La soul intimiste sans illusion de Noname

Noname Telefone
2016
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Musique Journal -   La soul intimiste sans illusion de Noname
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Mon snobisme a trop souvent tendance à me faire oublier que la musique a pour fonction première, chez la plupart de ceux qui la pratiquent et l’écoutent, à véhiculer des émotions humaines et partageables, à apercevoir et faire apercevoir un peu d’eux-mêmes. Heureusement pour moi, j’ai la chance de tomber sur des disques comme Telefone, mixtape de la rappeuse Noname sortie en 2016, qui rappelle qu’une bonne chanson a le pouvoir de dévoiler en quelques secondes une intimité, une sensibilité, une personnalité avec ce qu’elle peut avoir de fragile ou de désespéré, et de donner à vivre dans sa peau pendant quelques minutes. 

Noname vient de Chicago ; elle s’est fait connaître en apparaissant sur Acid Rap de Chance The Rapper et collabore avec pas mal de figures du leftfield afro-américain de cette décennie, tels que Smino ou Ravyn Lenae. Sur Telefone elle chante et rappe à moitié pour elle-même, comme si elle écrivait un journal, ou plutôt comme si elle s’adressait à quelqu’un mais sans le voir et c’est d’ailleurs pour évoquer le rendu mi-privé, mi-confessé d’une longue conversation téléphonique qu’elle a ainsi baptisé son projet. Le soin qu’elle met à enrouler sa voix autour des instrus relève certes un peu de la virtuosité, mais elle est surtout virtuose du naturel, d’un stream of consciousness vulnérable et exposé, émettant une lumière franche directe, et en même temps très détaillée, très délicate. Elle avait une vingtaine d’années au moment d’enregistrer cette tape, elle vient d’un quartier populaire et a été élevée en grande partie par sa grand-mère, c’est une femme noire-américaine, en somme elle et moi n’avons rien à voir et pourtant elle réussit, notamment dans « Yesterday » ou « Diddy Bop », à habiter mon âme de la sienne. Ça se passe sans effort, sans me demander de me projeter : je n’ai même pas besoin d’être empathique pour sentir ce qu’elle ressent, pour pouvoir m’identifier à l’expérience qu’elle dépeint, peut-être parce qu’elle est plus la sienne propre que celle du sociotype auquel elle correspond, qu’elle s’affirme davantage en montrant ses aspérités, ses creux, ses limbes existentielles qu’en revendiquant un statut ou une lutte. La boucle filtrée de « Yesterday » résonne tellement bien avec le ton qu’elle donne à ses mots, à son chant à la fois épuisé et réconfortant, que le morceau est devenu pour moi un de ces classiques personnels que je me joue dans ma tête comme la ponctuation de ces moments d’existence où je me sens à la fois ému et dépité, envahi par le blues et fourmillant de petits picotements de vie. 

Ce que j’aime beaucoup, aussi, c’est que la couleur nu-soul du projet, bien qu’assumée et maîtrisée, semble par moments secondaire sinon accessoire, ou en tout cas qu’elle est vite estompée par la personnalité si forte de Noname, par la justesse de son émotion et la vibration immanquable et évidente de sa voix et de son flow. Je ne sais plus au sujet de qui je disais déjà ça avant les vacances, mais on la dirait tout à fait possédée par les esprits de la musique et de la poésie, elle est emportée par quelque chose qui transforme son propos plus ou moins banal et quotidien en une œuvre universelle et saisissable par tous. Son album Room 25, sorti deux ans plus tard, soit l’an dernier, est lui aussi très réussi mais pour le coup la prod soul y est plus présente, plus « pro », du coup je trouve qu’il s’éloigne de l’approche journal intime de Telefone, ce sont des plans moins serrés, quoique probablement mieux composés et plus matures. Noname a donné une explication partielle à ce changement : à l’époque de la mixtape, elle n’avait encore jamais couché avec personne. L’information peut en effet éclairer la pudeur et la fragilité de Telefone, son espèce de mélancolie juvénile si distincte, et si distinguée d’ailleurs. Bien sûr je ne dis qu’elle ne fera forcément jamais mieux maintenant qu’elle n’est plus vierge – même si je me demande bien combien d’artistes soul ont enregistré de l’aussi bonne musique sans avoir jamais fricoté avec qui que ce soit –, et j’ai hâte d’entendre ce qu’elle va faire dans les années qui viennent. Mais j’avoue que cette mixtape – qui d’ailleurs a mis un temps fou à sortir – restera pour moi un vrai high-school crush avec tout ce qu’il peut avoir d’absurde, d’égoïste et d’irrésistible.

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