Renaissance est un disque qui n’est pas à proprement parler passé sous les radars en France : il est sorti chez Uwe, label monté par Laurent Hô, DJ Kraft et Arnaud Fritsch – une structure solide sur le marché électronique des années 2000 en France, dont le catalogue a évolué de façon un peu déconcertante, puisqu’après avoir édité beaucoup de hardcore, la boîte a pris un virage hyper Tsugi en bossant en vrac avec Zenzile, Vitalic, Birdy Nam Nam ou Yuksek, tout en gardant un pied très ferme dans la techno puriste. En l’occurrence, Mr De’ n’est pas tout à fait un activiste du purisme techno, même s’il est de Detroit, mais Uwe avait eu bien raison de prendre en licence son deuxième album, édité aux States chez Submerge, plaque tournante de la musique électronique de la Motor City, dont De’ venait tout juste de devenir le patron quand le LP est sorti en 2005. Je ne suis plus très sûr mais j’ai l’impression qu’il était même venu jouer à Paris ; il a donc en tout cas été très présent dans les bacs électronique de France, et surtout il a carrément fait l’objet d’un très beau documentaire réalisé par un Français du nom de Jean-Christophe Gaudry, sur lequel je vais revenir.
Avant de s’occuper de Submerge, Mr De’ avait fondé avec DJ Assault le label Electrofunk. Un nom qui ne triche pas puisqu’il s’agit littéralement d’electrofunk, dans une version modernisée, c’est-à-dire des beats de 808 super chaloupés, directement chopés sur les classiques du début 80s, puis accélérés, comme c’était déjà le cas dans la bass de Miami, mais avec des basses que me paraissent plus jouées, plus grasses, plus pompées sur ces synth-bass à la George Clinton qu’on entend également dans des chefs-d’œuvre disco-funk tels que ce morceau. On est donc un peu loin de la ghettotech plus droite et plus speed faite par des gens comme Nasty, Godfather ou Disco D – un genre s’inspire autant du funk et de la bass que de la ghettohouse et de la hard-house de Chicago, avec des snares sourdes et têtues, mixées très en avant. Lorsqu’on écoute la discographie de De’, avec le recul, on peut dire qu’on sort même souvent du spectre dance/club et qu’on rentre dans le domaine du rap et du r’n’b – ça s’entend beaucoup sur son premier LP officiel, Electronic Funky Shit, qui sonne par moments comme une mixtape de rap régional de l’époque, venue à la fois du Midwest et du Sud. Cet album est super bien même si les lyrics pourront en choquer certains ; le délire samples abusés (« Disco’s Revenge » de Gusto, la reprise de « The Look of Love » par Isaac Hayes…) fait très rap, très « ça veut dire quoi clearer ? », c’est vraiment bonne ambiance.
Sur Renaissance – quatre ans plus tard donc –, Adé Mango Henderson Mainor tente un truc un tout petit plus « sérieux », en se nourrissant de sa culture r’n’b et surtout gospel, avec de vrais instruments. Ça tourne pas non plus trop zicos, le mec se fait pas avoir par le piège du « projet live » relou dans lequel sont tombés quelques houseux de sa ville. En fait ce que j’aime c’est que son sens du jeu live est modeste mais hyper pertinent : sa façon de plaquer des accords de piano ou de claquer un solo de guitare met de la joie et de la chaleur, à aucun moment on sent l’idée de se mettre au-dessus des machines. Il y a pas mal de passages où il ne se déroule pas grand-chose niveau intrigue, on sent juste l’espace et le groove qui le creuse, les pistes tournent limite en rond mais c’est pas chiant, ça donne au truc une dimension presque lounge voire « ambient groove » qui fonctionne super bien.
Le travail sur les voix, les harmonies qui tombent à pic, la retenue rythmique de certains tracks, les étapes deep house ou downtempo, et toujours ce goût du sample pas forcément diggué très profond (ça commence par le thème du Parrain, le mec est sans pitié), qui donne à l’ensemble beaucoup de corps et qui finalement fait passer cette anthologie de maxis pour un vrai album à écouter tranquille chez soi – limite un projet de songwriting, version électronique et funky. Dans le documentaire signé par le Marseillais Jean-Christophe Gaudry, on le voit d’ailleurs parler d’un des morceaux de l’album (« Song for Sydney », dédié à sa fille) et expliquer qu’il construit réellement la chanson pour l’adresser à quelqu’un, comme un texte mais un texte sans mots, un texte presque au sens « sciences humaines » du terme. Bref, c’est un album qui, sans blaguer, devrait vous étonner, ou du moins étonner plus d’un sceptique – je parle des sceptiques qui comme moi ont longtemps pensé que les bons albums de dance music n’existaient à peu près pas.
Je ne sais pas dans quelles conditions Gaudry a réalisé son film mais moi qui ne suis pas super friand de docus musicaux j’ai trouvé ça top : pas de voix off, si ce n’est celle d’Adé, pas de storytelling pénible, pas de témoignages pontifiants de son entourage, et finalement une manière salutaire de parler davantage d’un homme que de sa musique tout en le montrant au travail, notamment avec un groupe en studio. Ça date de 2007, et depuis cette année-là Mr De’ n’a visiblement plus rien sorti, j’imagine que c’est un hasard, et je me dis aussi que la vie d’un artiste électronique de Detroit ne doit pas toujours être simple. Écoutez ce disque et matez A Detroit Story sur YouTube, vous ne perdrez pas votre temps, et vous serez sans doute convaincu une fois de plus que la dance music afro-américaine est toujours connectée d’assez près à la tradition soul/funk/disco, malgré ses origines historiquement kraftwerkiennes. La matrice allemande n’est pas pour autant évacuée de la musique de Mr De’, et je crois que c’est la coexistence vertueuse de ces deux univers qui la rend si touchante et si efficace sur Renaissance – cliquez sur « Beyond Thunderdome » ou « Space Odyssey » pour vous en convaincre. Je vous laisserai sur cette citation très à propos de notre cher poète Stéphane Mallarmé : « Un coup de Mr De’ jamais n’abolira le hasard ».
Un commentaire
Très beau documentaire. Merci !