La rave montagnarde de Medellín

VARIOUS Medellín Rave Society
Insurgentes, 2018
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Musique Journal -   La rave montagnarde de Medellín
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La première chose qui frappe en arrivant à Medellín, ce sont les montagnes qui entourent toute la ville comme une forteresse imprenable et protectrice, forçant le spectateur de cette muraille rocailleuse au silence le plus méditatif. Et il suffit d’une balade en métro aérien à travers les artères bordées de bâtiments aux teintes rougeoyantes ou d’une discussion impromptue avec un ou une paisa, le nom que se donnent les habitant.es d’ici et qui proviennent, historiquement, d’un mélange entre colons ibériques, catalans, basques, juifs d’Espagne et femmes indigènes, pour comprendre qu’ici la ville ne peut exister sans ses montagnes, qu’elles en constituent même l’épicentre, le point nodal, et que Medellín, malgré tous ses clichés et l’isolement apparent que lui confère sa géographie, est une ville grande ouverte sur le monde. Et contrairement à pas mal d’autres peuples de montagne parfois fermés comme des huîtres sur l’étranger – pensez aux basques du Ramuntcho de Pierre Loti ou aux habitants du village de Peter Camenzid dans le roman éponyme de Herman Hesse –, les paisas, eux, ont l’hospitalité brodée en lettres d’or sur le visage. 

Le décor posé, me voici devant vous à écrire quelques mots sur une compilation qui m’a introduit à la rave music locale avant même que je ne mette les pieds en Colombie. Depuis le Mexique, pays depuis lequel je suis tombé sur cette compilation, alors que la chaleur accablante du soleil de la côte Pacifique commençait à me transformer en zombie décrépi et dégoulinant de sueur, mes oreilles ont été éprouvées par un son déjà connu mais à l’énergie différente, un son que je ne pouvais pas encore comprendre tout à fait quoique les connexions entre mon bassin et ma tête semblaient répondre positivement à ce premier massage sensitif. Mais même à plus de 2500 km de la terre où s’est fabriquée cette compilation, je pouvais déjà sentir un petit quelque chose dans la colonne vertébrale, une sorte d’énergie insondable à laquelle, pour se dévoiler, ne manquait plus que mon arrivée anticipée dans la ville de la vallée d’Aburrá, au milieu de ces paysages qui se fondraient dans n’importe quel bouquin tiré de la littérature du mouvement real maravilloso.

Medellín Rave Society, voilà pour le nom de la compilation qui est tombée entre mes mains. L’avantage d’un titre comme celui-là, c’est qu’il n’y a pas besoin d’intermédiation : la compilation est là pour représenter un territoire de création, à l’image de ce qu’entreprend Théo Muller avec son label Krakhz pour la Bretagne ou le label GQOM OH! avec From Avoca Hills To The World pour la ville de Durban, parmi tant d’autres imprints. Ça a le mérite de faire exister l’intention du territoire dans l’esprit de l’auditeur sans même avoir besoin de lire la description sous le lien Bandcamp. C’est un peu brutal, mais ça marche. Et dans cette compilation coup de poing sortie sur le label Insurgentes, fondé par les artistes Verraco – qui a signé il y a peu un magistral podcast pour RA – et Defuse, sont ainsi placés sous le feu des projecteurs quatre locaux aux crocs grands comme les montagnes dont ils sont originaires et qui, paraît-il, parviendraient même à les faire bouger lorsqu’ils se mettent derrière leurs instruments. C’est sorti en juin 2018 et, selon une amie rencontrée ici, ça aurait clairement fait bouger les lignes de la ville, initiant les danseurs de Medellin à une autre forme de techno, peut-être plus étrange, ou en tout cas plus oblique. Moins “techno” au sens strict, tout du moins. 

C’est Merino, un producteur et DJ déjà bien établi dans toute la Colombie et tournant aussi un peu en Europe, qui ouvre la compilation avec “Ode To You”, un morceau hypnotique aux kicks en décalage et à l’atmosphère langoureuse. Ce n’est peut-être pas le morceau le plus original de la compilation mais il fonctionne bien et, pour ma part, il me transporte tout en douceur vers les territoires les plus nostalgiques de mon subconscient. Avec “I’m My Biggest Ennemy” de Black Propaganda, la compilation gravit l’échelle infinie de la nervosité avec un morceau qui pourrait provoquer une tachycardie à Mbappé s’il n’y avait pas, en toile de fond, un travail angélique des mélodies et une certaine forme de raffinement dans la manière d’arranger toute cette tension. Un morceau qu’on aurait pu confier aux bons soins d’un Lanark Artefax. En face B, The Baker arme la compilation d’une petite cartouche d’aération en livrant, avec “Of Gold And Bitter Bread”, un morceau pour dépressifs en devenir, ou en tout cas un morceau pour éviter de le devenir puisque toute la dépression du monde semble y être déjà contenue. Parfait pour un retour de soirée en voiture dans un Medellín dont les rues, la nuit, sont vidées de ses habitants – mais pas de ses montagnes, qui se laissent apercevoir de tous les côtés. 

Mais c’est “Entry Of The Gods Into Aburra” de Verraco qui m’a laissé sur les fesses. Le jeune et charismatique co-boss du label est peut-être le DJ colombien qui tourne le plus en Europe. Il réside actuellement à Barcelone et ça ne l’empêche pas, lorsqu’il revient au pays pour casser le bassin du public du meilleur festival de la ville, Freedom, de dropper entre deux morceaux rave un discours politique de résistance à la politique d’Ivan Duqué, le président du pays, et de mettre toute la foule en émoi. Avec le troisième et dernier morceau de ce Various, donc, Verraco s’arme de toute la palette d’un beat IDM/break et sort d’une grotte sacrée perdue au fond d’une montagne une mélodie-totem grisante et décapante qui entre dans la tête pour ne plus jamais en sortir. Ce morceau synthétise l’énergie du punk, l’émotion de l’electronica et la puissance de la techno en un seul morceau. C’est une merveille, comme la compilation mais surtout comme la ville qu’elle représente. 

Cette compilation, si elle n’est pas la seule à mettre en avant les producteurs.trices colombien.ne.s (checkez aussi Not Cumbia: A Guide To Colombia’s Electro Scene, Vol. 1 & 2 ou Place: Colombia curatée par Julianna, autre DJ importante de la scène locale), a le mérite de condenser l’énergie d’une ville dont les dangers sont aussi nombreux que les joies. Un EP intense comme la ville qui l’a vu naître. Une compilation qui s’écoute avec les deux oreilles mais aussi avec le corps bien gainé, au fond d’un club où la danse n’est jamais prise à la légère. Comme son printemps, l’électronique de Medellín est éternelle. 

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