Dix ans de post-club (3/5)

SD LAIKA That's Harakiri
Tri Angle, 2014
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Musique Journal -   Dix ans de post-club (3/5)
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That’s Harakiri n’est pas un album franchement amical. La première écoute est difficile, la deuxième ne l’est pas beaucoup moins, et les suivantes restent toujours un peu éprouvantes, au minimum. En dehors des fans hardcore d’Autechre ou d’Andy Stott, la plupart des auditeurs risqueront de trouver cet album vide, désagréable ou prétentieux. Mais ils se tromperont, et laisseront passer une oeuvre d’anticipation cyberpunk adaptée à la club music du milieu de la décennie 2010.

Sorti sur le label new-yorkais Triangle en 2014, le projet That’s Harakiri, aux côtés de Waterfall de Evian Christ, contribue au renouvellement d’un label respecté pour son sens de l’anticipation. Le disque de SD Laika apparaît ainsi au point de collision entre la noise, le post-dubstep de Burial, le grime abstrait de Mumdance et Logos. Mi-contemplatif ,mi-rythmé, l’album se présente comme un récit assez décousu, en plusieurs actes. L’histoire pourrait être celle d’une mission spatiale désespérée, une odyssée catastrophe traversée par les souvenirs d’une humanité lointaine. Les morceaux sont courts, chargés, intenses. Entre eux, et même derrière eux, semble s’étirer un vide intersidéral hostile, un temps de latence pas vraiment calme, comme des limbes digitales où sound designs, drones et white noises joignent leurs forces afin de maintenir une pression constante.

Les motifs ne se répètent que rarement. Parfois un kick droit s’installe, remettant brièvement la machine en marche, mais celle-ci ne peut qu’avancer vers le néant, avant d’être forcée de s’arrêter. Le premier morceau ironiquement intitulé « Peace » donne immédiatement le ton, avec une ligne de basse belliqueuse qui dévore tout sur son passage. Plus loin, aux moments de stress succèdent des plages d’apaisement. Sur « Great God Pan » et « Remote Heaven », deux des morceaux les plus mélodiques de l’album, des claviers à la sérénité glaciale tempèrent le tambourinage aveugle des percussions. Aussi obtus et expérimental soit-il, cet album s’inscrit dans la continuité logique d’un futurisme urbain désillusionné, qui est celui du grime depuis ses origines. La palette sonore est quasi identique : des textures hyper synthétiques, froides et métalliques, des basses comme des cocottes-minute sur le point d’exploser.

Au delà de ses aspects purement sonores, That’s Harakiri suit l’un des principes fondamentaux du grime : ce que Jon Lindblom appelle avec délicatesse la « plasticité formelle » de cette musique de club expérimentale, à savoir leur propension à déformer les structures classiques de la dance music. « Ice Rink » de Wiley ou « Pulse X » de Youngstar en sont de bons exemples. Le grime des années 2000 est un agrégat de structures bancales disparates, unifié par un désir commun d’innovation. Cette libre créativité doit tout de même composer avec une contrainte, celle du MC, et il faut donc que les beats soient « pratiquables ». Mais lors du revival grime des années 2010, les radios pirates et les freestyles ne sont plus tellement à l’ordre du jour. Le grime 2.0 est désormais une musique de club instrumentale libérée de toute contrainte. Portée par des artistes tels que Rabit ou Bloom, sa mutation se poursuit et se complexifie, le genre s’hybride tant qu’il en vient à se déconstruire.

Contrairement au grime 2.0 et à la club music en général, caractérisés par leur haute définition numérique, That’s Harakiri est souvent moucheté des samples granuleux. Cette matière lo-fi grésille et sa coexistence avec le reste n’est jamais très pacifique. C’est comme si deux espaces temps se superposaient dans la musique sans jamais s’y confondre. « Gutters Vibration » pourrait être une compo de Bernard Hermann pour Hitchcock, après un passage dans un accélérateur de particules, alors que sur « You Were Wrong », un vieux piano désarticulé plante le décor. Les notes jaillissent du néant, et ce qui pourrait servir de fond sonore à un duel au colt dans un saloon prend des allures de bataille intergalactique où entre Jedi en complet Nike. La musique de club, et plus particulièrement le grime, a cette fascinante capacité à rendre agréable des sonorités anxiogènes. La répétition, l’ordre, la rationalisation des structures sont ainsi capable de transformer des éléments rêches ou inhospitaliers en une proposition rythmique stimulante. En 2000, les bruits de verres brisés intègrent le drum kit de tout producteur qui se respecte. Sauf que la démarche de Sd Laika se situe à l’opposé : le producteur arrache pour mieux exposer. Je ne crois pas que l’idée consiste ici à « harmoniser » le vacarme ou la tension, mais plutôt d’apprendre à les apprécier. À travers ses associations hasardeuses, That’s Harakiri laisse d’une certaine façon s’exprimer les affects refoulés du grime. L’inconfort se transforme en quelque chose de chaotiquement dynamique et cathartique. Un déchaînement objectivé des passions, qui illustre à merveille ce moment où, entre 2014 et 2016, la club music sort de sa zone de confort pour livrer à une sorte de psychanalyse à la fois douloureuse et salvatrice. L’ère du post-grime débute ici.

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