Je ne vais pas y aller par quatre chemins, j’ai un peu foiré mon voyage à Rome, à Noël. Je retrouvais l’Italie après quelques années passées loin d’elle, et je n’y étais pas. Si vous avez suivi un peu mes voyages, notamment celui en Indonésie, vous savez que je ne suis pas un grand globe-trotter, même si des incursions inespérées à la Réunion ou en Guadeloupe ont fait beaucoup pour ouvrir mes représentations du monde. Alors Rome, oui, la ville n’y est pour rien : impressionnante dans son architecture et la compression de ses strates historiques, même si on a parfois l’impression d’être N°6 dans le village du Prisonnier, l’urbs a de beaux restes, le Colisée, le Mont Palatin (surtout), ses rues et ses bâtiments aux couleurs de l’automne…
Alors, il faisait un peu froid, c’est vrai, mais l’Italie où je passais tous les étés de 1976 à 1989 ne m’a pas sauté au visage. Je n’ai pas fait de liste de magasins de disques, j’ai même renoncé à aller au bas de l’immeuble de l’appartement aux 17 chambres, désormais vendu, d’Ennio Morricone. Tout était un peu trop gris, bitume, voiture, pluie, vent. Comme ce moment de solitude au milieu de la place Saint Pierre devant l’écran géant avec le Pape et la messe de Noël, le soir du 24 décembre. L’endroit était aux deux tiers vide. Mais où sont passés les croyants ?
Et puis comme un rayon de soleil venu du nord-est du pays, une petite musique m’est revenue en tête. Un disque du début de l’adolescence celui-là, 1986, en provenance des plages de Rimini et de Cervia. Ramené à l’appartement de location – la crise avait fait son œuvre, la période hôtels de luxe était terminées – par le grand frère, ce 33 tours moche (la couverture représente un bébé coiffé punk qui hurle devant un micro sur un fond rouge-rose) est la bande-son de l’été 86, ou 87, le temps qu’on découvre.
Coincé entre l’italo-disco et les chanteurs populaires des années 1970, plus sérieux, plus complexes (Baglioni, Battiato, Dalla), Zucchero Fornaciari était le local de l’étape Emilie Romagne, bon et chaud comme la piadine, cette sorte de crêpe de pain cuite, vendue dans des maisonnettes de bord de la plage aux touristes quittant les lieux en fin de journée. Ce disque, son deuxième en solo si on a bien suivi, donne une musique modeste pleine d’âme et de mélodies catchy. Une version méditerranéenne de la soul. On connait l’amour de l’italien pour le drama, Zucchero fait ça, il chante toujours à la limite de la casse, caressant un R&B, un funk gauchement emballé.Ça s’écoute tranquillement, c’est sympa comme une sieste sur un lettino, les yeux protégés par le pare-soleil intégré, le sable qui gratte sur le revêtement synthétique de chaise longue réglable, les rouleaux de l’Adriatique, jamais trop méchante, à quelques mètres. Cervia, toujours, comme dans le clip de Phoenix, « Goodbye Soleil », c’est exactement ça. Ballades, slow tire-larmes (« Come Il Sole All’ Improvviso »), petit funk bancal (« Rispetto », la chanson), chœurs gospel, couplets émotions, tout s’emboite jusqu’à l’avant dernière chanson « Canzone Triste (Canzone d’amore) » brise-cœur, et devenu hymne imparable des verts patûrages de la famille Sachetto en Italie (j’italianisais mon nom sur la plage pour mes amis italiens, ou alors si c’était trop compliqué, on me baptisait Pierre Cardin, plus classe).
Si on dézoome un peu, Zucchero proposait sa version du funk à yeux bleus, ce fantasme de musique noir, qu’on trouvait aussi à Glasgow (Hipsway, Deacon Blue, Texas) à l’époque, et en Angleterre avec Paul Young qui, quelques années plus tard en 1991, aidera l’Italien à toucher le jackpot international avec une scie monumentale, « Senza Una Donna », et sans moi, coincé dans Rispetto, pour toujours.