Miniatures (5/7): Structures Sonores

Yves Robert La légende de Broum le Mammouth
Arion, 1970
Jean-François Gaël Musiques de table - Profiteroles
Chevance / Born Bad
Yves Furet La guerre du Feu
Encyclopédie sonore Hachette
Radio Minus Miniatures - Trésors cachés du Fonds patrimonial Heure Joyeuse
Mixcloud, 2020
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Grands assemblages d’inox et de verre au design sophistiqué, les Structures Sonores Lasry-Baschet opèrent à leur apparition en 1957 rien de moins qu’une petite révolution en matière de lutherie. Sortie de l’imagination des frères sculpteurs François et Bernard Baschet – longtemps associés au couple de musiciens Jacques et Yvonne Lasry – cette famille d’instruments reposant sur un assemblage de métaux vibrants et résonnants donne à entendre de mystérieuses sonorités complexes, multi-timbrales et cristallines qui ne ressemblent alors à rien de connu.

Si d’autres instruments d’un nouveau genre comme l’Ondioline ou les Ondes Martenot suscitent à la même époque un certain engouement jusque dans le secteur du disque pour enfants, l’originalité des Baschet réside en réalité dans leur approche strictement acoustique. Au dos de ses pochettes, la firme Ducrutet-Thomson semble ainsi mettre un point d’honneur à rassurer ses auditeurs quant au fait que « cet enregistrement a été réalisé directement sans aucun artifice technique électronique. »

À leur apparition, ces Structures Sonores trouvent leurs premières applications discographiques dans deux secteurs bien particuliers : celui de la musique à l’image, mais également celui – très porteur à l’époque – du récital de poèmes. Ainsi, la parution dès 1957 d’un enregistrement de textes de Villon, Cocteau ou Edgar Poe dits par le comédien Jacques Doyen marque-t-elle en son temps les esprits. Leurs paysages sonores résonants, ouatés et fantomatiques semblent offrir à la voix un écrin idéal: continuum suffisamment présent pour insuffler une émotion, suffisamment discret pour savoir s’effacer derrière le sens des mots, et que François Baschet n’hésitera pas lui-même à qualifier dans ses mémoires de « fond sonore ».

Dans le domaine des contes, récits et fictions sonores spécialement édités à l’attention des enfants, l’usage des Structures Sonores se généralise progressivement pour donner naissance à un corpus d’enregistrements singuliers, proprement unique au monde. Parues sur le label Arion, les histoires courtes de Broum le Mammouth ou de Céline, petit poisson rouge se voient donc gratifiées de cette atmosphère cotonneuse, intrigante et onirique. L’Encyclopédie sonore Hachette peut également recourir aux instruments Baschet pour évoquer la noirceur des temps préhistoriques dans une mise en ondes singulière de la Guerre du Feu. Chez le plus catholique Unidisc, on peut retrouver Jacques Doyen et Jacques Lasry, le temps d’une incursion catéchiste où La Neige se voit investie du pouvoir de ramener nos pauvres âmes égarées dans le droit chemin: « Les premiers flocons tombèrent dans des villes. Dans bien des villes, sur des fêtards attardés (…) Car le Bon Dieu, qui ne désespérait pas de ces gens-là, lesquels n’étaient autre que d’anciens petits enfants, devenus des méchants, avait voulu les mettre sur la voie du repentir. »

Sous des titres aguicheurs comme Le cheval électronique, d’autres enregistrements édités par Riviera font encore appel aux Structures avec des résultats plus ou moins convaincants. Dans l’opus du conte musical Piccolo et Saxo à Music City qu’André Popp consacre en 1972 aux instruments modernes, elles effectuent enfin une apparition anthologique, l’une des dernières, sans-doute, avant que le couple Lasry ne parte s’installer en Israël et que la collaboration avec les Baschet ne s’interrompe alors.

Dans l’intervalle, les Structures Sonores ont cependant acquis une renommée internationale. Parfois incomprises ou mésestimées par les critiques, elles font l’objet de célébrations de premier plan au MOMA de New-York, au Barbican de Londres, et jusqu’à Osaka lors de l’EXPO’70. Snobées par certains grands noms du milieu de la musique contemporaine, elles savent aussi faire le bonheur de compositeurs reconnus comme Toru Takemitsu ou Luc Ferrari.

Depuis son apparition, l’œuvre des Baschet se caractérise également par sa très grande accessibilité. En sus des concerts se terminant presque invariablement par une invitation du public à venir manipuler les instruments, le succès de leurs grandes expositions s’explique assurément par le caractère ludique et interactif de ces sculptures que l’on a le droit – sinon le devoir – de toucher.

