Eve, Clarice et Vica, encore plus fortes que les sœurs Halliwell !

Lamina/Vica Pacheco/Eve Aboulkheir Cloud Walking Brew
KRUT, 2020
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Musique Journal -   Eve, Clarice et Vica, encore plus fortes que les sœurs Halliwell !
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Je reviens tout juste d’un séjour de villégiature chez mon père, à Valence, en Espagne. Valencia, comme disent les expat’ français·es une désambiguïsation compréhensible, mais que je trouve quand même un peu insup’, désolé papa. Je ne vais pas me plaindre parce que partir en vacaciones, même une semaine, même l’été avec les hordes de mes semblables, est un luxe non négligeable, mais quand même : Valence, l’été, est une étuve implacable et surpeuplée. Le soleil crame, fait fondre et évapore, la mer tient de la soupe primordiale ; la bière coule à flots par nécessité, les légumes sont chimériques (sauf s’ils trempent dans le vinaigre et/ou accompagne un animal mort), et la musique peut être, parfois… compliquée. Attention : j’adore la makina, la bachata, le new beat et l’eurodance, l’indus flamboyante et la pop diabétique, mais IL Y A DES LIMITES, quoi à savoir la possibilité de me retrouver devant un concert de Manu Chao, pour de vrai. Du coup pour revenir à la tempérance affectée qui caractérise si bien l’ermite grognon que je suis, je me suis tourné encore une fois vers la Belgique, où je me déplaçais déjà en pensée il y a 3 semaines avec Musique Journal, encore pour un disque bien peace, afin d’échapper à la torpeur estivale ; à croire que ce pays est pour moi synonyme d’apaisement et de contemplation.

Pourtant, Eve Aboulkheir, Clarice Calvo-Pinsolle et Vica Pacheco ne sont pas belges. Ce n’est même pas à Bruxelles qu’elles se sont rencontrées, mais à la Villa Arson, ce four alchimico-sonore avec un taux de perçage improbable, notamment pour les fournées 2015 à 2017 (on peut aussi penser à Aude Van Wyller / Oï les Ox ou Baptiste Le Chapelain Trivier / Apulati Bien). Ce sont aujourd’hui des musiciennes bien en vue, qui jouent très finement de l’institution sans pour autant se la ramener et rogner leur autonomie, qui produisent de très beaux albums (j’avais d’ailleurs parler d’Amalur de Lamina, l’année dernière) et tracent leurs chemins avec classe, comme dirait le poète Eve fricote avec le GRM, Vica développe une pratique fascinante autour de céramiques chantantes mésoaméricaines de la période précolombienne, Clarice met en branle des objets toujours bien deep, de l’installation à la pièce radiophonique. Leurs musiques sont différentes, c’est clair, mais il y a ce qui me semble être une sensibilité partagée, qui vient surement de leur formation artistique au sein d’une même école. Une patte particulière avec laquelle j’ai l’impression d’avoir fait connaissance par le passé, notamment avec le collectif Outreglot, au Missing Numero, par exemple.

Avec Cloud Walking Brew, disque collectif autant additionnel que fusionnel datant de 2020, ce triumvirat de dryades-musiciennes illuminées me semble plus uni que jamais : des individualités se dégagent, mais aussi une communauté esthétique, au-delà des morceaux (deux par personne) pris séparément. La musique y est impalpable et pourtant composée d’une multitude de matières (l’ouverture d’Eve, Unsaid, mouvementée mais atemporelle, me cloue sur place) ; d’une clarté sur-humaine, elle se fait quasiment transparente, parfois (Boca Arriba, Vica). Ce n’est pas un album grandiloquent, mais plutôt une déambulation magique et évidente. Tout semble ici question de résonance : avec des mondes, réels ou fantasmés, mais aussi avec des pratiques. Je pense directement au corpus acousmatique à Redolfi (Doggy’s Fall d’Eve par moment, ou Azur de Clarice), mais aussi à d’autres figures du GRM comme Risset (Ciegamente, Vica) ou Beatriz Ferreyra, parfois , sans que le poids de l’académie ne pèse sur les sons, et sur des temporalités plus resserrées (les morceaux ne font pas 20 minutes).

Je pense aussi au « quatrième monde » de monsieur Hassell, mais dans une incarnation bien moins exotisante et exploratrice (dans le mauvais sens du terme). Ici, on ne vient pas piocher et assembler pour faire exister des hybrides dont la seules cohérence est l’oreille d’un démiurge laissant de côté les implications ontologiques ; on fait exister ce qu’il y a en-dedans en le faisant dialoguer avec ce qu’il y a en-dehors, sans jamais oublier que l’un n’est jamais l’exact reflet de l’autre. Il y a aussi quelque chose d’une sensibilité très actuelle, dans la manière dont ces musiciennes s’en vont puiser un peu partout sans segmenter, pour nous perdre entre sonorités acoustiques et numériques, jouant sur cette frontière rendue caduque et inopérante. Ce sont là des études libérées, qui s’installent dans l’oreille sans la malmener, la tienne sans violence. C’est une musique qui me remue tout en m’apaisant, laisse du répit et interroge, tout ce qu’on veut quoi ! Ce qui me plaît également dans cette œuvre plurielle, outre sa propension à laisser dériver l’auditeur en hors-piste, c’est qu’elle permet d’appréhender l’évolution dans la pratique des trois musiciennes, en regard de leurs productions postérieures : elles se sont encore un peu plus affirmées, ont affiné leurs pratiques certes, mais on perçoit déjà ce qui les intéresse et les habite, la ligne souple qu’elles suivent tout en s’autorisant des écarts.

Sinon, je n’ai pas beaucoup parler de Belgique, alors corrigeons cela ! Outre le fait que j’ai rencontré ces trois artistes à Bruxelles (où Clarice et Vica vivent, et où j’ai pu voir la diffusion d’une pièce incroyable d’Eve par elle-même sur acousmonium) et qu’elles restent pour moi attachées à cette ville, sonorement et humainement, il s’avère que Cloud Walking Brew est paru sur KRUT, le parent digital de l’excellent label bruxello-nomade KRAAK, qui a sorti deux albums dont j’ai parlé il y a peu, Blooming de Donna Candy et Zone Bleue de Somaticae, mais aussi le premier album de Vica et, il y a un an, un prodige sonore de Romain de Ferron. KRAAK qui organise aussi un festival de maboule, le bien nommé KRAAK festival (qui semble maintenant se tenir à Anvers), et que je vous conseille fortement !

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