La turntablist anglaise Mariam Rezaei nous fait visiter son atelier découpe

Mariam Rezaei Wolf's Tail
2021
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Bandcamp
Musique Journal -   La turntablist anglaise Mariam Rezaei nous fait visiter son atelier découpe
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J’adore les turntablists, les « platinistes » : il y a quelque chose dans leur pratique détournée de leur instrument de résolument concret (comme dans « musique concrète ») et d’artisanal qui me rend maboul ; un écart toujours gracieux et plus ou moins marqué avec le DJ-ing « de base », même si à un certain point, il devient difficile de faire la part des choses, tant les techniques communiquent et se nourrissent entre elles. Et puis un.e bon.ne praticien.ne est un.e bon.ne praticien.ne, qu’elle ou il soit platiniste ou DJ, point barre. Marina Rosenfeld, Arnaud Rivière, Erik’m, DJ /Rupture, Guillhem All, ou même mon ami Baptiste Filippi (alias Frère) : autant d’usages différents de la platine vinyle, souvent hybrides, aux antipodes parfois, et pourtant toujours intelligents, surprenants, osés. Ce saisissement de la matière, son altération dans un processus ludique et manuel, quelques fois bien abstrait quand même, me parle à un niveau quasi moléculaire. Je suis clairement un enfant de l’ère de la platine – vinyle mais aussi CD, je précise – et de l’échantillon, que je le veuille ou non. Et je le veux ardemment, peut-être plus aujourd’hui que lors de mes jeunes années.

Mariam Rezaei est une platiniste anglaise (plus exactement du Tyne and Wear, la région de Newcastle) tout simplement hallucinante, et sa pratique fait le pont entre des choses diverses et connectées que j’aime également, à savoir : le mix ruff et la technique hip-hop, les musiques bruitistes et industrielles, l’improvisation libre, les bourdons denses – bref tout ce qui constitue le corpus des expérimentations musicales bien identifiées de ces soixante-dix dernières années. J’ai d’ailleurs découvert Rezaei via une communication digitale d’un autre platiniste, le « Frère » Filippi susmentionné – qui forme avec son comparse Manuel Zenner le duo Ppaulus et Frère que je vous recommande d’écouter pour une démonstration de groove libre –, relayant une story Insta d’une performance de la musicienne au Météo Festival de Mulhouse. Et c’est la claque : du bruit, de la fureur, une maîtrise du crossfader et du scratch abusée, façon DMC World DJ Championships, sans que cela ne soit trop connoté, avec une finesse d’improvisation folle et une aisance démesurée.

Tout cela, on le retrouve dans le corpus de cette musicienne prolifique qui multiplie les collaborations, co-dirige et participe à l’artist-run space TOPH basé à Newcastle, est titulaire d’un doctorat en philosophie de la composition pour platine et ensemble à l’université de Durham, et donne des cours en musique, technologie et composition à l’université de Newcastle. Il y a ses sorties pour le label Fractal Meat, BLUD (2019) et Skeen (2020) qui comprend une longue et impressionnante composition nommée « AGENCY »). C’est cependant l’enregistrement de la performance d’une pièce commissionnée pour le Huddersfield Contemporary Music Festival en 2019, Wolf’s Tail – un petit bonus numérique de Bandcamp, même pas une vraie sortie référencée, en plus ! –, qui m’a définitivement conquis.

Réalisée à l’aide de quatre platines, Wolf’s Tail est une véritable leçon de turntablism sans outrance, où Rezaei déploie son savoir-faire sur quatre différentes sections, dans une esthétique un peu moins « concassage du monde », mais tout aussi puissante. Dès le début, la maîtrise de la musicienne est évidente : des motifs se tuilent et s’entrechoquent, à la manière d’une compo minimaliste américaine, avec en fond des bourdons dont la hauteur tonale oscillent ; une clarté, un peu mystique et céleste ; puis Mariam manipule plus ostensiblement ses platines, et on retourne, non pas sur ou sous, mais bien dans la terre sans quitter le divin. Le matériau, manipulé avec une grâce dingue, se fait tellurique. Si le hip-hop « abstrait » plus grand public (genre DJ Shadow) avait davantage ressemblé à ça, j’aurais signé direct, et pour toujours !

Et on continue : Mariam Rezaei triture ensuite des fragments de discours de Margaret Thatcher, littéralement tranchés avec une agilité étourdissante. Les superpositions et manipulations forment vite une super-logorrhée trop dense pour être pénétrée, progressivement saturée jusqu’à devenir un résidu de bruit remodelé à son tour. Un saxophone – initialement joué par Tony Bevan, pointure de la scène expé anglaise – fait son entrée par dessus tout ça et subit le même traitement, pas de jaloux ! Et là aussi, on retrouve des techniques propres aux minimalistes américains (phasing, mise en boucle, superposition) réalisées aux platines, ce qui n’est pas en soi vraiment novateur, tant l’instrument occupe le champ de l’expérimentation depuis longtemps (carrément depuis Schaeffer, en fait), mais c’est une autre histoire.

La quatrième et dernière partie, se focalisant elle aussi sur le saxophone, est moins rythmique que la précédente mais tout aussi marquante. Des couches de complaintes se superposent pour un final épique mais en fait très sobre, qui se fini juste comme ça, sans prévenir. Je crois que c’est ce que je préfère chez Mariam Rezaei : cette façon d’être musicalement pile à la jonction entre le « trop » et le « juste assez », de mettre en œuvre un maximalisme paradoxalement très serré, parfois tellement qu’il en est austère, mais sans être jamais chiant. Et il est évident qu’en concert, le tout prend une dimension supplémentaire, celui du geste musical. Je vous invite donc, pour finir, à mater cette session avec Lasse Marhaug (lui aussi aux platines) et un quatuor à cordes au Tusk Festival, en 2019 afin de capter l’intensité du schmilblick. Bonus : Mariam chante aussi, et sans blaguer, c’est désarmant.

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