Depuis ma sélection de ce que j’annonçais comme les cinq tubes de l’été 2021, j’en ai découvert cinq autres tout aussi bons, voire peut-être mieux encore. C’est toujours une expérience spéciale d’écouter en boucle des nouvelles chansons en vacances, ou du moins pendant l’été, donc peu importe qui est meilleur qu’un autre, l’essentiel c’est de découvrir et aimer des formes propres à cette catégorie si particulière. C’est parti.
DREAMCAST MOE – « My Heart Belongs 2 U »
J’avais déjà parlé de ce chanteur/producteur de Washington D.C. il y a deux ans parce qu’il apparaissait en featuring auprès des Sun Runners (chez Apron) sur un titre d’une suavité et d’une affabilité dignes des plus grands établissements. Ça s’appelait « Always Be Your G » et c’était déjà un tube de R&B « outsider », tout en langueur, qui tournait sur lui-même, dans son désir sans fin. Eh bien Dreamcast Moe est revenu récemment (il était déjà revenu entre-temps d’ailleurs, notamment avec ce clip et ce track qui ont remplacé mon chauffage au sol cet hiver) en éditant un EP dont nous ne connaissons que deux titres sur quatre pour l’instant (le reste sera mis en ligne vendredi prochain), mais le premier est dans la lignée de « Your G », c’est la moitance, l’horizon flou, le vertige – ces nappes me mettent en vrac, mais en vrac sain, en vrac positif, en vrac vert. Le second morceau est mortel aussi, plus house de Detroit avec une pointe de Dilla (notamment parce que Moe rappe dessus comme les mecs de Slum Village).
RAUW ALEJANDRO – « Perro Peseau »
J’ai découvert cette star du reggaeton aux côtés de Selena Gomez qui l’a invitée sur un de ses derniers titres : c’est un jeune Portoricain qui au départ était censé devenir footballeur pro et qui à la suite d’une blessure s’est reconverti pour notre plus grande joie en chanteur/rappeur de haut vol, doublé d’un danseur qui personnellement m’impressionne à fond. Et je n’ai pas commencé à parler de son look et plus généralement de son attitude : le mec propose un crossover entre A$AP Rocky, Jafar d’Aladdin et un mannequin Jean-Paul Gaultier. Musicalement le track que j’ai choisi est celui que je préfère de sa discographie, une recette simple de perreo contemplatif qui câline un peu par instants, mais visuellement le clip de son titre « Enchule » sorti l’an dernier m’a beaucoup plus durablement laissé sur le carreau (et il emmène le chanteur vers une identité « multiple » qu’il cultive moins sur la vidéo du titre ici sélectionné).
NEGRONAGRA – « Angelo D »
Dernier pseudo de Loïc Ponceau qu’on connaît entre autres pour le super projet Lès Modernos sorti sur Gravats en 2017, Negronagra ouvre le tracklisting de la récente et excellente compilation du label Santé Loisirs dirigé par le Bruxellois Eric Kinny. J’adore vraiment ce track, c’est du collage avec des bouts de la voix de Loïc par dessus, je n’essaierai pas de trop décrire avec des mots à quoi ça ressemble, puisque les textes disent entre autres « NIQUE LE LANGAGE », mais je crois reconnaître un sample de Gangstarr vers la fin. Super synthé au début, pas exactement des nappes, plutôt des napperons en dentelle qu’on allait jeter à la poubelle mais finalement non.
SUBMERSE – « Hold On »
Un Anglais basé à Tokyo dont je suis ultra fan, et dont j’aimerais pouvoir dire qu’il entend la crystal soul 80s et le R&B 90s comme Burial entend la jungle et le UKG, mais ce n’est pas tout à fait ça non plus. C’est plus « simple », il y a moins de romantisme hantologique, et plus de romantisme pop, jaillissant et éphémère, sirotant au ralenti l’aérien nectar de la jeunesse et du coup de foudre.
On pourrait davantage rapprocher sa démarche de celle des edits du jeune Kaytranada, quand le futur récipiendaire d’un Grammy bloquait sur une boucle vocale de Janet Jackson ou Teedra Moses. Sauf que Submerse mélange plusieurs samples, je pense, et ajoute des petites impulsions juke et justement jungle qui, je crois, expliquent le fait qu’il me rappelle Burial. Ça se déploie comme un collage de souvenirs ultra nets et d’émotions dont on ne sait plus trop si elles reflètent celles d’un cœur amoureux, et peut-être brisé, ou si elles fétichisent au contraire ces émotions sans les vivre vraiment, juste pour en faire des morceaux qu’on a envie de se jouer encore et encore. Quel trouble.
Ce morceau est mortel, il est court, mais quand même pourvu d’une sorte de passage à la tierce autour d’une minute trente. Je conseille aussi vivement le fantastique EP jungle/R&B que Submerse a sorti l’an dernier, découvert dans la liste de fin d’année de Damencio.
PHARRELL / BRENT FAIYAZ / DRAKE – « Wastin Time »
Toujours content d’aimer une nouvelle prod de Pharrell, ici pour le chanteur Brent Faiyaz, originaire de la ville de Columbia dans le Maryland. L’Afrofilipino de Virginia Beach reprend une partie du lexique R&B fin 90/début 00, mais étrangement pas tout à fait celui de son R&B à lui. Je dirais plutôt qu’il s’agit de la facette plus planplan du R&B de cette époque, en mode slow jam un peu dramatique, avec pénombre bleutée sur draps satinés bientôt zébrés de stupre. Je l’ai écouté au bureau et une collègue trentenaire a évoqué Usher, le Usher love, tandis qu’un collègue plus jeune a affirmé trouver les charleys « bizarres ». Je me suis dit que les vingtenaires n’étaient pas forcément très ouverts aux « bizarreries » de production et ça m’a fait un peu de peine, car moi je les trouve merveilleux, ces charleys – on dirait qu’ils vont tomber au bord d’un précipice ou juste au bord du matelas queen size, qu’ils se retiennent paresseusement de tomber, probablement sur de la moquette. Mais surtout le plus beau c’est que la basse a l’air de fredonner quelque chose, elle sert de back voice à Brent (qui lui-même a une sacrée voix, avec un rhume discret mais chronique) et rebondit joliment. Une fois qu’on l’a entendue on ne pense plus qu’à elle. Le seul problème c’est que Drake finit par débarquer et qu’on se dit qu’on aimerait bien écouter l’instru – d’ailleurs je repioche régulièrement dans l’énorme zip des versions instrus des prods des Neptunes qui avait leaké il y a quelques années, et qui offre des heures et des heures de volupté. Merci de votre attention et bon weekend à toustes.
(NB : comme vous le savez peut-être Musique Journal ne fait pas de nécros, mais à titre individuel je voudrais quand même saluer la mémoire de Peter Rehberg, mort avant-hier à l’âge de 53 ans, qui était l’un des artistes les plus géniaux de la musique électronique dite expérimentale, auteur de disques inoubliables et fondateur du label Mego.)