En 1970, la participation des Baschet au programme Learning Through Art de la fondation Guggenheim les oriente ainsi vers la conception d’un instrumentarium pédagogique adapté aux enfants. Sa fabrication débute en 1972, conduisant à la mise en place d’un ensemble d’ateliers de pratique, de sensibilisation et de projets d’action culturelle. Affichant clairement leur volonté de ne pas laisser enfermer leurs œuvres dans des collections privées de commanditaires de la haute société, Bernard Baschet résumait sa position en ces termes : « Nous avons en main une technique nouvelle (…) Développons-la, non pas dans les champs décoratifs du marché de l’Art pour millionnaires, mais dans le champ de l’éducation. »

Combinant quatorze structures de petite taille, cet instrumentarium prend évidemment en compte les inévitables contraintes liées à la robustesse des matériaux dans un contexte éducatif. En sus d’une réplique de cristal miniature, ressorts, tiges et disques métalliques, cordes et lamelles vibrantes sont fixées sur un ensemble de cônes en résine souples de couleurs vives, un grand soin étant évidemment apporté à la dimension esthétique de l’ensemble. Par d’autres voies que celles de la musique sur support ou de l’électronique, l’instrumentarium s’inscrit dans la valorisation d’une expérience musicale collective par le jeu, l’exploration ou l’improvisation. Fondée sur la pratique et l’écoute en lieu et place de la lecture, il s’affranchit surtout du caractère tonal encore largement en vigueur. Dans le précieux film de Jacques Barsac sorti en 1982, Bernard Baschet revenait ainsi sur les enjeux de cette entreprise :

« Le travail que nous faisons avec les enfants – très souvent avec des enfants difficiles, psychotiques, ou qui ont des difficultés motrices très importantes – est expérimental. On permet à ces enfants de produire des sons, et on leur apprend, un peu, à assembler ces sons. De même que l’on donne à des enfants des couleurs, et puis on leur dit: « maintenant, avec les couleurs, projetez-les sur votre papier », et on leur apprend à structurer leurs images petit à petit, de même nous sommes des fabricants de couleurs sonores, nous donnons ces couleurs sonores aux enfants, et nous leur apprenons à écouter ce qu’ils font, à écouter leurs voisins – ce qui n’est pas facile – et ensuite à essayer de jouer ensemble, pour construire quelque chose d’une façon empirique. Mais dans lequel l’attention et l’observation sont fondamentales. »

Les années 1970 sont également en France le théâtre d’un important mouvement de renouveau du Conte, visant à raviver et valoriser cette forme de littérature orale, en se démarquant d’une vision de la culture comme exclusivement livresque. Initiateur et acteur-clé de ce mouvement, Bruno de la Salle s’intéresse très tôt au travail des frères Baschet, qu’il rencontre vers 1965. À la recherche d’un instrument le rattachant à la tradition des griots, des aèdes ou des bardes, il porte son dévolu sur ce cristal qui deviendra son «compagnon embarrassant», capable comme nul autre de capter l’attention du public, au risque parfois de le détourner du récit:

« L’instrument Baschet était la lyre de l’époque. Il pouvait s’inscrire dans cette généalogie, en même temps qu’il avait un aspect absolument contemporain, fait de matériaux dans lesquels nous vivons aujourd’hui : l’acier, l’aluminium et les plastique. Comme nous étions amis et en échange des services que je leur rendais comme assistant, j’ai donc appris à fabriquer un instrument pour m’accompagner comme les troubadours, qui avaient une harpe à six, huit ou neuf cordes. »

S’il ne songeait guère à l’origine à s’adresser à un public d’enfants, Bruno de la Salle se retrouve néanmoins recruté par la Fédération des Œuvres Laïques pour des tournées jeune public à travers toute la France. A la fin des années 1970, comme venant clôturer cette période, il conçoit en compagnie du dessinateur Seiichi Horiuchi le disque Féerie-soir comme un véritable objet artistique. L’homme de théâtre et fondateur du Grand Magic Circus Jacques Coutureau opte pour une démarche similaire, publiant coup sur coup deux disques pour enfants en s’accompagnant également au Cristal Baschet.

Mais en ce qu’elle demeure strictement instrumentale, et s’affranchissant totalement du recours à la voix – fait rare dans le secteur du disque pour enfants –, l’une des plus belles occurrences en la matière demeure celle des Musiques de Table, éditées au milieu des années 1980 dans la petite collection Sonoriage par le label Chant du Monde. Incluant chacune un cahier d’activités destiné à orienter l’écoute, les pochettes explicitent l’intention moderniste de cette collection conçue «pour une initiation active à l’écoute et à la lecture de la musique d’aujourd’hui née de l’attention à l’environnement sonore quotidien.»

