Emmanuelle Parrenin et Tolouse Low Trax font de leurs grèves des réalités

EMMANUELLE PARRENIN / DETLEF WEINRICH Jours de grève
Versatile, 2021
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Musique Journal -   Emmanuelle Parrenin et Tolouse Low Trax font de leurs grèves des réalités
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Jours de grève m’a au départ intrigué par son casting, surprenant au premier abord, mais en réalité assez logique. D’un côté, Emmanuelle Parrenin, chanteuse folk « expérimentale », joueuse de vielle à roue et figure de l’underground français des années 1970, notamment pour son disque Maison rose édité chez Ballon Noir. De l’autre, Detlef Weinrich, acteur-clé de la scène électronique de Düsseldorf depuis les nineties, à travers notamment le Salon des Amateurs, qui depuis les années 2010 développe le projet Tolouse Low Trax. Sous ce pseudonyme, il a patiemment construit un son racé, fait de rythmiques minimalistes mais complexes, souvent jouissives de lenteur : une musique capable de séduire à la fois les danseurs des clubs et les amateurs de krautrock.

Des profils de musiciens assez différents en apparence, voire antagonistes par certains aspects. Mais c’est précisément par ces antagonismes – de styles musicaux, de générations, de nationalités – que cette collaboration fonctionne. Il est d’ailleurs plausible que cette rencontre à mes yeux paradoxale ne le soit pas du tout pour les intéressés. En ce sens, je crois comprendre ce qu’entend Gilbert Cohen – qui sort le disque sur son label Versatile et joue sur un titre – quand il affirme dans la présentation de Jours de Grève que leurs deux univers semblent « étrangement converger ». L’une est présente au catalogue du Souffle Continu, meilleur label en terme de valorisation du patrimoine expérimentale francophone. Quant à l’autre, il a notamment été édité par Bureau B, peut-être le meilleur label allemand pour la valorisation du patrimoine électronique teuton. Vu sous cet angle, orchestrer la rencontre sur un label comme celui de Cohen est plutôt alléchant (tout comme le sont par ailleurs, et dans un autre genre, les quatre titres qui teasent l’album de Gilb’R qui sort le mois prochain, là encore chez Versatile).

Ce qui ressort du disque, c’est finalement une certaine idée de l’underground, comme en témoignent les invités prestigieux (on n’est pas sur Random Access Memories, mais vous voyez) présents sur cet enregistrement : Jan Schulte (mixage), Quentin Rollet (saxophone) et Ghédalia Tazartés (voix). Ce dernier pose sa voix sur la moitié des titres et il est émouvant de souligner que cet album, sorti en janvier 2021, constitue son ultime enregistrement paru avant sa disparition le 9 février, à l’âge de 73 ans. Né à Paris et mort à Paris, Ghédalia Tazartès restera comme une personnalité marquante de l’avant-garde musicale française. Le père d’une musique qui n’est peut-être pas toujours facile d’accès, mais qu’on accepte telle quelle, probablement car sa démarche sonore s’apparente moins à celle d’un intello pompeux qu’à celle d’un enfant épris de liberté. Amen.

Il y a en tout cas quelque chose de plaisant à voir tous ces musiciens aguerris jouer ensemble. Autant d’artistes accomplis, unis dans une sorte de confraternité esthétique, pour l’une des entreprises les plus honnêtes qui soit : faire un bon disque. C’est un peu comme si on assistait à un relais olympique underground entre plusieurs générations de musiciens, qui, si différents soient-ils, ont tous manifesté dans leurs travaux personnels l’envie de proposer une musique différente, souvent inclassable (euphémisme pour désigner une musique LIBÉRÉE !)

Mais revenons-en au disque. Jours de grève a été enregistré en décembre 2019, en pleine mobilisation sociale contre la réforme des retraites, ce qui, d’après les notes de Gilbert, a contribué à donner du sel aux sessions d’enregistrement. La paralysie des transports parisiens aurait-elle dopé la créativité de cette petite bande ? Quelle relation inconsciente peut bien se nouer entre un contexte de création singulier et des musiciens libres de leurs choix esthétiques ? Vaste sujet. Mais le fait est que l’implacable fonctionnalité des rythmes de Detlef Weinrich fait mouche pour accuser la fragilité d’un quotidien néolibéralisé subitement mis à l’arrêt. En ce sens, la rigueur subtile de ces percussions synthétiques, couplée aux anti-mélodies de la vielle à roue d’Emmanuelle Parrenin, construisent une belle bande-son imaginaire pour les jours de grèves à venir. Que donneraient ces morceaux déversés par les enceintes d’un cortège de manifestation ? On ne le saura probablement jamais, soyons honnêtes. Mais imaginez la chose avec « Le couple coupable » et la simplicité cryptique de ses paroles inlassablement répétées, comme un mantra : « Jamais je n’irai juuuuuusqu’à… Eeeeeenterrer mes rêves ». Un peu banale écrite noir sur blanc, cette phrase n’en résonne pas moins avec une inquiétante solennité sur le disque, grâce à l’interprétation d’Emmanuelle Parrenin : une voix comme habitée d’un feu étrange à chaque intervention. Bref, à défaut d’agiter nos manifestations contre le pouvoir, le disque aura déjà le mérite d’accompagner nos manifestations intérieures les plus intimes et les plus élémentaires, c’est déjà pas mal.

Si la vielle de Parrenin et les productions de Weinrich fournissent à l’ensemble une assise solide, reconnaissons que c’est parfois au risque de tomber dans l’écueil de la redondance au fil des huit morceaux. Un écueil qu’on pardonne bien facilement si l’on garde en tête qu’il s’agit ici d’un disque de rencontre : l’instantané de quelques jours passés en studio avant que chacun ne retourne vaquer à ses propres occupations. C’est d’ailleurs à ce titre que les interventions des divers invités se révèlent salutaires pour épicer l’ensemble. La sensibilité free du saxophone de Quentin Rollet donne même envie de placer ce disque dans le sillage de ce que l’alternatif français a produit de plus cool il y a quelques décennies. L’époque où Brigitte Fontaine enregistrait au studio Saravah des Abbesses avec le Art Ensemble of Chicago, pendant que l’ingénieur du son Daniel Vallancien s’agitait brillamment aux manettes de la table de mixage. Mais je ne pousserai pas la comparaison trop loin, ce ne serait pas vraiment rendre justice à ce disque nouveau-né que de vouloir en faire le succédané d’une époque révolue.

Jours de grève est un super disque sorti en 2021, à écouter en 2021, et c’est ce qu’il importe de dire.

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