Rien n’est gagné mais : depuis lundi en 8, les nuques sont un peu moins raides, les regards moins durs et le soleil enrobe plutôt qu’il ne frappe. Ce n’est qu’une impression, rien n’a fondamentalement changé, mais nous pouvons souffler, un peu. En tout cas moi je souffle, même si oui, j’ai besoin de vacances mais n’en prendrai pas vraiment. Toujours, entretenir – et vous entretenir de – mes monomanies musicales est un plaisir auquel je ne trouve que peu d’équivalent (si ce n’est la fin du salariat, déguisé ou non) mais écrire sans cesse, camarades, ressemble de plus en plus à l’érection d’un mausolée. Je vais donc grappiller où je peux, en ralentissant sur la déprime tout en doublant la mise sur le fun par exemple. Les œillères sont en place, hier midi c’était seiche en persillade, les cigales chantent comme jamais, je vais vous angoisser par mon surplus de positive attitude, vous êtes pas prêt·es !
Pour ce faire, je me suis préparé une petite diète spéciale « lâcher prise » (on a une huile essentielle de massage qui s’appelle comme ça avec ma chérie, j’ai toujours trouvé ça à la fois géniale niveau marketing et un peu cavalier), traitement de choc pour purger tout le caca accumulé depuis la réforme des retraites. On y va par étape, tranquille, mais commençons tout de même avec quelque chose d’assez relevé pour marquer l’occasion.
Zehr Goat! est le très logiquement nommé premier album de l’unité révolutionnaire branque, queer et strasbourgeoise Easy Goat. Je ne sais pas si cette expression étrange a une quelconque signification à quelconque échelle, mais je la trouve aussi kinky qu’étrange, voire un peu sensuelle et monstrueuse (cf. la pochette magnifiquement onirique de Caroline Dargere) ; en tout cas elle me plaît et sied parfaitement au quartet formé par Zoé Heselton, Fearless Alfredo, Kelly Placard et Zad Kokar, à sa musique aussi. Ces musicien·nes sont des protagonistes récurrent·es-mais-pas-trop de la grande fresque de ma vie, mais surtout des personnes très importantes pour la musique dans la cité-capitale de l’Europe et au-delà. Je ne les vois pas autant que je le voudrais mais c’est toujours avec un plaisir immense que j’interagis avec elleux, souvent en contexte festif et/ou musical. Notre dernière rencontre a même eu lieu en bloc, toustes ensemble au QG du Diams, alors qu’iels répétaient justement ; un peu rincé, je posais une première oreille à leur musique, filtrée par la distance ; déjà, la démence entretenue et méthodique de la bique était bien palpable.
Pour qualifier leur musique j’ai lu sur le web la formule « queer spoken no wave » et je trouve ça pas mal juste, même si je trouve un peu couillon de genrer musicalement un tel ensemble, mais cela n’engage que moi. Il y a aussi un cluster de termes épars – rock Strasbourg alternative anti-jazz diy garage lofi post-punk punk Biel/Bienne – sur la page Bandcamp du label biennois Chrüsimüsi Records qui a sorti cette cassette, qui ne dit rien autant que tout et donne donc une idée. Je valide absolument tout ça, et en utilisant mes mots je dirais qu’il s’agit d’une musique abrupte et théâtrale, virtuose dans son anti-virtuosité (Zad, à la batterie, c’est quand même une des clés de voûte du truc), marquée par une grandiloquence poético-politique un peu beat qui réconcilie l’ABC No Rio et le Village Vanguard, ce qui est assez cool. Les espaces sont vastes, il y a des instruments dont l’usage est du genre interlope, des synthés kraut et Varèse ; on se marre et on se révolte pas mal.
Ici, tout le monde chante. Les voix ont leur individualité au sens où elles incarnent. Les chanteur·euses sont des personnages, on les reconnait sans peine même s’iels ne sont pas figé·es – pour caricaturer je dirais : Zoé, grande pythie déclamante ; Kelly, mercenaire survoltée et précise ; Alfredo, tornade hurlante et Zad, punkos borderline. C’est une véritable coopérative brechtienne (depuis quand n’aviez vous pas lu cet adjectif, que je ne maîtrise moi-même que de très loin ?) ce truc, et j’avoue que cela me botte fort. Le programme est clair : « I Want a Dyke for President », « People Like You Make Me Sick », « White Cis Het Nightmare Song », « Money (That’s What I Want) », l’ambiance tient plus du cassage de briques par la dialectique que de la contemplation du drame. On reprend la no wave où l’avait laissée les ainé·es pour en faire un truc différemment dangereux, plus dans la joie mais toujours aussi frontal ; je vous conseille d’ailleurs de les capter en concert, ça prend un degré d’exaltation supplémentaire.
Allez pour moi c’est l’heure d’aller parfaire le bronzage, peut-être de penser à l’apéro, et faites de même, on l’a mérité ! Sinon je n’ai pas encore d’infos sur la thématique caprine, mais je leur demanderais à l’occasion.