A la manœuvre, la critique spécialisée Anne Bustarret et le grand patron Philippe Gavardin s’emploient pour ce faire à recruter «des gens bizarres, dont l’inventivité des enfants avait un impact sur leur créativité en tant que compositeurs travaillant avec des objets sonores». Anne Bustarret s’oriente naturellement vers le sculpteur sonore Bernard Baschet, qu’elle connaît déjà de longue date : «Puisqu’on voulait faire quelque chose avec les objets que les enfants fréquentent au quotidien, on est allés au Bazar de l’Hôtel de Ville… Fallait voir Baschet, dans les rayons, prendre les saladiers, les poser dans certaines positions pour les faire vibrer, essayer divers trucs, pour choisir ceux qui sonnaient le mieux… La tête des vendeurs ! »

Mais Baschet l’oriente ensuite rapidement vers le compositeur et arrangeur Jean-François Gaël, ami et collaborateur qui récupère alors les rênes du projet:

 » On travaillait ensemble avec Baschet, pour des concerts et de l’animation scolaire. Nous étions très liés. On n’était d’ailleurs souvent pas payés, l’objectif étant de faire connaître ses instruments. L’idée des musiques de table m’amusait, et j’ai essayé de produire quelque chose de rigolo: des couteaux qui vibrent, des découpes d’aliments, un métallophone avec des coquetiers… Il y avait un aspect ludique, avec des titres en forme de plaisanteries. Je me souviens avoir utilisé le premier échantillonneur que j’aie jamais eu autour des œufs à la coque. Le mélange avec le cristal était pour moi logique : tout ceci faisait un lien entre le fait que j’avais rencontré Baschet au GRM, et ma propre pratique de la musique concrète.« 

Associé à ses arrangements pour de grandes figures de la chanson estampillée « Rive Gauche » d’après-guerre, le nom de Jean-François Gaël est en-effet également révéré par les admirateurs de son inclassable groupe instrumental Sonorhc, responsable d’une tétralogie d’albums phénoménaux, sans guère d’équivalent dans le paysage français. C’est en compagnie du musicien surdoué Teddy Lasry – fils du collaborateur historique des Baschet – qu’il effectue au début des années 1970 diverses incursions dans le domaine de la musique pour enfants : en accompagnant d’abord la chanteuse Hélène Martin pour l’enregistrement d’adaptations des poètes surréalistes Philippe Soupault ou Raymond Queneau, puis le couple Imbert et Moreau pour les Comptines en robe de lune parues chez Chant du Monde, qui remportent un très grand succès.

« Je n’avais pas décidé au départ de faire des musiques pour enfants, ni d’accompagner des chanteurs… Les opportunités vous font bifurquer. J’ai également travaillé pour les Musicoliers, et composé plusieurs fois un opéra et des morceaux avec des classes. Derrière l’aspect alimentaire, j’aimais bien ça : c’était un immense plaisir, fatiguant certes, surtout une fois qu’ils ont des instruments de musique dans les mains… Un tiers des gosses est adorable et facile, un tiers s’en fout, et un tiers fout la merde dans le fond de la classe. Mais c’était quand même une partie de rigolade. Je l’ai toujours pris comme un jeu. Mais je ne prends rien très au sérieux… »

*

MINIATURES – Le disque pour enfants en France (1950-1990)

Une exposition de Radio Minus et L’Articho, explorant le Fonds patrimonial Heure Joyeuse
Dans le cadre de Formula Bula
Du 2 au 31 octobre 2020 / Médiathèque Françoise Sagan / Paris 10ème

Sam. 24/10 VISITE GUIDÉE – Exposition et Ateliers Baschet
Infos, détails: www.radiominus.com

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Sauf mention contraire, les quelques citations de François et Bernard Baschet sont extraites des Mémoires Sonores, de François Baschet, ed. L’Harmattan, 2007

Un commentaire

  • Nicolas Baudoin dit :

    Merci pour l’article. Niveau « musique enfantine », j’écoutais surtout Anne & Gilles et Klimperei pour l’instant, là ça m’ouvre tout un nouveau pan de morceaux à découvrir…

    C’est une chance (pour nous en tout cas) que ces artistes soient snobbés par les compositeurs classiques : plus de liberté, plus d’espace, plus d’expérimentation avec des enfants mentalement déficients et des saladiers de supermarché !

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