Le rock sudiste, c’est mieux en VF

BÉTON VIBRÉ Les rats du rock
Sterne, 1979
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Béton Vibré, c’est du rock français. Du rock qui déjà en 1979 devait passer pour du rock à l’ancienne puisqu’il ne sonne ni comme les premiers groupes hard & heavy de l’époque dont nous parlait Louis Georget la semaine dernière, ni comme la première vague punk à la Starshooter : on est plutôt dans le rock dit « sudiste », boogie, d’inspiration blues. Leur nom est emprunté au lexique de la maçonnerie : « vibrer » du béton, ça consiste à expulser l’air du béton frais de manière à le rendre plus compact, plus homogène. C’est un terme qui a de la gueule, en effet, mais qui en l’occurrence ne colle pas trop au son de ce disque, qui laisse passer beaucoup d’air et de parasites et dont on sent à chaque titre les fondations branlantes, l’équilibre précaire, mis à mal par l’énergie brute des musiciens. C’est justement ça qui donne du caractère à leur boogie, un caractère rude, voire rudoyant, pas du tout pontifiant façon « hommage aux grands monsieurs du blues », même si le terme « rock’n’roll » revient plusieurs fois dans les paroles. Ça ne sonne pas exactement live, mais c’est assez spontané pour que l’approximation se transforme en quelque chose de très enlevé, qui s’adresse à l’auditeur sans le moindre rond-de-jambes : on est dans une ambiance effectivement rock’n’roll basique, avec zéro salamalecs, dans le son comme dans les compos, les textes, les voix et l’attitude.

Les Rats du rock est le seul album de Béton Vibré, je l’ai découvert il y a deux ans en préparant une émission intitulée « Blues de station-service et rock de loubard » pour France Culture et d’après mes recherches ses membres n’ont rien fait d’autre (et par ailleurs on ne sait pas du tout de quel coin de France ils viennent, et on entend pas d’accent particulier dans leurs voix). Le disque est sorti chez Sterne, label monté par Hervé Bergerat et dont le catalogue est connu pour avoir édité les disques d’Hubert-Félix Thiéfaine, mais aussi quelques productions post-baba issues des scènes prog/folk. La présence parmi leurs références d’un groupe aussi à l’arrache que Béton Vibré peut donc surprendre, mais je me dis que ça devait être, de la part de Bergerat, une tentative de percer sur le marché du nouveau rock français, où allaient exploser Téléphone ou Trust. Ce qui est drôle c’est que le groupe a fait à peu près le contraire de ce qu’il aurait dû faire pour cartonner, puisqu’il a choisi un répertoire plutôt rétro voire rétrograde, pas très tendance en 1979, ou disons pas assez « amphétamines », et de l’interpréter avec un son dégueulasse au lieu de le calibrer façon Sex Pistols. Écouté quarante ans plus tard, le résultat sonne néanmoins très punk : en partie parce qu’en dépit de l’écriture sudiste on sent quand même une urgence, une précipitation qui ne fait pas du tout rock à papa, mais surtout parce que le chant et les paroles donnent clairement dans le « no future » à la française. Un no future assez Frank Margerin, certes, mais quand même, les titres des morceaux parlent d’eux-mêmes : « Pervers », « Galère », « La ville se vide », « Jimmy le violeur », « Accident », « Bidon », « Les rats », je crois que le ton est donné en matière de dystopie banlieusarde à base de bastons dans les catacombes. Il y a aussi le plus franchouillard « La bouffe, la baise et le rock’n’roll », et surtout le superbe « Ne me bassine pas avec ta tête de magazine, ton air libéré, ta gueule éclatée ça me déprime », diatribe proto-anti-bobo qu’on aimerait beaucoup entendre à la prochaine expo sur les années punk du Bon Marché.

Mais ce qui me plaît le plus dans Les Rats du rock, comme souvent dans la musique française de cette époque, et qui je crois fait la différence, ce sont les voix, l’élocution, les timbres. Ici, l’une est masculine, celle de Séverin Blanchet, et l’autre féminine, de Dominique Faysse. Blanchet a une belle voix un peu cassée, presque une voix de comédien ou de poète, là où celle de Dominique est beaucoup plus hargneuse, et pourtant c’est Dominique qui fera ensuite carrière dans le cinéma puisqu’elle jouera dans quelques films et deviendra aussi monteuse et scénariste (ou alors peut-être que c’est une homonyme, et je vous prie par avance de m’excuser pour cette erreur). Leur association au micro donne un truc qui, pour le coup, aurait pu plaire comme plut au même moment le tandem Corinne/Jean-Louis dans Téléphone et ça aurait surtout été beaucoup mieux qu’eux. Et c’est à la fois beau et triste de se dire qu’a existé, le temps d’un disque, un duo aussi fort et charismatique au micro, mais que pour des raisons inconnues (quoique sans doute compréhensibles) il a dû s’arrêter. Ah, la France et la pop music, cette vieille affaire d’échecs sublimes, de rêves plus beaux que ses réalités mais finalement plus palpables, et zébrée d’éclairs de génie moins accidentels qu’on ne voudrait le croire.

Le disque est mentionné sur plusieurs blogs et forums spécialisés mais n’a pas été réédité : il faudrait demander pourquoi à Hervé Bergerat, puisqu’il a en revanche plus ou moins réactivé Sterne et les autres labels dont il s’occupait (dont Ballon Noir, structure menée par Hughes de Courson de Malicorne au sujet duquel j’ai fait une autre émission sur France Culture) et qu’il semble toujours actif dans l’industrie musicale comme en témoignent ces entretiens donnés à la BNF. « Ne me bassine pas » et « La ville se vide » sont en revanche apparus sur des compilations non-officielles éditées par Get Baque et Jupiter. Bref, ce serait bien de voir ce qu’il y a à faire du côté des Rats du rock, ce disque puissant quoique imparfait qui témoigne donc d’un moment peu documenté de l’histoire du rock’n’roll français.

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