On n’aurait pas parié qu’un groupe qui décide de s’appeler Groovy réussisse à s’en sortir avec un tel panache

Groovy Groovy : The Rebirth Of Retro-Cool
Extreme, 1995
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Musique Journal -   On n’aurait pas parié qu’un groupe qui décide de s’appeler Groovy réussisse à s’en sortir avec un tel panache
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Aujourd’hui, je n’ai pas envie de faire des ronds de jambe pour arriver jusqu’à mon sujet – une envie de changement sûrement due, qui sait, à la fin de l’année, et à celle du monde aussi, qui commence à prendre sérieusement forme. Surtout que le disque dont je veux vous parler peut être résumé en un mot, alors pourquoi s’emmerder, je vous le demande !

Groovy : un mot connoté, saturé en saccharose, un peu vulgos et ring’ mais super plaisant, tellement qu’il en devient quasi tabou. Si on m’avait dit il y a quelque années qu’un groupe avait eu l’audace (ou la prescience, je ne sais pas) de s’appeler carrément comme ça, d’enfoncer le clou en signant son unique album du même patronyme et que, surtout, sa musique n’était qu’une longue réflexion sur le groove, je pense que je n’aurais jamais osé ni le croire, ni écouter celle-ci.

Mais les noms qui ne trompent pas sur la marchandise, ça fait du bien, aussi. Pas de mystères, pas de chichis : on y va direct. Le sous-titre de l’album est pas mal non plus, d’ailleurs : The Rebirth Of Retro-Cool. Double référence – à Miles Davis (Birth of Cool), et à une série (pas si mal) de compiles acid-jazz/trip-hop intitulée Rebirth of Cool, sur le label anglais 4th & Broadway – cosmogonique pour une musique dont on ne peut nier ni l’acidité, ni le côté jazzy (le « swing »). Le terme de rétro n’est pas non plus usurpé : on est en 1995 et on sent que l’on parle d’un avant fantasmé mais pas du tout flou, super concret ; c’est une période qui ressurgit un peu erratiquement et déborde, que le musicien pétrit aussi – le début du titre « Expanding », c’est vraiment ça, une navigation esthétisée dans le matériau, avance rapide-lecture-on revient. J’aurais adoré faire écouter ce disque à Henri Lefebvre, qu’il nous fasse une petite tentative rythmanalytique bien lyrique là-dessus ; l’entendre prononcer « groovy » aussi.

La musique, maintenant : Groovy est donc un projet de Dan Burke, auteur d’une œuvre conséquente (avec Illusion of Safety notamment) aux accents indus et bien rêches, entamée au début des années 1980. Burke expérimente et travaille à une musique exigeante, austère et énervée, voire énervante tant elle peut avoir parfois tendance à cocher toutes les cases de la musique expé, mais sait aussi à l’occasion faire des choses dansantes. Enfin, dansantes façon indus, quoi. Tout cela est bien sensible ici, sauf que l’expérimentation est presque entièrement tournée vers le groove afro-américain circa 70-80. Non pas pour le déconstruire et l’éclater, le groove, mais plutôt en réaliser des réductions déviantes, juxtaposer celles-ci avec des objets proches-mais-pas-trop-quand-même. La description du projet sur le site d’Extreme (le label qui a sorti le disque) le dit d’ailleurs plutôt bien : « GROOVY seeks to attain an inspired amalgam of 70’s disco, space music and acid-jazz. Call it Acid-Disco. Call it Progressive-Space-Disco. Call it the Rebirth of Retro-Cool. » Le projet peut sembler un peu daron, un peu boomer, présenté comme ça, et en fait, avec la distance, ça l’est, forcément. C’est un album de disco-funk dur, de house même, implacablement corporelle, sertie d’expérimentations toutes aussi improbables et réjouissantes.

Il est évident que le sampling est central chez Groovy et il y a sûrement des trucs super flagrants pour mes chers diggers / beatmakers funkophiles et obsessionnels, mais à part l’utilisation du thème de Shaft sur le troisième morceau (« Inventing Zeros ») et le sample au centre de « Physical Plane » que je suis à deux doigts de saisir, je reconnais pas granch’. Il y a des ajouts instrumentaux aussi, c’est évident, mais la charpente, ce sont toujours des mises en boucle débilitantes et obstinées. Ces prods construites autour d’un sampling de l’évidence, fonctionnel, cherchant à perdre l’auditeur toujours plus en avant dans la répétition, à l’extirper de celle-ci, l’y replonger, sont par ailleurs ponctuellement complétées par une équipe serrée, discrète et pas manchotte : la diva Layna B. (qui nous offre ici son one shot discographique, et elle ne s’est pas loupée !) avec sa voix embuée et tellement classe, maîtrisée, toujours en survol, et Thymme Jones, collaborateur fréquent de Dan Burke (le pedigree du type : leader de CHEER-ACCIDENT, batteur pour Brise-Glace et Yona-Kit), à la trompette.

Bref, encore une fois, j’en reviens à me dépatouiller avec cette notion insaisissable de groove. Son incarnation la plus poncée cohabite ici avec des mises en place plus qu’audacieuses, des ruptures, des bifurcations et ralentissements – dès l’ouverture « Inclimate », avec sa baisse de régime à mi-chemin qui fait perdre les appuis. « IDOL » en est un exemple assez parlant : le tout commence par un riff si tight et millimètros qu’il affecte forcément la marche ; puis la voix vient se poser et tordre le cœur ; puis rapidement, et pendant plus de cinq minutes, un paysage de synthèse dense mais pas vraiment chaleureux s’installe. Et puis en fait la tourne salace revient, finalement, mais ne sonne plus du tout pareil. On est toujours entre le planant et la terre sous les ongles, c’est assez fascinant – « Through The Cracks », Klaus Schulze et Sly Stone en même temps !

C’est un peu une autre « progressive house » qui est façonnée ici, nerd et pas forcément versée dans l’hédonisme solaire ; comme si on avait voyagé dans une nouvelle dimension façon Sliders vers une Amérique post-raciale et non clanique, unie dans la weirdness – ou dans une Italie où Daniele Baldelli aurait eu François Bayle pour gourou. Mais je n’y connais rien en prog house, je vois à peu près à quoi le bidule ressemble, et là ce n’est pas exactement ça.

Pourtant, on a quand même une musique qui s’amuse avec le disco, comme la house, et qui est clairement progressive dans sa forme. Une sorte de house, un peu breakée aussi des fois, qui peut prendre des tournants plus rock : « Exit Visa » développe ainsi une ambiance bien hard et progressive une fois encore, avec un pulse laidback : c’est Larry Levan avec des patchs Sepultura sur la veste en jean, Deep Purple à Ibiza, j’adore. Dans tous les cas, je trouve l’utilisation du qualificatif de progressif pas déconnante dans le contexte, surtout quand on écoute les musiques de Burke en solo ou de Jones avec CHEER-ACCIDENT et Brise-Glace, qui le sont quand même carrément (progressives).

Groovy compte sept morceaux qui ne réinventent pas la musique à danser (ce n’est pas du tout le projet d’ailleurs) mais en propose une compréhension simple et un peu décalée, réjouissante : on se sent bien dans ses baskets après, et puis surtout impossible de se trouver d’aucune manière effrayé par le groove, après ça. Jamais.

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