ses sons pour des rappeurs, ce qui semble normal puisqu’il y en a eu très peu. Ce beat pour les Roughneck Soldiers (là aussi rough est orthographié normalement, vous noterez) est magnifique mais je ne peux m’empêcher de souligner qu’il est néanmoins à fond dans le canon esthétique de la scène NYC de l’époque – ce que je veux dire, c’est qu’on y entend pas du tout la patte house/latine/funk de son producteur. Faudrait peut-être lui demander ce qu’il s’était mis en tête de faire, est-ce que cette couleur lui avait été imposée, avait-il essayé des choses plus fofolles que le groupe aurait refusées ? Affaire à suivre, mais en tout cas ça reste un putain de morceau.

DA YOUNGSTA’S – “Mad Props” (EastWest, 1994)

Oui je sais ce que vous allez me dire : “c’est hyper connu Da Youngsta’s, ils étaient sur une major et gnagnagni”, et bah d’accord si vous voulez mais ça n’empêche que pour moi c’est pas si fameux que ça. Trio de gamins (d’où leur nom) venus non pas de New York, mais de Philadelphie, le groupe a plus ou moins réussi à dépasser le gimmick marketing du kiddie rap et à trouver une certaine maturité en sortant en effet quatre albums au total, produits par des beatmakers aussi légendaires que Marley Marl ou Pete Rock, mais sur ce morceau très frais et très enjoué c’est un gars un peu oublié aux manettes, à savoir l’homme que l’on nomme K-Def. Ça donne la pêche (je me permets d’utiliser cette expression uniquement parce que je viens de manger de la confiture de pêches) et on regrette un peu de ne pas avoir davantage entendu K-Def, qui justement formait avec Marley Marl l’équipe de House of Hits, du nom de leur studio. Pour l’anecdote, les aficionados du boom bap ont l’air de ne s’être jamais remis de l’album jamais sorti de World Renown, duo formé d’un cousin de K-Def et d’un cousin de Marl que Warner avait signé pour finalement annuler la publication de leur premier LP.

BLAQUE SPURM – “Dayz & Dayz” (Ill Labels, 1994)

On termine avec un groupe au sujet duquel les infos sont un peu floues : ils viennent à la fois de Philly, de Houston, du New Jersey et du Queens. Une chose est sûre c’est que leur nom les a sans doute empêchés de faire une grosse carrière, même si le maxi dont vient ce titre était sorti chez Ill Labels, l’éphémère label rap de la maison American Recordings montée par Rick Rubin. En tout cas ce “Dayz and Dayz” à mes yeux est un vrai classique, un truc estival et indolent, quoique un peu doux-amer, qui me rappelle un autre classique, lui plus connu, le si mélancolique “Carmel City” de Pete Rock et C.L. Smooth, qui se sert lui aussi d’un sample de Rhodes (ça marche à tous les coups ce genre de conneries). Ça pourrait aussi sonner comme un truc West Coast underground de la même époque, notamment dans les flows élastiques et la vibe jazzy plus liquide à la californienne que crasseuse à la new-yorkaise. Bref, bon appétit, et bon weekend à toutes et à tous.

Un commentaire

  • Jacques d. dit :

    Quand, dans le clip de Bushwackass, le gonze s’extrait en rampant de dessous la voiture de la patrouille de police, on ne peut s’empêcher de penser au plan, à l’identique, du film de Tod Browning, celui où les « Freaks » sortent en rampant itou de dessous leurs roulottes pour donner la chasse fatale aux stupides méchants. Bon, la comparaison (qui n’est pas raison paraît-il) s’arrête là, les freaks de 1932 ne rapant pas et se passant de flics pour rétablir leur justice toute d’équilibre.
    « The shit is rough » reste mon titre préféré de cette sélection, la production y étant parfaite.

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