Jamais, au grand jamais, je ne pourrai me lasser de la musique sensuelle et sentimentale. Enfin celle que j’identifie comme telle : chantée par une voix à la tessiture doucereuse, de préférence dans un registre un peu aiguë, faisant écho à mes jeunes années. La langue anglaise me sied, je suis un homme de mon époque, mais on ne va pas se mentir, si c’est en français dans le texte, ce français qui se pense des Amériques, c’est tout bénef’. On ne va pas commencer à donner des noms parce que je sais que ça risque de finir inscrit dans mon casier – et que je ne veux pas, une fois de plus depuis mes débuts chez Musique Journal, citer Matt Houston, Slaï ou Les Déesses –, mais vous voyez où je veux en venir.
Autant que la varièt’, le zouk me dévore le corps ; mais la new jack et Curtis Mayfield aussi. Dire le vrai, c’est parler (vous m’excuserez l’expression) avec le cœur ouvert. Et je pourrais le répéter à chaque article, mais absolument RIEN ne peut dépasser une chanson qui dit l’amour. C’est une loi qui dépasse toutes les autres lois, toutes disciplines confondues, du ski de fond à la mécanique des fluides.
Pour survivre, les temps présents m’obligent ainsi à puiser dans des corpus sexy jusqu’à la démesure. C’est un contrepoids nécessaire, et je pense que c’est exactement ce dont notre espèce à besoin en ce moment, dans son intégralité : lâcher du lest sans pour autant quitter la lutte, se laisser activement charmer et sentir la volupté inonder le corps, tenter des contacts visuels malicieux voire même tirer un coup pour celleux qui le sentent – tout cela dans le consentement et sans zone grise, nous sommes d’accord.
Ce projet de convergence des fluides corporels doit dépasser le stade de test et se concrétiser : je vous propose donc de rentrer dans le vif avec deux charges érotiques et charnelles que 20 années et un continent séparent, chantées par des femmes dans des idiomes différents. Je dirais que ces œuvres, plutôt que de simplement en parler, ruissellent le sexe ; les sonorités, les textures, les arrangements et les voix y exhalent un parfum vraiment très musqué qui appelle à la chose. Ce sont donc des musiques fonctionnelles, faussement subliminales : même si les paroles abordent beaucoup, d’une manière paradoxale, les affres de l’amour, les ruptures et les charos, les tromperies aussi, nous savons très bien, excité·es que nous sommes, de quoi il en retourne vraiment.
La première, Motive, est un EP de la musicienne de Los Angeles Joyce Wrice, découverte sur l’excellent album de Devin Morrison où elle tapait un feat. Dès la pochette aqueuse l’ambiance est posée : pas de faux-semblants, la dame se languit mais domine, va nous croquer tout cru et on va s’en délecter, en plus ! Et au cas où on ne serait pas sur, le titre est adjoint de la mention [Explicit] sur bandcamp. Effectivement, après deux morceaux destinés à remettre à leur place des gadjos qui pense pouvoir la garder rien que par l’épaisseur du larfeuille, la chanteuse de Los Angeles lâche trois bombes suggestives, pour ne pas dire plus. Mais en fait dès « Iced Tea », le premier morceau (produit par Kaytranada), on sent que ce n’est pas dans le sens des mots mais dans la façon que Joyce a des les étirer, de les faire claquer et se répondre (notamment avec les backs) que se loge toute la charge érotico-cinétique.
Le son est liquide, les nappes juteuses façon jardin des délices ; les parties rythmiques, luxuriantes, halètent sans vergogne. Là-dedans, il y a tout ce que je préfère pour m’activer : de l’afrobeat, du r’n’b coquin à l’ancienne, du funk un peu G et sinueux qui tire dans tous les sens. Ces épures consolidées autour de la voix bien sucrée de Joyce sont d’une luxure à rougir tout en étant jouable à une heure de grande écoute (« Spent »). Je ne peux pas résister ; le bassin s’enclenche direct, je me touche le torse et le cul avoisine le sol. Et attention à ne pas porter des matières trop synthétiques, les frottements risqueraient d’entraîner des combustions spontanées.
Sur « Bittersweet Goodbyes » (vraiment ma préférée), quand Joyce va chercher la petite note un peu haute, ça équivaut pour moi à une petite mort. Comme sur cette ligne qui dégage une chaleur intolérable : « Kiss me and undress me / I know there’s more of you inside / Just put me inside », avec les tenues venues d’ailleurs sur les inside. Le final « Pace Yourself », avec son instru qui a bien digéré J Dilla/Madlib (la tapis touffu des idiophones, la cocotte de gratte) mais pour un tout autre projet est pas mal non plus, et les paroles laissent assez peu de doutes sur la nature de celui-ci – « Swim in the holy water that I offer, do you understand? Uh, huh / I’m worth the weight you feelin’ inside your hands, uh, huh ». J’en tremble de plaisir !
J’aime énormément cet EP, je danse beaucoup dessus, seul ou avec ma chérie, et je suis très content de le partager avec vous. Les sons sont courts et sans prise de tête (les jaloux diront basiques et je suis assez d’accord, en fait), ça réinvente pas le pantalon en cuir mais l’effet caliente qui émane de tout cela n’est pas une illusion ! Je n’ai pas grand chose d’autre à en dire, pour moi ce n’est pas une musique sur laquelle on disserte tant que ça si vous voyez ce que je veux dire (wink wink libidineux).
Sinon mon envie à la base, c’était surtout de parler de l’autre disque, l’album, celui d’il y a 20 ans. Ainsi, pour ne pas traîner en longueur et mettre en place une certaine dramaturgie journalistique, je vais reporter ça à la semaine prochaine, en vous laissant comme ça, en suspens, tout à vos pronostics. Comme quoi, même seul·e aux manettes, on ne fait pas forcément ce qu’on veut. Motive était une introduction, un échauffement nécessaire avant la suite – au prochain épisode, donc…