Une petite musique qui fait basculer l’instant, le moment qui appelle une chanson, les deux liés, forcément, pour longtemps. Mes années 2010 sont passées, restent quelques minutes magnifiées par quelques détails : la tonalité d’une voix, une suite de mots, un effet au bon moment, un changement d’accord.
SINAÏVE : « TABULA RASA »
Dans les derniers jours de 2019, à l’arrache donc, me parvient cette chanson d’un jeune trio strasbourgeois. Au-delà de l’aspect symbolique, la proximité, la jeunesse, la nouveauté, Tabula Rasa emporte l’adhésion dés les premières secondes par un détail, une sorte de souffle qui fait entrer la rythmique rapide, comme les battements d’un cœur ému ou sportif. Déjà, le mien vacille pour se retrouver retourné par cette chanson où tout me plaît : la voix féminine qui double celle du chanteur en toute fin, et auparavant ces guitares aigües et tranchantes comme du barbelés, cette boite à rythme réminiscente de mes groupes adolescents favoris. Et ces paroles mystérieusement politiques. Il ne s’agit plus d’un détail qui fait qu’on aime une chanson, il s‘agit d’une accumulation de raisons pour aimer cette chanson : des fragrances de souvenirs, une transmission qui se perpétue, l’avenir en somme.
NOÉ FAYA : « LAISSE AMWIN »
Dans une autre voiture, la radio est calée sur Exo FM. Sur la route qui mène de Saint Denis à Etangs Salés, une voix auto-tunée qui surgit. On devine celle d’un enfant. Il faut écouter la radio plusieurs fois, attendre que la chanson passe, hurler de joie à chaque fois et attendre si le nom de l’artiste est donné par des DJ peu disserts. Deux, trois, quatre fois avant de déchiffrer à travers le créole local, Noé Faya. Un motif reggae, un chaloupé irréprochable et l’effet vocal ultra contemporain encapsulent pour de bon le souvenir de ces vacances à la Réunion, aussi sûrement que les litchis sur les arbres, le lagon bleu ciel et la chaleur moite. Cette chanson fait aussi remonter de façon troublante ce souvenir d’une famille anglaise accueillante, dans la maison de laquelle résonnait Pass The Dutchie de Musical Youth, reggae enfantin et tube total de 1982.
MICHNIAK : « CORDON DE SÉCURITÉ ET LOGOS »
Le motif joué à la guitare et répété en boucle dégage une mélancolie et une gravité d’une grande proximité. Il est accompagné très vite par une autre guitare dissonante qui délivre grésillement et larsen. Il permet d’accueuillir cette voix et cet accent reconnaissable qui semble ici un peu blanche, un peu malade, celle d’un chanteur qui ne chante pas. C’est une chanson de poche, qui concentre tout ce qu’on a aimé de Diabologum à Michniak, en passant par Programme. Un photomaton, coincé dans le portefeuille, pour ne jamais oublier.
TI BLICA : « DANS LA DANCE-HALL »
« Dans la dance hall, il y a des sons qui te rendent dingue dingue », les mots s’agitent comme des grelots dans la voix juvénile du jeune toaster martiniquais. Ce flow ponctué d’ad libs, « wizz », « cho », « pa’d’bol » a un pouvoir d’envoûtement toujours fou, et possède un don d’évocation incroyable : celui qui me fait croire (une croyance quasi mystique) trop tardivement malheureusement que Ti Blica avait ce potentiel inné de cross-over et qu’il allait de sa commune de Schoelcher porter ce dance-hall relax et tranchant, immédiat, pop, autour de la planète. Rien ne pouvait l’arrêter, sinon la mort. Repose en paix, jeune homme.
MEHDI ZANNAD : « AU REVOIR »
Dans l’habitacle de cette voiture qui file vers Rotterdam, il y a beaucoup de tensions, la petite qui broie du noir et le fait savoir par des colères bruyantes, la grande qui ne dit mot, les parents qui alternent la conduite d’une voiture qu’ils détestent tous les deux. Quand le disque de Mehdi Zannad arrive par hasard pour la première fois dans le lecteur CD de la C3, le temps se suspend. Il met tout le monde en joie, petits et grands, à ma grande surprise. Et ce début de chanson, Au revoir, avec cette voix qui enfile des paroles, comme une rampe de lancement, qu’on aime à apprendre par cœur pour pouvoir le chanter à l’unisson et à tue tête. « tu sais comme moi qu’il faut partir tout de suite, dépêche toi, tout va si vite, j’ai pris une chemise et quelques cigarettes, cette fois, c’est sûr, j’abandonne ceux qui restent ». Les mots du réalisateur Serge Bozon s’entortillent alors de façon fluide autour de la mélodie, portés par les instruments, montent et descendent, comme le wagon de montagnes russes inoffensives. Une chanson du bonheur, celui trouvé au côté de l’autre.
2 commentaires
Bonjour Renaud, et merci pour vos conseils.
Une comparaison amusante que je me permets de relever :
Morceaux « blancs/adultes/noise/dépressifs » (1/3) vs « métis/jeunes/reggae/enjoués »(2/4)
Et Mehdi (merveilleux choix) remet la balle au centre, avec une fraîcheur pop incomparable.
Hervé
Merci Hervé ! Bien vu :-), on prolonge notre discussion en MP.